1 allemand-francais
[...]
2 rakoczy Source gaNica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
3 fond diplomatique
4 saint-germain Gallica
5 melvin
6 graf Lamothe-Langon, Étienne-Léon de (1786-1864). Auteur du texte. Le comte de Saint-Germain et la marquise de Pompadour. Tome 2 / par Mme D***, auteur des "Mémoires d'une femme de qualité” [É.-L. de Lamothe-Langon]. 1834.
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LA MARQUISE
24 genes DE POMPADOUR
25 janik,
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27 tesla Dh A. H PIN K Y . GU-le-Lcsm' , n. 3
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30 wiki COMTE DE SAINT-GERMAIN
31 marquise d urfé F, T
32 pompadour 1 LA MARQUISE
33 peintures DE POMPADOUR,
34 st germain PAR Mme D***,
35 23 and me AUTEUR UES MÉMOIRES u'UHE FEMME UE QUALITE .
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  LEC01N1K El POUJG1N , tp COBBET , aîné, libraire , quai libraires, quai des A ngustins , ^ des Au gnstin s . n°Éii,
  °° *' PIGOBEAL , libraire , place
  LtQUlhlV , Gis, libraire , quai ^ Saint-Germain-l’Auxerrois r
 
des Auguslins , n° 4;,
^ n° 20.
  CHAPITRE PREMIER*
 
  IVulli importas quod ipse y non possis pati,
  Strus.
  JN’exigez pas qu’un autre endure ce que vous ne pouvez vous-même souffrir.
  Deux choses à la cour s’allient bien 9 l’insensibilité' envers les misérables , et la sensibilité pour tout ce qui est riche et puissant.
 
  Lorsque le comte de Saint-Germain se fat retiré, madame de Pompadour demeura pion* gée dans une sombre rêverie.Son esprit hau­tain et opiniâtre avait presqu’envie de que­reller le hasard du cas fortuit qui empêchait que, dans la glace magique, on ne pùt lire le nom du futur époux d’Alexandrine , ou mieux encore y voir ses traits. Par fois elle se figurait que l’accident survenu était une ruse du comte qui T n’ayant pas la puissance qu’il
  s- ►
  se donnait, s’était servi de ce moyeu pour ne pas compromettre la sienne; mais aussitôt elle rejetait cette pensée au souvenir de tout ce qu’elle avait vu faire de prodigieux à cet étranger.
  « Dans tous les cas > se disait-elle, qui que ma fille épouse, ce ne sera pas ce misérable polisson... Est-il possible que , dans son au­dace, il ait osé lever les yeux sur elle et con­cevoir des espérances. .. , et cette folle créa­ture elle aussi.... et je n’ai vu ce crime que d’aujourd’hui... ; allons ne perdons pas de tems ; une bonne lettre de cachet et une pri­son à cent pieds sous terre ; il aura là le tems de réfléchir. »
  La marquise sonna et un domestique étant accouru.
 
  Qu’on fasse venir Collin, dit-elle.
  Chaque fois que madame de Pompadour voulait frapper en secret un de ses ennemis , c’était par l’intermédiaire de son maître-d’hô- tel qu’elle arrivait au comte de Saint-Floren­tin , ministre secrétaire d’état au département
 
  de la maison du roi, et qui avait le dépôt de ces lettres terribles dont la venue était tou­jours redoutable et qui, presque toujours, frappaient par caprice et non par nécessité. L’habitude de charger Collin de ce soin, porta machinalement la marquise à l’appeler dans cette circonstance où, au contraire, elle n’entendait pas employer son aide ; car elle connaissait l'affection qu’il vouait au jeune coupable , mais préoccupée à l’excès, ce nom auquel elle était habituée se présenta de lui- même et lorsqu’il fut pr ononcé ne retira pas la favorite du chaos de ses réflexions chagri­nes.
  Collin ne tarda pas à paraître devant sa maîtresse qui, en le voyant, s’aperçut de la faute qu elle avait faite, mais au lieu delà ré­parer en gardant le silence sur le pointdont sa politique aurait dû dérober la connaissance au tuteur de Géréon; un entrainement de co­lère et non moins ce besoin qui nous est si commun de chercher autour de nous un eon- fuient du mal qui nous dévore, changèrent
 
 
6
 
  soudainement sa résolution , elle dit en voyant son maître d’hôtel :
  « Vous avez fait de belle besogne, et j’ai de grandes actions de grâce à vous rendre au sujet du serpent que vous avez jeté dans ma maison. />
  Le ton de haute fureur que la marquise mit à prononcer cette phrase, l’irritation ma­nifeste éclatant dans ses yeux enflammés, et le tremblement convulsif de ses lèvres, de ses mains, annoncèrent à Collin, plus encore que ce qu’il venait d’entendre, jusqu’où montait le mécontentement de la marquise. Accoutu­mé à la craindre d’autant mieux qu’il la connaissait parfaitement, et d’une autre part, ignorant de tout point à qui elle faisait allu­sion , il se laissa aller à une frayeur telle que sa consternation ne se cacha pas non plus, et se fut avec peine que, du ton le plus humble, tout en se justifiant à l’avance, il demanda à la marquise le sujet de son mécontentement.
  Elle , déjà rentrée dans le plein usage de sa raison et tandis que Collin parlait, ayant son-
  S—► 7* •<—-Œ
  gé combien il était important à ses intérêts d’ensevelir sous un profond silence tout ce qui l’irritait à Texcès, se détermina, non à donner à Collin la mission de la débarrasser de son pupille, ce qui ne pourrait avoir lieu qu’en lui apprenant la faute énorme de ce dernier, mais à se contenter de baser laplainte sur la hardiesse avec laquelle Géréon lui au­rait répondu, et reprenant la parole :
  « Oui, dit-elle vous êtes coupable, et je le suis peut-être avec vous d’avoir souffert et vous de m’avoir demandé l’admission, par­mi mes commenseaux, de ce jeune insensé dont l’arrogance n’a pas de bornes. .. écoutez moi bien, je ne peux désormais supporter la présence de Géréon, il faut que, sans retard , il s’éloigne, je veux qu’il parte. »
  Collin , surpris de ce changement soudain de volonté, mais remis en partie de son trou­ble , répondit avec autant de respect que de soumission que madame la Marquise serait obéie.
  « Oui, la chose doit avoir lieu, reprit cel­le-là, et le plus tôt sera le mieux; puisque le bâtard a le goût d’aller courir les aventures , laissons-lui en la liberté; qu?il sorte de Fran­ce , qu’il aille où bon lui semblera, je lui laisserai carte blanche; mais le supporter plus long temps dans mon intérieur , non ! je le trouve toujours en opposition à ma volonté ; son obéissance est tellement insolente qu’il semble m’accorder une grâce et non faire comme tout le royaume ; c’est un monsieur si audacieux !»
  Collin se contenta de dire que Géréon était bien jeune pour qu’on l’abandonnât ainsi ; que puisque Madame ne voulait pas qu’on le plaçât dans l’intérieur, soit en une charge de finance ou dans un grade militaire, il fallait qu’elle consentît à ce qu’un gouverneur lui fût donné.
  (( L’avez-vous tout prêt à prendre cette fonction ?
  » — Non Madame.
  » — Eh bien ! il ne me plaît pas de l’at­tendre; il faut demain que Géréon ne soit
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  pius à Versailles, et après-demain à Paris. Qu’il passe la frontière, qu’il s’en aille en Itar îie, on fera courir après lui ce mentor dont sans doute il ne tardera pas à secouer le joug. C’est un esprit si orgueilleux.
  » — Madame sera obëie selon sa volonté, dit Collin, tout en éprouvant un chagrin ex­trême; car il aimait tendrement son pupille, mais qui pouvait concevoir l’idée de résister en face à la marquis lorsque son courroux éclatait avec tant de violence ? Madame , poursuivit ce serviteur craintif, ne vo udra-t- elle pas permettre que ce jeune homme, en prenant congé d’elle la remercie des bontés qu’elle a eues pour lui ?
  « — Moi I le voir ! c’est inutile
  qu’il parte chargé de mon mécontentement., néanmoins.. .Collin, vous serait-il agréable que je le visse ?..<il est certain que puisqu’il nous quitte sans retour .. je peux... allons Collin, vous abusez de ma faiblesse pour vous.
  » — Je vais aller chercher ce malhemeux
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  disgracié, et veux que, devant moi, il de­mande pardon à Madame.
  » — Lui ! descendre jusque là ! oh ! vous connaissez mal ce superbe caractère ; vous ne verriez que sa rudesse inflexible ; je consens à le voir, mais seul. Allez, mon ami. »
  Le maître d’hôtel s’éloigna le cœur brisé ; un soupçon vague lui faisait pressentir que le châtiment dont on frappait son pupille par­tait de plus haut que du besoin de le punir de ses manières indépendantes ; qu’un motif plus direct, plus intime , avait allumé le courroux de la marquise, et si la perspicacité du tuteur alla jusqu’à l’entrevoir, il en fut si fort épouvanté qu’il ne voulut pas se l’avouer à soi-même et qu’il se contenta de croire que la marquise, en frappant d’exil Géréon , le punissait uniquement de sa roideur et de ses caprices. Il s’éloigna pour aller à la recherche de celui-là , tandis que madame de Pompa­dour s’admirait de la magnanimité avec la­quelle sa clémence pardonnait à un auda­cieux. Elle se flatta que le jeune homme ne
 
 
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  reparaissant pas devant Alexandrine , n’en-» tretiendrait point cet amour .allumé par le seul fait de sa présence, et que, de l’autre, sa fille ne concevrait plus la possibilité d’un refus.
  II est étrange avec quelle facilité ceux en possession du pouvoir se figurent que, pour que tout aille selon leur fantaisie,il ne s’agit ([ne de développer leur volonté; dès lors, se­lon eux , les événemens, la fortune, les dé­crets de la providence, la fatalité, qui est presque toujours l’expression de cette der­nière, doivent se ranger suivant leur caprice. Ils commandent, puis s’arrêtent et se reposent et lorsque ce qu’ils attendent n’arrive pas, lorsque l’ordre céleste contrarie le leur, et lorsqu’ils s’en aperçoivent, soudain leur irri­tation se change en démence, et c’est contre Dieu même qu’ils osent combattre. La dé-, faite n’est pas incertaine, ils tombent dans les filets où ils se flattaient de prendre leurs enne­mis.
  Sur ces entrefaites, la maréchale de Mire­poix arriva. Dès qu’elle eut été annoncée,
 
 
 
 
 
 
 
 
 
  la marquise remonta son visage au ton de l’indifférence ; c’est un travail si journalier à la cour , et tellement d’habitude, qu’il n’est plus une gêne, et , ■ pendant la vio­lence des angoisses qui brisent un cœur, la physionomie conserve une sérénité contre laquelle se brise l’investigation maligne du courtisan curieux.
  « Eh bien ! ma chère amie, dit la petite maréchale ( c’était le sobriquet qu’on lui don­nait à Versailles ), c’est donc demain que Ravaillac second saute le pas ? On prétend
  que, pour lui, la journée sera rude le
  monstre, qu’il mérite bien les tortures dont on le punit ! ! !
  » — Est-ce demain ? demanda la mar­quise, Oh ! comme le tems passe , il semble à mon cœur que c’est hier que le roi a été frappé.
  » — Et au mien , je fus prête à mourir de chagrin... ; tuer un roi, est-ce possible..?
  » — On en tue, c’est certain , et voici le troisième en France, et dans moins de deux cents ans,
  » — Cela fait frémir, quand on y pense, Le meurtre d'iin roi, c’est plus que la mort d’un homme... A propos! ne pensez-vous pas que ce spectacle de demain sera-très cu­rieux... n’avez-vous à ce sujet, aucun plan arrêté ?
  » — Moi, aller voir le supplice de ce scélérat.
  » — Par amour du roi, ma chère.
  » — Fi ! l’horreur ! !
  » —Je vous en demande pardon, mais nous nous avons avec la maréchale de Luxembourg, le chevalier de Coigny et le comte de Senne- terre fait la partie d’aller à la Grève passer une heure ou deux ; nos préparatifs sont faits, une chambre est louée , on y a dû porter aujour­d’hui , de quoi faire collation et toutes sortes de confortatifs ; car, certainement, nous au­rons , madame de Luxembourg, ou moi, des attaques de nerfs, cela sera atroce*., je vous en rendrai compte venez avec nous...
 
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  Un bon déguisement comme le nôtre , ce sera charmant ; nous rirons , ferons des fo­lies. .. Ah ! quand on aime le roi comme il est adoré de nous tous , rien ne coûte pour le prouver. Amenez l’abbé de Bernis, il nous lira ses vers.
  )> — Je ne veux pas demain quitter Ver­sailles ? répondit la marquise; le roi récla­mera tout le jour ma présence , et ce souve­nir du péril qu’il a couru...
  )) —J’en suis fâchée, vous auriez été l’âme de notre charmante partie, et vous savez le proverbe plus on est de jous
  » — Grand merci, maréchale, du titre que vous nous donnez libéralement à mada­me de Luxembourg et à moi.
  — Ne me mets-je pas en troisième ?
  » — Oh! si c’était en première, vous au­riez encore une place plus convenable.
  » — Je vous fais rire, tant mieux; la jour­née de demain répand sur le château une tristesse toute de souvenir; on y est aujour­d’hui tellement sombre.quant à moi, je
 
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  vois toxit en noir... ;si nous allions à la pro­menade ?
  » — Je ne peux encore, j’attends une vi­site.
  » — Quel ambassadeur ?
  » — Un polisson, un enfant qui s’en va de ma maison ; vous l’avez aperçu peut-être, le pupille de mon maître d’hôtel.
  » — Je ne vois ici que vous, chère mar­quise; les autres, je leur applique ces vers de Mardochée dans Esther :
  Sont tous devant mes yeux comme s’ils notaient pas.
  Cette flatterie alla droit à son but; Ma­dame de Pompadour en sourit de conten­tement, et la petite maréchale poursuivit :
  « Cependant, il me semble que j’ai entre­vu ce jeune homme, une seconde, en ma­nière d’éclair ; oui, un bambin qui servait à l’amusement de la séduisante Alexan­drine.
  La marquise tressaillit.
  » — Quand mariez-vous cette beauté cé-
 
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  leste ? A quel heureux du siècle la destinez^ vous ? Que n’ai-je un fils !... Ma chère amie, dit encore la maréchale, en baissant la voix et en prenant un air piteux ; je suis de plus en plus malheureuse, le jeü, les fantaisies me ruinent; ma position est à plaindre, le roi ne pourrait-il pas venir à mon secours ?
  » —■ Il n’a pas un sou, à ce qu’il me jure, répondit la marquise, en riant, et l’autre jour, ayant à récompenser une personne de son intérieur, il n’a trouvé dans sa bourse que cinq louis ... ; mais voyez le contrôleur- général , et si la somme n’est pas trop forte je lui parlerai.
  » — Hélas ! une misère t trente-six mille francs !
  » — Cala ne vaut pas la peine de se tourmenter, soyez tranquille, je veillerai à ce que Moras ( le contrôleur-général) ne vous fasse pas attendre.
  » — Vous etes divine , s’écria la maré­chale, en embrassant avec vivacité Madame de Pompadour ; grâce à vos bontés, j’irai de-
 
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  main tranquille à la Grève- Je mourais dë peur d’y paraître maussade ; et, en vérité, sans vous, je n’aurais pas été bonne à jeter aux chiens. »
  La conversation fut ici interrompue par la vivacité avec laquelle Géréon entra dans la chambre dû côté de l’extérieur de l’appartement. Madame de Mirepoix en pous­sa presqu’un cri de frayeur ; la marquise, qui avait eu sa part d’épouvante, dit à Géréon avec aigreur.
  «■ Vous ne changerez donc jamais, turbu­lent que vous êtes ?
 
Elle allait poursuivre le cours de ses re­proches , mais un regard jeté sur les traits décomposés du jeune homme la rendirent muette ; un désespoir amer, une impatience non retenue, un orgueil offensé dans ce qu’il avait de plus cher ; tout cela se peignait à la fois dans la personne de Géréon, et sans donner de son côté à la marquise le tems de poursuivre, si elle l’eût voulu.
 
  s
  rc Est-il vrai, dit-il , (¡ue madame me chasse à l’instant même ? »
  Gela fut dit, non avec une modestie cha­grine, mais avec une hauteur superbe qui étonna madamee la maréchal de Mirepoix, et qui, si elle irrita la marquise, lui ins­pira en même tems une sorte de frayeur: les âmes opiniâtres n’aiment pas à se heurter contre les âmes énergiques; c’est un contact qu’elles redoutent toujours, en raison du sentiment intime de leur propre faiblesse; elles peuvent bien la déguiser en face des in- différens, et lui donner tantôt les apparences du courage, mais la chose ne peut être ainsi, là, où une fermeté véritable leur est opposée.
  Madame de Pornpadour, néanmoins, sans iai^ser voir ce qui l’agitait :
  « Passez dans mon cabinet de travail, dit- elle, attendez que je vous rejoigne, et croyez moi, modérez-vous d’abord ; cette brusque­rie, cette audace vous seront nuisibles; vous ne trouverez pas toujours pour les suppor­ter l’indulgence pernicieuse dont on vous a
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  donné tant de marques et dont vous n’avez cessé d’abuser. »
  Aussitôt que Géréon eût obéi, tout en ma­nifestant combien peu cet acte de soumission lui était agréable, la maréchale de Mirepoix s’adressant à la marquise de Pompadour.
  « Ma belle amie, quel est donc le nom de prince de ce petit monsieur ? malpeste ! comme il a le propos hautain ! appartiendrait- il par quelque bout à la famille royale ?
  » — Vous voyez lui fut-il répondu, l’effet d’une sotte éducation. On a aidé ce caractère à se développer en insolence et contentement de soi-même.. . quant à ce qu’il est, voici son histoire
  Et la marquise répéta de point en point ce qu’elle savait.
  « Ainsi donc il est comme tombé des nues ?
  » — Oui, à peu près.
  » — Sans parens et sans noms ?
  » — Tout lui manque.
  » — Hors l’essentiel, madame, ajouta la maréchale en faisant la révérence; un bâtard
 
 
 
 
  avec un million d’argent comptant, larde peu à se procurer une famille , des amis et une patrie.
  « —Voilà bien comme vous êtes, dit la mar­quise en affectant de la gaîté , si vous eus­siez vécu au tems de Moïse, le veau d’or vous aurait compté parmi ses adorateurs.
  )> — En doutez-vous ; à tout seigneur , tout honneur. Et un porc lui-même formé de ce beau métal.. ..ne m’accusez pourtant pas d’avarice , mais j’ai les mains percées.
  » — Oui, en manière de tonneau des Da- na'ides.
  » — Marquise, vous connaissez aussi bien que moi la fable et l’histoire ; mais que comptez-vous faire de ce seigneur suzerain de trois cent mille écus ?
  » — Un ingrat ! la chose est accomplie. Il me quitte demain et va courir le monde.
  » — A la recherche de son père peut-être ?
 
« — Oh ! peu m’importe^ il part, je ne vais pas au-delà ; mais, permettez que j’aille lui donner son audience de congé. »
 
 
 
 
  Madame de Pompadour, après cette poli­tesse d’usage, passa dans son cabinet de tra­vail. Géréon ne l’entendit pas venir, à tel point il était occupé à contempler une gravu­re qui représentait Alexandrine en costume d’amour. Elle était là souriante, tandis qu’a­vec un de ses doigts elle éprouvait la trempe d’une flèche. L’artiste voulant plaire à ma­dame de Pompadour, avait épuisé son talent à cette œuvre remarquable. Il s’était surpassé. La ressemblance parfaite, le moelleux de la taille, la perfection du dessin devaient plaire aux amateurs, combien plus encore ils char­maient un amant tel que Géréon, Celui-ci examinait avec toute son attention, des traits si bien exprimés et empreints profondément dans son propre cœur. Ses sentimens se pei­gnaient sur sa physionomie, et si, jusqu’à ce moment, la marquise n’eût pas soupçonné la passion qu’il éprouvait pour sa fille, elle l’aurait devinée à la seule manière dont il examinait ce portrait. Ce que ressentit la,,
  mèï'e d’Alexandrine fut étrange ; il y avait sans doute de îa colère dans ce sentiment, et néanmoins elle éprouvait une satisfaction se­crète du pouvoir de la beauté de sa fille. Mais lorsqu’elle vint à se rappeler qu’Alexandrine partageait l’amour du jeune téméraire, toute son indignation se ranima , et s’approchant de l’enthousiaste, elle posa la main sur son épaule.
  « Géréon , dit-elle, avec sécheresse , vous partirez demain î
  » — Non, madame,répondit-il froidement.
  » — Et quel jour donc, daignerez vous commencer votre voyage ? demanda la mar­quise en feignant de se méprendre comme s’il ne se fût agi que d’un délai réclamé par le jeune homme.
  M — Quel jour ! repartit-il, je l’ignore. Je sortirai de chez vous puisque cela vous con­vient, mais m’en aller, je ne le peux.
  » — Et pourquoi? dit la marquise frémis­sant de colère.
 
 
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  » — Si vous aviez voulu consentir naguère à mon envie, j’aurais exécuté le plan que je m’étais tracé, mais lorsque vous me chassez à la manière des laquais qu’on met à la porte, je dois prouver par ma conduite ultérieure à ceux qui me connaissent que c’estsans motif que je suis congédié.
  » — Sans motifs, oseriez-vous le dire ? répliqua madame de Pompadour en élevant la voix; oserez-vous le croire; ne suis-je point en droit de vous congédier? qui me force à garder chez moi un présomptueux, empressé à toujours me déplaire, dont robstination ar­rogante est invincible, qui n’écoute aucun avis, ne respecte rien , qui mérite les repro­ches les plus amers et le châtiment le plus terrible ?
  » — Moi? Madame.
  * — Oui, vous !
  » — Quel est mon crime? est-ce de n’avoir voulu porter d’autre joug que celui de l’a­mitié, de m ètre refusé à ployer en esclave,
  sous le pied dont on prétend écrasermon front; ai-je jamais rien refusé à la prière, au désir exprimé devant moi ? mais , quand avec des formes impérieuses, on me disait drôle, mar­che, je me retirais dans ma juste fierté. Si ce sont là des crimes je m’avoue coupable. Il eût été facile de me conserver innocent.
  » — Je ne daignerai pas entrer en discus­sion avec toi, répondit la marquise en reve­nant à la familiarité par excès de méconten­tement , ni soulever le voile dont tu recou­vres ton ingratitude; qu’il te suffise desavoir que je ne suis la dupe ni de famour-propre impertinent, ni de l’hypocrisie. Tu sais de quoi tu t’es rendu principalement coupable, cela me suffit pour qu’en toi ma rigueur soit justifiée. Ecoute, Géréon, et pèse bien mes pa­roles , les dernières que je t’adresserai, la planche de salut que je t’offre, et malheur à toi si tu ne la saisis pas. Demain tu quitteras Versailles ; tu t’arrêteras un jour à peine à Paris. Tu partiras aussitôt pour Y Italie que tu
 
  »■ -v 25 «
  parcoureras à volonté. Là, tu seras sous la protection spéciale des ambassadeurs fran­çais ; je m’engage à ce qu’elle ne te manque pas; mais si tu persistes à lutter contre moi, le combat sera bientôt terminé et ton voyage non prolongé au-delà des tours de la Bastille ; choisis maintenant ; mais choisis bien, car dans l’un ou l’autre parti que tu accepteras, je ne manquerai à aucune de mes promes­ses. »
  Le début du discours de la marquise avait d abord frappé Géréon droit au cœur. Cette manière mystérieuse de l’accuser lui était claire, et cependant il voulait en douter en­core ; il ne le put plus, lorsque , continuant, elle lui eût offert une double alternative , l’exil ou la prison qui, par sa rigueur, an­nonçait combien la favorite était irritée ; il eut un instantce téméraire jeune homme, la frénésie de se révolter ouvertement contre un pouvoir irrésistible, mais une réflexion prompte lui en démontra la folie, et, à sou
 
  tour déterminé à ne céder qu’après avoir tenté de saisir la victoire, il répondit :
  « Je céderai Madame, ma vue vous est importune, je vous en débarrasserai; je suis venu je ne sais d’où, vous me rejetez dans la solitude du monde, soit : vos désirs seront satisfaits. Demain vous ne me verrez plus. Le reste me regarde; mais , ajouta-t-il, en rou­gissant malgré les efforts qu’il faisait pour se maintenir impassible, me permettrez-vous de faire mes adieux à votre fille ; elle a tou­jours eu pour moi de l’amitié; notre enfance a été si douce !. . .
  » — Non ! vous ne la verrez pas.
  » — Adieu, Madame, dit Géréon en dé- voram ses larmes, je vous remercie de l’hos­pitalité que vous m’avez accordée; vous n’a­vez pas voulu qu elle m’inspirât les sentimens d’un fils. »
  Et en achevant de prononcer ces dernières paroles, Géréon sortit aussi impétueusement
 
  »--► 27" ^
  qu’il était entré ; la marquise demeura immo­bile , préoccupée, et le suivit du regard; puis s’écria :
  » Quelle tête ! »
  11 aurait mieux valu dire quel cœur !
 
  » *• 29 * a
  CHAPITRE II
 
  30 «-«
  Lorsque Rome brûlait , Ne'ron chantait les plaisirs sur sa lyre.
  VotTAiRE , Correspondance.
  L’amour et la jeunesse ont la même im­prudence , et quand ils ferment les yeux , ils s’imaginent que tous les autres sont aveu­gles comme eux.
 
  5
  Le lendemain, tandis qu’une portion de la bonne compagnie courait déjà de grand matin à la sanglante tragédie où Damiens, le régicide, jouerait le premier rôle, la mar­quise de Pompadour se levait fatiguée, cha­grine , elle avait mal dormi, des songes péni­bles ayant troublé son repos. Tant que la nuit dura, elle vit Géreon braver sa colère, et en­traîner Alexandrine dans un abîme où tous les deux tombaient, et d’où le comte de Saint-
 
  Germain les retirait défigurés horriblement. D’autrefois, Damiens, délivré de ses fers, de ses bourreaux, retournait furieux à Versailles, et plongeait un couteau acéré dans le cœur, non du roi de France , mais de la fille de la favorite. Celle-ci s’éveillait palpitante, bai­gnée de sueur, et ne se rendormait que pour se retrouver en présence de ces funestes images.
  Dès que ses femmes l’eurent habillée, elle demanda son maître-d’hôtel. Madame du Hausset lui dit que , depuis quelque tems, il était dans l’antichambre, à attendre ses or­
 
  dres ; on l’appela, il vint, et à la douleur pro­fonde qu’il laissa voir , la marquise devina que Géréon avait obéi ; elle renvoya son cor­tège ordinaire, et demeurée seule avec Collin. Eh bien! dit-elle, qu’est-il arrivé?
 
  — Ce pauvre enfant, dès avant le jour, a pris la route de Paris, décidé de sortir de France dans le plus bref délai possible ; je lui ai voulu donner un domestique, pour le suivie, il m’a supplié de n’en rien faire; j’ai
 
 
insisté, il s’est tu, je lui ai remis mille louis, pour ses premiers besoins, et l’ai prévenu qu’à son arrivée à Turin, il trouverait des lettres de crédit, pour des sommes plus con­sidérables. Tout cela ne l’a point occupé, il a gardé le silence, m’a embrassé en pleurant ( c’était hier au soir que ceci avait lieu), et est entré dans sa chambre. Ce matin, on ne
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  l’y a pas trouvé. Ce billet placé sur son lit, non défait, a été son adieu. »
  Et Collin se détourna, pour essuyer ses larmes; la marquise, en même teins, saisit le papier qu’il lui présentait, et mettant de l’avidité à le lire, sembla vouloir y reconnaî­tre ce que Géréon n’y avait pas mis.
  a Mon père d’adoption, je ne vous quitte » pas ; on me chasse : je cède à la violence, a mais en protestant contre la tyrannie : mon » cœur est brisé... où vais-je, je n’en sais rien... ce serait par trop de lâcheté si je ré­» glais mon itinéraire, sur celui tracé par un » insupportable despotisme... Je fuis, c’est » tout ce qu’on veut, sans doute..., je ne vous
 
  á¡¡— >»
  » oublierai point.. .;enfantobandonné,jeren- » tre dans le droit de ma liberte...; adieu, » ne me faites pas chercher, on n’arriverait » à moi qu’en m’arrachant la vie; adieu , » adieu... Géréon. »
  « Quoi! dit la marquise, avec un sourire amer, rien pour moi, l’ingrat...! »
  C’est ainsi que l’égoïsme se plaint du fruit de son propre ouvrage.
  » Il est parti, poursuivit-elle, et en enfant de mauvaise humeur, nous aurons de ses nouvelles, lorsqu’il aura fini son dernier écu. Allons, Collin, soyez moins triste, on dirait que vous m’avez perdue. »
  Ces mots prononcés avec l’accent du repro­che, intimidèrent le tuteur de Géréon, il s’excusa d’une faiblesse pardonnable, préten­dit-il, à cause de la longue habitude qui le liait à cet étourdi.
  « Oubliez-le, comme il le mérite; mon af­fection vous reste, c’est un dédommagement qui peut vous consoler. »
  Ce fut avec des exclamations de surprise
 
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  fet de reconnaissance que le thaï tre-d’hôtel.
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  surmontant son chagrin, répondit à la mar­quise; il savait combien pour se maintenir dans sa faveur, il fallait se montrer dévoué à sa personne, et il se conforma* eh cette circonstance à l’étiquette de la maison.
  Ceux que la fortune élève , se plai­gnent lorsqu’ils sont retombés à leur pre­mier niveau , de ce que , pendant leur puissance, la flatterie les trompait et les maintenait dans un aveuglement continuel; ils ne veulent passe rappeler qu’eux-mêmes ont provoqué ce mensonge permanent , en exigeant, non du respect,, mais de l’idolâ­trie; en voulant être toujours adorés, en poursuivant de leur haine quiconque leur parlait vrai et tâchait de les retirer de cette route dans laquelle ils prétendaient se maintenir ; peuvent-ils justement accuser au­trui , lorsque seuls, ils ont tissé le filet dont on les a enveloppés.
  La marquise, plus que tout autre aurait
 
  pu s’appliquer la maxime d’Orosmane dau^ Zaïre ,
  Je me croirais haï d’être aime' faiblement.
  Et attendu quelle n’aimait personne, elle était plus entière à prétendre à l’amour de chacun. Les démonstrations de Collin la contentèrent; elle lui recommanda ensuite d’attendre, pour annoncer au reste de la maison que son pupille ne reviendrait plus, quelques jours encore, et faisant cette injonc­tion , elle portait son idée sur Alexandrine,
  à qui il fallait ménager l’étendue de cette nouvelle qui, peut-être, la frapperait dou­loureusement.
  Mais, Madame de Pompadour s’y pre­nait trop tard ; la disgrâce de Géréon était connue ; déjà la femme de chambre d’A- lexandrine le lui avait conté; la pauvre en­fant, frappée de douleur, n’avait pu venir ce malin selon sa coutume embrasser sa mère, et celle-ci trop préoccupée, ne s’en
 
 
 
  était pas encore aperçue, mais la pensée lui en vint aux humbles excuses que Collin lui adressa relativement à un fait accompli. Les domestiques, depuis le point du jour, sa­vaient que Géréon ne reparaîtrait plus.
  « Et sans doute que ma fille sait déjà qu’elle a perdu le compagnon de son enfance... ? j’aurais voulu la préparer à ce léger chagrin ; mais puis que le mal est fait, vous pouvez aller à vos affaires, mon cher Collin , pour­suivit-elle. j)
  Le maître-d’hôtels’éloigna, et, en même tems, Àlexandrine qui sentait la nécessité de se présenter devant sa mère, entra, mais non pas avec sa gaîté accoutumée ; il était aisé de reconnaître que naguère* encore elle ver­sait des larmes, et qu’un sombre nuage couvrait son front. La marquise, à cette vue, prenant son parti.
  « Te voilà bien chagrine, mon enfant, dit-elle, Géréon nous a quittés, il ne faut s’en prendre qu’à lui, qu’à ce caractère in­domptablej’aurais souhaité qu’il ne
 
 
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  nous délaissât jamais, il s’est opposé à mon désir, tu as raison dele regretter; c’était top ami.... le monde te présentera des distractions, il te reste une mère tendrement attachée à te procurer le bonheur. »
  Alexandrine aurait pu répondre que ce bonheur aurait été facile à lui accorder, puisqu’il eut suffi de la présence de Géréon ; mais déjà remplie de défiance à l’égard de sa mère, et voyant avec quelle vivacité celle- ci avait congédié Géréon, Alexandrine n’eut que des larmes pour réponse ; on ne l’en gronda point, la prudence de la marquise comprenait que toute opposition à ce pre­mier moment, serait plus pernicieuse qu’u­tile, et qu’il fallait laisser s’épuiser ce déses­poir qui, à cet âge, dure si peu.
  Alexandrine , de son côté, essaya de le vaincre, du moins en apparence. Plus l’a­mour prenait de la force au fond de son cœur , moins il tendait à se manifester encore. Une pudeur naturelle au jeune âge et à l’innocence, ne lui permettait pas
 
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  d’éclater dans toute son énergie; Alexan­drine, d’ailleurs, ignorait ce qui s’était passé, ne pouvait croire, quoiqu’on put lui dire, que Géréon ne reviendrait plus, et tant qu’elle conservait cette espérance, convenait- il de se désespérer entièrement ? Elle se fit la promesse que, d’aucune manière, oti n’ob­tiendrait d’elle un acte contraire à ce qu’elle avait juré à son ami, et, plus calme, une fois cet engagement pris, avec sa propre volonté, elle essaya de sourire ; l’effort lui fut pénible, elle y parvint néan moins, et sa mère alors pleinement trompée, s’applaudit delà ma­nière dont elle avait dénoué une intrigue qui n’aurait été à craindre que parce qu’on au­rait souffert qu elle se développât en paix. Le reste de la journée s’écoula tristement; on ne s’occupait à Versailles que du supplice de Damiens ; les moindres particularités avaient été réglées avec l’exactitude d’une cérémonie de cour, et le programme des tor­tures relié en maroquin rouge, fut présenté au roi de France à son lever. Un autre prince
 
  que Louis XV, aurait repoussé avec indigna­tion un pareil cadeau, mais lui, s’ennuyait tant, trouvait îa vie si longue, qu’il se sen­tait porté de reconnaissance envers tous
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  ceux qui cherchaient à le distraire, ne fût-ce que pour un moment ; or , les détails d’un supplice aussi atroce, avaient au moins le mé­rite de ïa nouveauté. On trouvait là comment Damiens subirait un supplément de tortures, ce qui constituerait l’acte d’apiende honora­ble qui devait être fait, selon l’usage, à la­porte de l’église de Notre-Dame, la route que le patient suivrait pour aller de la Concierge­rie à la place de Grève et sans oublier le nom­bre de médecins chargés de constater le de­gré des souffrances préparatoires que Damiens pourrait supporter. La description de l'échaf- faud était là aussi, et le nombre de chevaux demandés pour écarteler ce misérable ; que la main droite de celui-ci qui avait frappé le seigneur roi , serait d’abord brûlée dans un feu de souffre, avec le couteau parricide qui y serait solidement attaché, qu’en suite on le tenaillerait tant de fois aux bras, aux ma­melles, aux cuisses, aux jambes et les tenail­les rougies à blanc ; que puis on verserait tour-à-tour dans ses blessures ouvertes , le plomb fondu, l’huile bouillante , la résine, la cire, et le souffre en liquéfaction; que, lorsque ces préliminaires seraient achevés , Damiens attaché par les quatre membres aux chevaux amenés à cet effet, serait écar­telé, jusqu’à ce que mort s’en suivit; et qu’enfin pour terminer, ses membres déta­chés du tronc et celui-ci avec, seraient con­sumés dans un bûcher allumé tout auprès.
  A voir l’attention que mit le monarque à lire ce progamme, on aurait pu croire qu’il le trouvait consigné dans une chronique du on­zième siècle, et que le fait augmenté par l’i­magination bizarre du moine auteur, s’était passé chez un peuple barbare ; non, la chose, au contraire avait été méditée en France par des hommes éclairés et à une époque de civi­lisation avancée. Le roi ne se sentit point porté à user de clémence pour abréger au
 
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  moins ce cérémonial atroce, il se contenta de dire :
  « Il paraît qu’il en sera pour ce monsieur, tout comme il en a été pour Piavaillac ! »
  Et ceux qui étaient là admirèrent 1 érudition du roi de France. Celui-ci se mit à dire à madame de Pompadour que le tems lui serait plus agréable à passer au petit Trianon ; que, d’ailleurs,il avait médité la nuit précédente sur une façon toute nouvelle d’aprêter des pigeons au basilic, et qu’il avait de l’impa­tience à voir si le succès répondait à la théo­rie de son travail.
  Louis XV possédait peu de talens , mais il se croyait cuisinier. Ce rôle bizarre en un puissant monarque , il le jouait avec plaisir. C’était communément au petit Trianon qu’il venait de faire bâtir, ou dans les petits ap­parie me ns de Versailles qu’il se livrait à sa récréation favorite; on établissait une table , des fourneaux portatifs ; on plaçait dans des corbeilles recouvertes de taffetas rouge ou vert, la viande et les legumes ; le beurre, les
 
  autres ingrédiens étaient mis auprès de Sa Majesté, et ce soin préliminaire terminé, le roi se mettait à l’œuvre. Que Dieu eût voulu qu’il eût tenu son sceptre avec autant de suc­cès que la casserolle, la France aurait été mieux gouvernée, et les événemens qui ame­nèrent la chute de la monarchie , n’auraient pas eu de cause.
  L’élite de la cour, M. de Soubise, de Chau- velin, de Richelieu , de Guiche , d’Ayen, quelques autres, faisaient les aides de cuisine, préparaient les divers assaisonnemens , ou dressaient (ceci pas toujours) ; car Louis XV, rempli d’un véritable amour-propre de son art, tenait à présenter aux convives des mets entièrement confectionnés de sa main. On servait chaud et on mangeait vite ; chaque plat obtenait un concert d’éloges que le roi recevait avec une modestie parfaite; il eût beaucoup souffert si l’appétit eût été silen­cieux .
  Ce fut donc au petit Trianon que le roi sui­vi de madame de Pompadour, de Biancas ,
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  d’Esparbès et d’Amblimont, alla passer le reste de cette lugubre journée. Les dames demeurèrent dans le salon d’enbas, et tandis que Damiens subissait son horrible supplice, le roi donnait tous ses soins à bien réussir son plat de pigeons au basilic ; ce n’est pas que, de tems à autre, il ne songeât au misé­rable alors en proie à d’épouvantables tortu­res ; le duc de Richelieu s’étant approché de trop près du fourneau, une étincelle partit et le brûla sur la main.
  « Oh ! dit-il, le feu est piquant !
  » — Que doit-il être lorsqu’il est mêlé au plomb fondu et à l’huile bouillante comme l’éprouve maintenant le Monsieurl dit le roi.
  » — Ah ! Sire , qu’est-ce que les tourmens qu’il a si bien mérités, répliqua le duc , au­près de ceux que l'enfer lui destine ?
  * — Et s’il se repent, il ira au ciel tout droit.
  »-Oh! non ! Dieu sait ce qu’il doit au roi, et l’assassin de Votre Majesté ne peut éviter quelques millions d’années de purgatoire.
 
  » — Je ne vous croyais pas théologien ? monsieur le Duc.
  » — J’ai assez de Sorbonne pour ne pas dé­shonorer le chapeau de cardinal, si le roi voulait que j’en couronnasse mes bâtons de maréchal de France. »
  La pensée de voir le duc de Richelieu en soutane rouge et membre du sacré college excita la gaîté du roi au point de détourner le cours de ses idées et de bannir la pensée du supplice de Damiens ; d’ailleurs les pigeons au basilic étaient prêts : on appela les daines et on se mit à table joyeusement. Le repas fut long , des chansons plaisantes furent chantées par chacun des convives , et le roi avec une voix la plus fausse du royaume, en­tonna son air favori, celui du Devin du villa­ge : fai perdu mon serviteur. Les éclats de rire se faisaient entendre au loin ; ils n’auraient pu servir d’echos aux hurlemens de Damiens. La partie de plaisir se prolongea bien au-de­là de l’écartellement de ce misérable qui dura néanmoins une forle partie de la journée, et
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  Ja flamme avait dévoré ses membres hideuse* ment déchiquetés, lorsqu’à minuit la corn- gnie se sépara.
  Madame de Pompadour ne revint pas cou­cher à Versailles.
  L’absence de la favorite devenait le signal d’un peu de liberté accordée à tous ceux de sa maison ; dès qu’elle était partie chacun prenait sa volée, à peine s’il restait dans l’ap­partement les domestiques chargés d’en ré­pondre. Ceux-ci même , les portes une fois fermées, s’étaient retirés soit dans leur cham­bre , soit aux communs et ne s’occupaient guères plus de ce qui était néanmoins confié à leur surveillance.
  Alexandrine, en ces momens, subissait la destinée de tous les objets précieux apparte­nant à sa mère; on la laissait complètement seule, sa gouvernante comme les autres ; et elle était la maîtresse d’aller et de venir à vo­lonté. Accoutumée, dès son enfance à ses manières, elle ne s’en plaignait jamais à sa mère, et, loin de là, trouvait aussi du plaisir
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  à 1 indépendance de sa solitude. C’était dans des heures pareilles que son intimité avec Gé- réon avait pris de l’accroissement ; car lui, loin de la quitter, demeurait auprès d’elle , cherchant à la faire divertir lorsque chacun l’abandonnait; il aurait pu abuser de tant
  de facilité pour corrompre le cœur de cette
 
  jeune personne lorsque tous les deux avaient grandi, mais trop délicat, trop vertueux , dans sa vivacité il ne cessa de respecter l’in­nocence de sa belle amie, et nul autre ne la conserva pure aussi religieusement que lui.
  Le jour du supplice de Damiens, du dé­part de Géréon et des travaux culinaires de Louis XY , Alexandrine, vers l’après midi, se trouva dans l’isolement ordinaire quand la marquise n’était pas là pour retenir ses gens dans leurs devoirs; madame de Villeperse, la gouvernante, prévint son élève qu’elle al­lait voir pendant quelques minutes la gouver­nante de mademoiselle de Rohan. C’était l’avertir que son retour n’aurait pas lieu avant la nuit close. Chacune des autres fem-
 
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  mes de service s’éclipsèrent pareillement. La livrée avait déjà disparu ; Collin qui aurait pu la retenir, venait de se mettre en route pour Paris, dans l’espérance que Géréon, en quit­tant Versailles, se serait rendu à l’hôtel de madame de Pompadour devenu aujourd’hui le palais de l’Élysée.
  Alexandrine demeura seule ou à peu près ; les personnes qui n’abandonnèrent point l’ap­partement étaient d’un rang à ne paraître de­vant elle que par nécessité et non autrement. Désolée au plus profond de l’âme de la fuite de Géréon, nul plaisir n’aurait pu la retirer de sa mélancolie ; elle s’était refusée avec obstination à suivre sa gouvernante chez ma­demoiselle de Rohan, se faisant plutôt une fête du silence et de la solitude qui ne tarde- raientpas à l’environner .A mesure qu’une por­te était fermée à clef par celui qui s’éloignait, la jeune fille se trouvait soulagée, et quand elle eut acquis la certitude qu’elle était seule, sa poitrine respira plus librement; alors, ap­prochant un fauteuil de la fenêtre la plus
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  voisine., elle essaya de se dérober à sa mélan­colie en attachant ses regards sur les jardins de Versailles et sur le tableau mouvant qui ne cessait de l’animer.
  Son cœur, loin de prendre le moindre in­térêt à cette occupation extérieure se révolta contre, et redoublant l’activité des sensations intérieures, replongea bientôt après la fille de la marquise de Pompadour dans sa morosité précédente ; beaucoup de tems s’était écoulé sans quelle changeât de position ou revînt à elle; plongée dans une méditation vague, qui tient le milieu entre l’existence et l’anéantis­sement , et si bien connue de ceux placés sous i’émpire d’une peine morale, elle était deve­nue étrangère à tout ce qui pouvait se faire à l’entour , et si elle avait entendu ouvrir la porte de sa chambre, ce bruit avait si peu frappé son ouïe qu’il n’était pas parvenu à son entendement. Néanmoins, on marchait tout auprès d’elle, on soupira doucement... ce soupir, bien faible pourtant, eut sur elle plus d’empire que le reste; Alexandrine très-
 
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  saillit, se retourna, et, se soulevant, retom­ba sur son siège en poussant un cri commen­cé au ton de i’eiïroi, et terminé par celui de la satisfaction la plus douce. . . - Géréon se trouvait devant elle ; cet ami si regretté, cet amant dont elle ne cessait de déplorer la fuite inattendue, il était là à genoux, passionné, lui tendant les bras, et en même tems la sup­pliant de se contenir, de n’avoir point peur.
  Alexandrine, dès quelle se fut assurée du bonheur que le ciel lui procurait, n’écoutant pas d’ailleurs les bienséances de notre sexe qui, à son âge, ont si peu de force, s'élança dans les bras qui s’ouvraient pour la recevoir, et des baisers, donnés et reçus, se confon­dirent avec les larmes que ses yeux versaient encore.
  « Est-ce toi, Géréon ? disait-elle ; toi que je peux revoir; une illusion me trompe-t-elle ? oh! non, c’est une douce réalité, mais on in’a dit que tu nous avais quittés, que c’était sans retour. . . sans retour. ... te serais-tu séparé ainsi de ton Alexandrine?
 
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  » '— Chère amie, répondit le jeune homme dont la physionomie portait à la fois J’em­preinte de son bonheur présent et du chagrin qui, naguères, le déchirait; il est vrai qu’on exige qufe je m’éloigne, qu’on m’a donné la cruelle alternative ou d’aller mourir dans l’exil, car ma mort est certaine si je ne te vois pas, ou de finir pareillement mes jours dans un cachot de la Bastille... »
  Aiexandrine, sans interrompre son amant, ne put néanmoins, lorsqu’elle entendit ces paroles, s’empêcher de le serrer dans ses bras avec une nouvelle vivacité; lui poursuivant : « J’ai feint de céder à cette volonté tyran­nique , de me résoudre à partir, mais partir sans te voir, sans te parler de mon amour, sans jouir au moins une fois encore de la sa­tisfaction de t’entendre exprimer le tien ; voilà ce qui eût été au-dessus de mon énergie; je voulais me retrouver encore avec toi, et, pour y parvenir, je me suis déterminé à trom­per tout le monde. »
  Géréon , ensuite , lui apprit qu’il s’était dé-
 
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  cidé à feindre un départ subit, mais qu’au lieu de sortir de Versailles , il avait cherché un asile dans le château même ; il s’en était procuré un où il serait difficile qu on put le découvrir ; il avait., depuis plusieurs années, trouvé dans un escalier secret conduisant de l’appartement de la marquise dans les com­bles, une petite pièce éclairée par une fente pratiquée adroitement derrière une des sta­tues qui ornaient la façade, vers les jardins , et dont l’entrée était masquée par une boi­serie. Il fallait que la connaissance de ce ré­duit se fût perdue, car il n’était pas habité , bien qu’il y eut un ht élégant, et tout ce qu’il fallait à l’usage d’une personne.
  « C’est dans ce lieu, ajouta Géréon, que je me retirais chaque fois que le repos et la re­traite me devenaient nécessaires. Bien souvent on me grondait de mes absences ; on allait à une quête dans la ville et dans le parc, et moi, heureux de me dérober à volonté aux exigences d’autrui, je me gardai bien de ré­véler le secret de mon habitation mystérieuse.
 
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  C’est là où j’ai couru me cacher dès avant le jour et où je demeurerai jusqu’à ce que mal­heur m’arrive. »
  Alexandrine, heureuse de revoir son amant, admira le honheur de ce secours inespéré, et s’inquiéta comment il ferait pour vivre. Gé- réon répondit qu’un jeune domestique plus particulièrement attaché à sa personne parmi celles aux gages de la marquise, était dans sa confidence. Allin, dit-il, m’est fort dévoué ; je lui ai promis, d’ailleurs, douze mille francs s'il ne me décélait pas, et il aura le soin de me fournir ma nourriture. Ceux qui me veu­lent du mal iront me chercher hors du royaume, et, certes, ne me soupçonneront jamais aussi près d’eux. Tu pourras venir me voir bien souvent, et, moi-même, les jours de voyage de Madame, et tandis qu’Allin fera le guet, je descendrai dans ta chambre comme je le fais aujourd’hui en pleine sûreté. Nous défierons ainsi ceux qui veulent nous séparer, et il y aura du bonheur dans cette vie précaire. Alexandrine, sans répondre.
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  serra de nouveau son jeune ami dans ses bras et tous les deux se livrèrent à un bonheur dont ils ne prévoyaient pas la fin.
 
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  CHAPITRE III.
 
  L’orgueil est souvent le valet très-humble nie l’ambition.
  Recueil de Maximes.
  La plus subtile des finesses est de savoir bien feindre de tomber dans les pièges qu’on vous tend , et l’on n’est jamais si aisément trompé que quand on songe à tromper les autres^
  Là RochefoijcAULT , Réflexions morales.
 
  ELLES SONT DEUX CONTRE UN.
  L'imprudence des amans est extrême ; ils ne doutent de rien de ce qui leur plaît, demeu­rent persuadés que la fortune ou la Provi­dence les soutiendront, que ce qu'ils dési­rent réussira, que ce qu’ils prétendent cacher demeurera inconnu à tous, eP, remplis de confiance en leur bonne étoile, ils bravent la jalousie, la perspicacité, la réflexion, tout enfin de ce qui les perdra sans doute.
  Alexandrine non moins que Géréon trouva
 
 
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admirable cette façon de vivre. Le mystère dont l’un d’eux s’envelopperait afin de ne pas se séparer de l’autre. C’était d’ailleurs une chose facile, bien sure. Nul ne s’aviserait de la découvrir et combien de semaines, de mois, d’années , un tel manège durerait-il? Aucun des deux ne s’en tourmenta. Il en est, en amour, de l’avenir comme du passé, ce sont deux portions de la vie dont alors on ne s’occupe guère ; on ne voit que le présent, la portée de ceux qui aiment n’allant pas au-
  delà.
 
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  nouveau envers lui à une fidélité sans bornes , et le reste de la journée s’écoula dans les dé­lices d’une tendresse innocente. Géréon ne se troublait pas en se demandant à quoi abou­tirait cette intrigue, il espérait la main d’A-- lexandrine d’un seul miracle, et pourtant cette hypothèse extravagante lui semblait naturelle et comme ne pouvant manquer de se réaliseï un jour.
 
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  ils ne se séparèrent qu’à la dernière extré­mité; Alexandrine, pour la première fois, fit attention à ce que l’escalier qui conduisait à la cachette de Géréon s’ouvrait dans le cor­ridor de dégagement et près de sa chambre ; elle poussa l’étourderie jusqu’à vouloir ac­compagner le jeune homme hors de chez elle; ce qui devait les perdre les sauva. La des­tinée en cette circonstance fut pour eux, afin sans doute de leur rendre plus chères les ri­gueurs dont peut être elle les frapperait bien­tôt.
  Lorsqu’Alexandrine parut au lever de sa mère, celle-ci demeura frappée du change­ment prodigieux qui s’etait opéré en elle. La veille un morne souci couvrait cette figure si naïve, si animée naturellement, des pleurs avaient plombé ses beaux yeux, et, ce ma­tin , par un effet contraire, la sérénité bril­lait sur son front d’ivoire, le contentement étincelait dans son regard, et sa bouche s’ou­vrait avec cette expression de bonheur et de volupté que procure le seul amour satisfait.
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  La marquise possédait une trop haute ex­périence pour ne pas trouver étrange cette ré­solution subite, et la cause en fut attribuée à peu près à la vérité. Ou Géréon aurait revu Alexandrine ce qui paraissait impossible, ou il aurait communiqué au moyen de quelques lettres. Qui était vrai dans cette double con­jecture, il aurait fallu, pour le savoir, surpren­dre le secret de la jeune fille, soit par ruse, soit par une attaque directe ; et l’indécision de Madame de Pompadour sur lequel des deux moyens était préférable, l’empêcha d’en adop­ter aucun.
  Sa curiosité fut néanmoins vivement in­quiétée; que c’était—il donc passé? était-ce un effet de la légèreté de l’âge d’Alexandrine? oubliait-elle facilement Géréon. La chose plai­sait trop pour être repoussée. L’espèce hu­maine a pour usage constant, et de là vient la majeure partie des fautes quelle commet, de vouloir ne regarder les choses que comme elle voudrait qu’elles fussent et non comme elles sont véritablement. La vie est une perpétuité
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  d’illusions qui combattent contre le positif, de manière à ce que, par notre propre faute, il revient presque toujours à notre détriment.
  En conséquence de ce principe, la mar­quise, après avoir réfléchi et surtout s’être in­terrogée soi-même, jugea simple que sa fille si désolée la veille, se fut consolée dans l’intervalle d’une seule nuit; elle s’applaudit d’une telle conduite, et ne douta pas que bien­tôt j et avec facilité , elle né put amener Alexandrine à consentir au mariage qu’alors elle s'obstinait à refuser. Mais, ce mariage, comment se coneluerait-il? Le duc de Riche­lieu avait reçu avec transport son brevet de général en chef, et sans pour cela parler du projet entamé entre lui et la marquise; fal­lait-il tant de délais pour communiquer à cer­tains membres de la famille son désir d’al­lier son fils à la marquise de Pompadour? Ce délai par trop prolongé, ne devenait-il pas une défaite ? Ce que le comte de Saint-Ger­main lui avait dit revenait à son esprit et l’in­quiétait.
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  Lafàvorite, accoutumée à ce que tout ployât devant ses fantaisies , avait horreur de la con­tradiction ; celle-ci serait outrageante, et cer­tes, la supporter très-paisiblement deviendrait impossible. Il fallait sortir de cet état d’incer­titude , connaître enfin la pensée réelle du ma­réchal, et cette fois la marquise ne voulut pas que M. de Gontaut se chargeât du message; son habileté lui montra qu’une femme convien­drait mieux, qu’elle aurait des droits à con­traindre M. de Richelieu à formuler une ré­ponse positive qu’un homme ne possède pas. Qui enverrait-elle en ambassade ? la duchesse de Brancas, elle était trop sévere; la mare-' chale de Luxembourg ? elle ne possédait pas,
  à cette époque la considération qu’elle obtint depuis. La comtesse d’Amblimont? elle était trop jeune; madame d’Esparbès? trop jolie ; et, d’ailleurs, déjà on instinct secret éloi­gnait de celle-là madame de Pompadour „ qui, souvent, s'inquiétait du plaisir que le roi mettait à la regarder ; le choix ainsi pro­mené sur toutes les femmes île ta socle;é in-
 
 
 
  finie, se reposa enfin sur la maréchale de Mi­repoix. Elle possédait autant d’esprit que de manège, était rompue aux intrigues du châ­teau, et avait, depuis long-tems, pardonné au duc de Richelieu la mort de son premier mari, le prince de Lixen, que celui-là avait tué en combat singulier il y avait nombre d’années. Cependant, le duc n’allait pas chez madame de Mirepoix en intimité, mais il ne se refusait pas d’y paraître s'il y était appelé par missive expresse, et certes, madame de Mirepoix quoique l’avant admis en grâce, ainsi que je l’ai dit, ne serait pas fâchée pareille­ment de la charge d’une mission que ma­dame de Pompadour s’avouait tout bas pou­voir ne pas être très-agréable à ce fier sei-
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  gneur.
  En conséquence de cette détermination, elle envoya prier la maréchale de Mirepoix de venir la trouver le plus tôt possible, pré­textant d’un cas subit d’indisposition pour se justifier daller elle-même chez cette dame, au lieu de la mander familièrement. La ma-
 
  réchale de Mirepoix ne se tourmentait guère au fond de ces formes de hauteur, et un jour que le prince de Beauveau son frère, lui fai­sait des représentations sur l’excès de ses complaisances envers la favorite, elle lui ré­partit.
  « Ce que je perds en dignité, je le regagne en beaux louis de poids, la compensation me paraît solidement établie. »
  La maréchale accourut au désir manifesté de son exellente amie, toutes les deux s’en­fermèrent au plus profond de l’appartement ; madame de Pompadour raconta à madame de Mirepoix tout ce qui s’était passé, relati­vement au mariage projeté, et qu elle pou­vait ignorer, et lui demanda de presser là-des­sus le duc de Richelieu, de telle sorte qu’il eût à fixer le jour de la passation du con­trat ou à rompre, si toutefois il voulait en courir les chances.
  Rien ne pouvait être plus agréable à l’am­bassadrice choisie qu’une pareille négocia­tion, à part le déplaisir qu’en aurait le duc
 
 
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  et dont elle jouirait, il en résulterait néces­sairement une nouvelle abondance de fa­veurs et de grâces royales à tel point la mar­quise avait T usage de faire payer par FÉtat ce qui ressortait dé ses dépenses particulières. Madame de Mirepoix accepta avec transport, et promit que, dès le jour suivant, elle ap­porterait une réponse positive.
  C’est un plaisir, sans doute, à la cour, que de réussir dans ce qu’on désire ; mais c’est toujours un bonheur en ce lieu que de contribuer à faire de la peine à ceux qu’on n’aime pas. L’activité vers ce double but est exessive, et ou s’y porte avec tant d’âpreté qu’on ne peut le concevoir lorsqu’on n’est pas un des habitués de cette maison.
  La maréchale de Mirepoix ne pouvait trou­ver mieux, pour contrarier un homme qui l’avait privée de son premier mari. Aussi sai­sit-elle l’occasion aux cheveux, elle ne crut pas devoir écrire. Un billet de sa main aurait pu la compromettre un jour, mais elle dépê­cha son écuyer vers le vainqueur de Mahon
 
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  avec l’ordre de le prier de venir la voir dans la journée, attendu (’urgence du cas dont elle avait à lui parler.
  Un rendez-vous avec madame de Mirepoix, quel qu’en fut le motif, parut piquant au duc de Richelieu, il y avait d’ailleurs, à cette époque , de telles règles d’urbanité, si stricte­ment observées, que, quelle fut l’arrogance P l’impertinence de ce seigneur, il n’aurait pas osé refuser de répondre par la désobéissance à ce que lui demandait une femme du rang de madame de Mirepoix.
  La génération actuelle si impolie, pour ne pas dire grossière, aura de la difficulté à comprendre qu’il y eut alors un joug irrésis­tible autre que celui de l’intérêt, qui obligeât des égards dépuré convenance sans qu’aucun gain fût au bout. Il en est aujourd’hui de la politesse comme de tout autre moyen de faire fortune, on ne l’emploie qu’en forme de spéculations envers ceux dont on attend quelque chose ; on la refuse net à qui ne nous rapportera rien; on passe, on s’assied aux
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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  près d’une femme sans aucun hommage , sans aucuns égards muets dus à son sexe : si elle est jeune on la lorgne ; est-elle vieille, on la tourne en ridicule, et ceci sans aucun remords, sans aucun embarras- Il y a quel­ques exceptions, mais rares: tout ce qui ne procure aucun avantage, est dédaigné par le jeune France ; c’est à nous autres à nous accommoder à ces formes ; peut-être aurions- nous pu empêcher qu elles ne s’établissent ; mais, je dois en convenir, nous avons eu tort. Les hommes sont en général ce que les femmes veulent qu’ils soient ; ne nous plai- gnons-donc pas de ce qu’ils sont.
  Madame de Mirepoix instruite, par son écuyer de l’heure à laquelle le maréchal de Richelieu viendrait, ht fermer la porte à tout autre, afin d’avoir le loisir de le rece­voir sans être dérangée. I! ne manqua pas» Le feu roi Louis XVIII a dit avec autant de bonheur que d’esprit, que l’exactitude est la politesse des rois ; elle devrait l'être de tout le monde, et, à part l’inconvenance
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  si commune de ne pas répondre à une lettre qu’on nous écrit, celle de retarder un ren­dez-vous, de [’ajourner, de sauter par des­sus, est encore si ordinaire que, lorsqu on s’en plaint, on a l’air d’être exigeant.
  Le duc en entrant, et après avoir salué profondément la maréchale, prit sa main, la baisa avec respect, et se mit à dire.
  u J’ai eu, Madame, une vive satisfaction â recevoir votre message. Depuis long-tems je souhaitais une explication sur un bien triste cas . •* «
  » .— Monsieur le Maréchal, nous ne de­vons dater que de l’heure présente.
  » — Je voudrais reculer pourtant, moi, au moins de près d’un demi-siècle ; cela ne me déplairait pas. Je sens le poids de mon âge; il n’y a que les femmes qui ne vieillisseot jamais..... Oh! oui, Mesdames, vous vous conservez toujous fraîches, jolies, et si vous perdez le tems, c’est lui encore qui perd mieux son compte avec vous.
  » — À vous voir, repartit Madame de
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  Mirepoix, on croirait que, vous aussi usez du même privilège.
  » — Honorez moins des ruines, elles ne peuvent guères que rappeler des souvenirs.
  » —Cependant à entendre certaines mau­vaises langues
  _ J*­» —Dites bonnes, s’il vous plaît, pour
  peu qu’elles m’accusent de faits de galan­terie ; hélas ! je cherche à me maintenir dans que j’ai été.
  » — Vous allez acquérir une nouvelle moisson de gloire, et le beau commande­ment que vous devez à l’amitié de madame de Pompadour
  » — Ma vie entière, répondit M. de Ri­chelieu avec emphase, ne pourra suffire à me montrer reconnaissant.
  « — Eh bien ! puisque ce noble senti­ment remplit votre belle âme, repartit Madame de Mirepoix, saisissant en habile joueuse la balle qui lui était lancée, l’occa­sion se présente superbe de la manifester.
 
  ► 70 «-h**
  Où en êtes-vous du projet de mariage en­tre sa fille et AL le duc de Eronsac? »
  A cette question inattendue, ie maréchal eut à retenir un mouvement d’impatience qui lui échappait. II savait que madame de Mirepoix devait être sa. plus mortelle enne­mie , il y aurait eu à lui de la folie à four­nir des armes propres à le battre; aussi ré­pliqua-t-il spontanément.
  Je suis en règle, j’ai écrit à la Cour de Vienne et j’en attends la répo nse.
  » — Et si elle se retarde? ,
  » — Un peu de patience suffira.
  » — Et si elle ne vient pas si elle est
  contraire. »
  » — Alon Dieu ! Que vous prévenez les obstacles de loin; je suis persuadé que l’em­pereur sera gracieux pour la marquise. Est-ce que l’auguste Marie Thérèse ne lui écrit pas familièrement ? Voudra-t-elle la contrarier en un point qui blesserait son cœur? non. sans doute , un délai suffit; voilà tout.
 
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  » — Monsieur le maréchal, souhaitez-vous que je vous parle comme amie?
  )) '— Ah ! Madame, un tel titre m’est si précieux, que, pour le mériter, ma reconnais­sance serait extrême.
  » — Eh ! bien puisque vous m’autorisez à m’expliquer à cœur ouvert, pressez la ré­ponse de Vienne ; pressez-la vivement, adres­sez-vous pour l’avoir promptement au comte de Stainville si elle se retarde trop.. ; il serait possible.« .
  « — Achevez, demanda le Duc.
  » —■ Que le prince de Soubise vous enle­vât le commandement que vous venez d’ob­tenir.
  » — Ce serait un acte....
  » — La volonté du roi est souveraine.
  » — Qui le nie, Madame, qui ne la res­pecte même dans ses erreurs.
  » — Ses erreurs ! Monsieur , mais voilà une hérésie dans le credo de Versailles; l’in­faillibilité du monarque est bien autrement admise en article de foi que celle du pape.
 
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  )) — Et, par conséquent, celle de la mar­quise dePompadour, dit M. de Richelieu en essayant un rire forcé.
  >; — Vous ne pouvez douter que des en­nemis nombreux vous environnent ; que leur attention nes’attache qu’à saisir vos points vul­nérables; je sais qu’ils se remuent beaucoup en ce moment , qu’ils circonviennent ma chère amie ; elle a des conseils. Les habiles gens voient de loin, et plus d’un déjà pousse la malice jusqu’à prétendre que vous avez cherché une défaite pour retarder le mariage que vous avez sollicité vous-même.. »
  Un geste du maréchal de Richelieu protes­ta contre l’assertion de madame de Mirepoix qui continua :
  « Et que vous l avez trouvée en mettant en avant la nécessité d’obtenir P agrément de la maison de Lorraine,
  » .— Voilà une abominable calomnie ! s’é­cria le maréchal, d’autant plus conduit à dis­simuler aux yeux de madame de Mirepoix 3 qu’en secret il était consterné qu’on eut si
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  - bien pénétré sa pensée intime., mais ces men­songes peuvent me brouiller avec une femme que je respecte, que j’aime ; assurément j’au­rai avec elle une explication sur ce point ca­pital. . M’était-il possible de marier mon ilîs sans en prévenir ses parens augustes ? Qu’au­riez-vous fait à ma place, madame la Maré­chale ?
  » — Vos ennemis diront que la noce faite,
  vous auriez pu la leur communiquer.
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  » — Un tel manque d’égards. ..
  » — Aurait été fort agréable à la mar­quise.
  « — Elle m’en veut donc, elle est préve­nue contre moi, elle soupçonne ma sincé­rité ?..
  » — Mon cher Duc, nous sommes à Ver­sailles.
  »—Oui, c’est un pays où on ne peut accorder à autrui ce dont on manque soi-même. .. : je n’applique pas ceci à la marquise, c’est une
  thèse générale.. . ; mais vraiment je suis au désespoir.
  )) — Prouvez-le en pressant Paffaire; en­tendez-vous avec elle, je vous le dis. .. là.. . de bonne amitié ^ vous vous en trouverez mieux et le prince de Soubise n’aura pas vos restes ; il est cependant un ami de cœur. »
  M. de Richelieu, tourmenté par la marche que prenait cette intrigue dont il avait atten­du un si bon résultat, ne songea pas à de­mander à madame de Mirepoix si tout ce qu’il entendait venait d’elle ou de la favorite; c’en était assez qu’il le sût pour qu il avisât au moyen de s’en débarrasser.
  Il y a des cas où il faut se décider prompte­ment, où le succès dépend delà célérité d’une démarche. Le maréchal qui le comprit , reprenant la parole, dit que si madame de Mirepoix voulait le conduire sur-le-champ , chez la marquise de Pompadour, il s’expli­querait à l’heure même avec celle-ci. Cette proposition convenait trop à la médiatrice ,
 
  ^ 75 «
  puisqu'elle achèverait d’engager le duc- pour qu’elle y mît des obstacles; aussi s’empressa- t-elle de répondre que son plus vif désir se­rait de contenter M. le Maréchal.
  A cette époque plusieurs courtisans des deux sexes, outre le logement qu’ils avaient, soit à Paris, soit dans la ville de Versailles , en obtenaient un dans le château; c’était une marque de faveur précieuse, dont on tirait d’autant plus de vanité qu elle inspirait de la jalousie à ceux qui ne la partageaient pas. Le duc de Richelieu, à plusieurs titres, et prin­cipalement à celui de premier gentilhomme de la chambre, était ainsi logé. Lamaréchale de Mirepoix, en passe d’une intimité de lon­gue main avec Louis XV, avait aussi sa de­meure au château , non point vaste et com­mode, étroite au contraire, mal située, mais, n’importe, il était agréable de s’habiller à couvert pour venir faire sa cour, et lorsque la veille avait été par trop prolongée , de n’avoir qu’à monter ou descendre pour trou­ver un lit.
 
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  Et, ce jour là, madame de Mirepoix était dans son appartement au château ; elle eut peu à faire pour venir chez la marquise à qui, par précaution, elle dépêcha une de ses fem­mes pour lui annoncer qu elle arrivait et en quelle compagnie. Aucune nouvelle ne pouvait être mieux accueillie, aussi, ma­dame de Pompadour se débarrassa en toute hâte de deux ou trois audiences accordées à des solliciteurs, et ceci achevé , passa dans son cabinet de travail où déjà, et parles cou­loirs intérieurs, s’étaient rendus madame de Mirepoix et le maréchal de Richelieu. Elle les combla de marques d’amitié, s’exclama sur son bonheur de les voir tous deux ensem­ble, et ne négligea pas de dire au maréchal que, sans doute, il se préparait à partir bien­tôt.
  « Ma chère amie, répondit la médiatrice, M. le Duc a grande hâte d’aller cueillir les palmes qui l’attendent, mais, avant de se mettre en route, il désirerait vous prévenir contre certains bruits répandus à son désa-
 
  vantage et dont je lui ai fait part, en vertu d’une magnanimité sans pareille, èt dont je présume qu’il me saura gré. Je lui ai dit que les méchans (ils sont en grand nombre) l’ac­cusaient d’avoir voulu retarder indéfiniment un mariage que lui, au contraire, brûle de conclure, et lui-même va répondre à ses dé­tracteurs. »
  Pins elle parlait, plus elle agravait la po­sition du duc. Celui-ci, n osant même pas se l’avouer, avait pris la résolution inébranla­ble ( il le croyait du moins ), de nç jamais consentir au mariage de son fils avec made-
  _ w
  moiselle d’Etioles ; mais avant que de se pro-
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  noncer ouvertement sur ce point, il souhai­tait éluder, au moyen d’une multitude d’obstacles qui l’aideraient, par son adresse, à se les ménager, à se retirer du mauvais pas où le jetait la volonté ambitieuse delà marquise. Or, parmi ces ruses, la meilleure, certes, était celle qui aurait remis la décision de l’af­faire , à la maison impériale de Lorraine. Le duc savait que l’empereur, une fois consulté,
 
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  ne pourrait se déterminer à consentir, et que, d’une façon ou d’autre, ii exprimerait son refus. Dès-lors, le roi de France ne voudrait pas intervenir et, en conséquence, le projet de mariage se dissiperait enfumée , sans que le duc de Richelieu parut y avoir aucune
  part.
  C’était donc arracher l’âme à cet ambi­tieux, que de le contraindre à lever lui- même l’obstacle qu’une inspiration heureuse lui avait fourni; d’une autre part, irriter trop la marquise, amènerait des chances fa­tales au complément de sa fortune ^ il se sen­tait décliner avec rapidité dans l’opinion publique et croyait, pour se rehausser aux yeux des Français, que l’éclat d’une ou deux batailles gagnées, lui devenait indispensa­ble. Ceci méritait d’y faire attention, et un sacrifice commandé par une circonstance im­périeuse, s il ne pouvait l’éviter, ne devait au moins arriver qu’après avoir tout tenté pour éviter ce calice. Dans cette occurence, et le propos de la maréchale de Mirepoix le
 
 
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  poussant à bout, il se hâta de prendre la pa­role, de proclamer sa franchise, d’attester son envie d’en finir, et, pour cela, offrant toutes les satisfactions propres à convaincre qu’il ne jouait pas un jeu caché différent de celui pu­blic.
  (( Vous me charmez, repartit la favorite, vous me rappelez à une vraie affection pour vous ; oui, on a voulu me prévenir contre votre astuce, on a mis en avant cette démar­che dont je me plains.
  » — Elle est faite par malheur, répondit le duc d’un ton plein de douleur.
  » — Mais, non pas irréparable, répliqua la marquise, une voie vous est ouverte, veuil­lez écrire au comte de Stainvilie pour qu’il sollicite de leurs majestés impériales l’agré­ment auquel vous et moi attachons tant de prix, mettez-vous à mon bureau..oui, sans cérémonie, les nœuds qui vont nous unir, nous en dispensent. Tracez un mot à notre ambassadeur ; un courrier part ce soir, il
 
  fera diligence, et j’espère que la réponse favorable, ne tardera pas. »
  Le duc pris au piège , et comprenant les conséquences de lacté qu’on lui demandait, hésita un instant, s’il préférerait la possibi­lité d’une disgrâce à la certitude du déshon­neur de sa maison, ce ne fut qu’un éclair, le gentilhomme s’effaça devant le courtisan qui obéit à l’invitation de la marquise ; il prit une plume, et écrivit au comte de Stainville, Cette lettre, dont le souvenir ne s’effaça ja­mais de la mémoire du duc de Richelieu, fut une des causes principales de l’inimitié constante qui exista entre lui et ce seigneur, devenu ministre, un an après,sous le nom de duc de Choiseuil.
 
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  CHAPITRE IV.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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  .... Tripodas , vatesquc Deorum»
  Aors obscura lenet.
  Lucain , Pharsale , chanté-
  Les oracles du Ciel ne nous montrent L’a­venir qu’à travers un nuage.
  A voir le règne d’un prince , on peut deviner le sort de ses successeurs.
  Recueil de maximes.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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  LA TERRIBLE PROPHÉTIE.
  « Le renard s’est laissé prendre au piège qu’il avait tendu, dit madame de Pompa­dour, après que le Maréchal, duc de Ri­chelieu se fut retiré; vraiment, pensait-il qu’il tromperait toutes les femmes ? Si main­tenant le mariage manque, la faute ne peut
  venir de lui Quant à Marie Thérèse, non,
  celle-là ne m’opposera aucune résistance ; ce n’est pas, lorsque déjà elle pense à unir l’une de ses filles à T aîné des en fan s de Mon sei-
 
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  gneur le dauphin , qu elle s’attachera à em­pêcher que le duc de Fronsac épouse ma­demoiselle d’Étioles. Les souverains font bien
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  d’autres concessions à leur désir; allons, voilà une affaire conclue , Alexandrine aura le tabouret.
  La maréchale de Mirepoix aida encore à augmenter les illusions de la favorite, et trouvant l’occasion favorable pour battre le fer, car il était chaud,, demanda un intérêt dans une opération de finance que madame de Pompadour ne lui refusa pas. Le Roi sur­vint, il était retombé dans sa mélancolie or­dinale. Les plaisirs de la soirée précédente laissaient dans son cœur le vide accoutumé. Le supplice accompli de son assassin ne pouvait non plus retremper son âme affec­tée douloureusement de la résistance des cours souveraines. Cette lutte qui, de lui à elles, se prolongea pendant tout son règne en empoisonna la durée.
  Madame de Mirepoix, habile à savoir se retirera propos, sortit dès qu’elle eut pré-
 
 
 
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  sente ses hommages à Louis XV, devinant qu’il souhaitait de causer sans témoins aveo la marquise ; elle avait rencontré la vérité. A peine refermait-elle la porte que le Roi s’adressant à sa maîtresse :
  » Avez-vous dormi? dit-il.
  » —Peu, répondit-elle en souriant, mais le matin venu, j’ai été plus tranquille.
  » C’est un bonheur que je vous envie, et ses traits conservèrent leur apparence morne. Lorsque j’ai été seul le même cauchemar d’avant-hier , est venu me reprendre; j’ai passé le reste de la nuit entouré de meur­triers; ma famille était là, son sang cou­lait Oh ! c’était une vision horrible.
  » — Votre sensibilité excessive est la cause unique de ces rêves affreux, repartit la Marquise; vous n’avez pu vous défendre de déplorer le sort d’un monstre et, dans le sommeil, votre imagination frappée, a en­fanté des chimères qui ne se réaliseront pas.
  » — Il est vrai, dit le roi, que j’attribue le mécompte que j’ai éprouvé à lier parfai-
 
  tement la sauce dont je vous ai régalée avec le fameux plat de pigeons au basilic, à la peine que me faisait le supplice de ce misé­rable.
  » — Eh ! Sire, qui de nous tous ne l a pas aperçu ! la conduite du Roi, hier, a été admirable, chacun adorait l’excellence de votre cœur, en respectant votre chagrin; vous nous représentiez trait pour trait Henri IV.
  Le Roi sourit et s’enivra de cette llatte- rie dégoûtante ; puis, retombant dans sa ta- citurnîté, demeura quelque tems en silence. Madame de Pompadour, assise vis-à-vis de lui, brodait une bourse dont elle voulait faire cadeau à Sa Majesté. Parfois, relevant la tête, elle regardait son royal amant et se taisait pour ne pas lui être désagréable. Lui, enfin, sortant de sa rêverie.
  « Quel jour a pris le comte de Saint- Germain pour satisfaire à votre fantai­sie  ? Ne lui avez*vous pas fait part de
 
  s—>
  la mienne? je serais curieux de connaître jusqu’où il porte sa science.
  » — Le comte ne se soucie aucunement de montrer au roi son savoir faire , il craint...
  » — Que i’ aie peur de voir le diable ! Ce n’est pas le diable que je souhaite qu’il ap­pelle; il faut qu’il me fasse lire dans l’ave­nir de mes petits-fils ; dites-le lui, et s’il re­cule, vous ajouterez que je le veux ; oui, je le veux, entendez-vous ? Je crois que le vulgaire est sans droit pour pénétrer dans les voiles de l'avenir, mais moi...!
  » — Dieu doit cette connaissance à vjtre majesté.... Le comte de Saint-Germain est un personnage bien extraordinaire.
  n — C’est votre opinion, Madame.
  D — Oui, sire.
  » — Et ceux qui le prétendent char­latan.
  j) — Qu’a-t-il demandé au roi ?
  » —> Rien !
  » — Quels objets d’art ou curieux a-t-il voulu lui vendre ?
 
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  » — Aucun ; il a, au contraire, rendu plus beau et d’un meilleur prix un de mes dia- mans ; celui dont il a enlevé la tache ; c est un effet prodigieux de chimie : non, le comte de Saint-Germain ne cherche pas à tromper ; d’ailleurs, il a négocié si habile­ment »
  Madame du Hausset entra dans ce moment. Le comte de Saint-Germain faisait demander si la marquise était visible.
  « Parbleu! dit le roi, il ne pouvait, ce magicien célèbre, se présenter plus à propos. Vous convient-il, Madame , qu’il vienne ?
  » — Que la volonté du roi soit faite en toutes choses , dit la marquise en s’inclinant de manière à toucher, de sa figure, sur son métier. »
  Madame du Hausset alla donner l’ordre aux valets de chambre. La grande porte du salon fut ouverte, le comte de Saint-Germain en­tra ; il était vêtu d’un habit couleur de mouche en furie , doublé de satin vert pomme, la culotte pareille, et la veste glacée d’or et
 
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  d’argent. Les boutons , les boucles, la gance du chapeau, la poignée de l’épée étaient de diamans d’une eau et d’une netteté sans pa­reilles. Cette magnificence surprit à tel point le roi, qu’il dit au comte en le voyant venir à. lui :
  « Combien y a-t-il de siècles que vous êtes descendu le premier dans les mines de Gol- conde ?
  ■ » — Je prends le tems comme il vient 5 répondit de Saint-Germain , et ce que j’ou-
  -h.
  blie le plus facilement, c’est la durée. Cent ans sont pour moi la semaine dernière. Qu’est- ce en effet qu’un nombre d’années devant le grand cercle de l’éternité ?
  » — Monsieur, je vous parlais d’un fait positif, et vous répondez par de la haute phi­losophie... Vos diamans sont admirables.
  j) — Je les choisis de mon mieux.
  » — A voir la profusion et la beauté de ceux qui vous parent, dit la marquise, on dirait que vous les composez à votre fan­taisie.
 
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  — C’est là, reprit le comte, le résultat de mes études eu science naturelle. Le dia­mant peut être rendu malléable à volonté.
 
  — Vous pourriez , dit le roi, en inonder
  le monde.
  jj — Je leur enlèverais toute leur valeur, et, au lieu d y trouver mon profit, je m’y ruinerais avec beaucoup d’autres.
  » — M. de Saint-Germain, repartit le roi, est-ce là à quoi se borne votre savoir? Ne possédez-vous pas des connaissances plus étendues et plus relevées ? »
  Saint-Germain parut embarrassé, et dans sa réponse qu’il bégaya , plutôt que de pro­noncer nettement, il ch erefa de faire en­tendre au roi qu’il ne se souciait pas de trai­ter cette matière $ mais ce prince, une fois lancé , ne crut point devoir s’arrêter en che­min, et, malgré la répugnance qui lui était manifestée , reprenant la parole , dit :
  Feriez vous moins pour moi que pour ceux, de mes courtisans en qui vous avez eu de la confiance? Si les sciences occultes vous
 
  sont familières, si vous en avez dévoile à d’autres une partie, j’aurais à me plaindre si vous montriez plus de réserve à mon égard.
  » — La volonté du roi est absolue, dit le thaumaturge sans cacher son chagrin, mon devoir est de lui obéir, sans doute ; il est vrai que de profondes recherches, que des études opiniâtres m’ont conduit loin , et que je puis contenter les désirs de ceux que dévore la fantaisie d’être témoin de scènes extraordi- daires ; mais , par une fatalité attachée à ces sortes de lumières , ceux qu’elles éclairent en retirent toujours du désagrément ou des sou­cis amers. L’être suprême, qui s’estréserve 1 a- venir^ souffre avec impatience que des mor­tels y pénètrent comme lui... Sire, poursui­vit le comte en prenant une attitude impo­sante , je peux complaire à Votre Majesté mais je la conjure de ne pas m’imposer cette loi.
  » — Tout cela est bel et bon, reoartit