1 |
allemand-francais |
Le Comte de
Saint-Germain, les deux incarnations d’une légende immortelle |
2 |
rakoczy |
|
3 |
fond
diplomatique |
Sous le
nom de Comte de Saint-Germain, deux personnages énigmatiques ont laissé une
trace dans la mémoire des hommes, l’un il y a deux siècles, l’autre il y a
quelques décennies seulement, ce dernier prétendant avoir d’abord été le
premier, et maints autres hommes avant lui, si l’on en croit les 17000 années
qu’il déclare avoir déjà vécu. Abordons ensemble les deux vies de cet homme
mystérieux, dont l’existence est une énigme. |
4 |
saint-germain |
La première
apparition du Comte de Saint-Germain |
|
5 |
melvin |
La
première occurrence d’un « Comte de Saint-Germain » est celle d’un
homme que l’on qualifia en son temps d’« aventurier », dont on
peine à connaître avec exactitude la date de naissance, qui serait né à la
toute fin du 17ème siècle,
ou tout au début du 18ème siècle et dont la filiation est tout aussi obscure. |
6 |
graf |
C’est la
première fois qu’une personnage apparaît dans l’Histoire des hommes sous ce
nom. |
|
7 |
franciszek
rakoczy II |
On
prête au Comte de Saint-Germain des origines princières variées, mais
toujours illégitimes : parmi les plus prestigieuses, celles qui feraient
de lui le fruit des amours cachés de la reine d’Espagne, Marie-Anne de
Neubourg, et du Comte de Melgar, ou bien le fruit de l’union interdite du
prince François II Rákóczi et de la princesse Violante-Béatrice de Bavière.
Cet homme a laissé plané de nombreux mystères sur sa vie, n’en confirmant
aucun, n’en démentant aucun. |
8 |
WANCLIK |
Divers
témoignages, parmi les nobles de son époque évoquent son grand âge. Lui
assurait posséder un élixir lui permettant de rester jeune éternellement et
de survivre au passage du temps. |
|
9 |
MEMOIRES
DU COMTE |
Entre autres
prodiges, il aurait également conçu, par un procédé alchimique, dans son
laboratoire un diamant de 140 carats, le « Régent », qui fut la
propriété des rois de France, puis arboré par Napoléon lui-même et figure
actuellement au sein des possessions du Musée du Louvre. |
|
10 |
UMBERTO
ECO |
Ayant
participé à plusieurs missions commandées, mandaté par les souverains de son
époque pour espionner des cours rivales, placé sous la protection des plus
grands, sa vie est ponctuée de zones d’ombre, si bien que de nombreux
mystères l’entourent. Il est censé s’éteindre à l’âge de 93 ans dans la ville
de Eckernförde (originellement duché de Schleswig, actuelle Allemagne). |
11 |
POMPADOUR |
Le Comte de
Saint-Germain au 20ème siècle |
|
12 |
CAREER |
Le
second, de son vrai nom Richard Chanfray, serait, selon les registres un
enfant orphelin, né en 1940 d’origine inconnue, et confié à l’assistance
publique. Lui prétend au contraire avoir vécu 17000 ans, être un simple
mortel dont la longévité exceptionnelle aurait été obtenue scientifiquement,
par des procédés « simplement » alchimiques qui nous paraissent
magiques car nous n’en comprenons pas le fonctionnement. |
13 |
DNA |
C’est
d’ailleurs tout le paradoxe de ce personnage, qui manie l’humilité et les
prétentions les plus hautes. Il indique parler 17 langues différentes, et pas
moins de 8 dialectes, soigner des maladies incurables, maintenir les
personnes dans une jeunesse éternelle, changer le plomb en or, et même
pouvoir converser par télépathie avec d’autres alchimistes. Mais il précise
humblement n’avoir aucun pouvoir magique, seulement détenir les secrets d’une
science qui nous est inconnue, l’alchimie. |
14 |
MIROSLAW |
On entend
tout cela dans dans ce documentaire filmé en 1972, et on assiste même à
l’opération de transmutation des métaux. |
|
15 |
FRANZ
ii |
|
16 |
graf
von st germain |
Changer le
plomb en or |
|
17 |
sieniawska |
Cette
expérience, filmée par les journalistes le 4 janvier 1972, renouvelée devant
un célèbre magicien puis devant des scientifiques afin d’en débusquer
l’éventuelle supercherie, est soit la mystification la plus sophistiquée
jamais réalisée, soit la preuve irréfutable de ses talents. On y voit le
Comte de Saint-Germain changer du plomb en or. |
18 |
polish
campaign |
Le
journaliste remet au Comte un morceau de plomb. Lui demande au journaliste
d’ajouter une poudre de son invention, qu’il tient dans un mystérieux
gousset, qu’il nomme « poudre de projection », et que le
journaliste appelle pierre philosophale, et de placer le tout dans un creuset chauffé jusqu’à ce que
le métal rougisse. Puis de plonger celui-ci dans l’eau froide. Une fois
ouvert, toujours sans que le Comte n’ait pu réalisé la moindre manipulation,
le creuset révèle un morceau d’or à la place du plomb. |
19 |
korycinski |
Le
journaliste ajoute que le diamètre du morceau de plomb n’était pas connu du
Comte de Saint-Germain, et qu’après expertise, le morceau d’or obtenu à
l’issue de son opération possède exactement la même circonférence. Le
résultat est sans appel, et suffit à lui seul à redorer l’image sulfureuse de
cet homme. |
20 |
rakoczi2 |
L’exceptionnelle
longévité et les pouvoirs de guérisseur d’un alchimiste |
|
21 |
profils |
Le
journaliste, goguenard, produit dans son documentaire (à la minute 8’00’’) un
témoin qui veut garder l’anonymat. Celui-ci indique avoir perdu un œil au
cours d’un accident et n’avoir pu via la médecine recouvrer la vue. |
|
22 |
gallica |
C’est
pourtant ce prodige dont le Comte de Saint-Germain serait l’auteur, avec un
médicament de sa fabrication, issu de la poudre fabriquée grâce à ce qu’il
nomme sa « science » d’alchimiste. D’après lui, ce qui nous paraît
relever de la magie n’est rien d’autre qu’une science obtenue par l’entremise
d’une technologie que nous ne comprenons simplement pas. |
23 |
lubomirska |
La fin du
Comte, le début d’un nouveau conte ? |
|
24 |
genes |
Le
Comte de Saint-Germain est officiellement décédé le 21 juillet 1983, à l’âge
de 43 ans selon les registres. Il serait mort des suites d’une asphyxie, et
aurait péri de sa propre main en compagnie de la femme qui partageait sa vie.
Enterré dans une fosse commune, il disparaît ainsi de la surface de la Terre
et retrouve l’anonymat qui fut le sien durant toutes ses années. |
25 |
janik, |
Alors, celui
qui a prétendu avoir déjà vécu 17000 ans et se nommer Comte de Saint-Germain
s’est-il lassé de vivre parmi nous ? Ou bien a-t-il souhaité
délibérément mener une vie plus calme pour reparaître à nouveau parmi nous
dans quelques siècles ? |
|
26 |
claude
louis |
|
27 |
tesla |
|
28 |
enigmatic |
|
29 |
vencelik |
|
30 |
wiki |
|
|
|
|
31 |
marquise
d urfé |
|
|
32 |
pompadour
1 |
|
|
33 |
peintures |
|
|
34 |
st
germain |
|
|
35 |
23
and me |
|
|
36 |
hesse |
|
|
37 |
conde |
|
|
38 |
immortel |
|
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|
graf.htm |
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|
« ... Il vint
à Paris où il se fait présenter sous le nom |
|
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|
de comte de
Saint-Germain. |
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|
|
|
|
|
|
|
« Ce nom,
qu’il devait garder jusqu’à sa mort, était |
|
|
|
|
celui auquel
il avait le plus de droit, car s’il ne lui |
|
|
|
|
appartenait
pas légitimement, du moins était-ce le |
|
|
|
|
nom de son
père qui était mort sans laisser de descen- |
|
|
|
|
dance mâle55. » |
|
|
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|
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|
|
Cette
histoire est en somme assez vraisemblable ; |
|
|
|
|
cependant,
examinons-la de plus près. |
|
|
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|
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|
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|
|
La guerre de
succession, causée par la mort du roi |
|
|
|
|
d’Espagne,
Charles II, en 1701, enveloppa l’Italie dans |
|
|
|
|
la tourmente
qui mit une partie de l’Europe à feu et |
|
|
|
|
à sang.
Louis-Joseph, duc de Vendôme, généralissime |
|
|
|
|
des armées de
France, se rendit en 1702, dans le Pié- |
|
|
|
|
mont,
combattre le duc de Savoie, Victor-Amédée II, |
|
|
|
|
qui avait
rompu son alliance avec la France. |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Le 5 juin
1704, la ville de Vercelli fut investie par |
|
|
|
|
le duc de
Vendôme. Le siège dura jusqu’au 20 juillet. |
|
|
|
|
Au matin de
ce jour, le gouverneur de la ville, le com- |
|
|
|
|
mandeur des
Hayes fit battre la chamade et demanda |
|
|
|
|
à capituler.
La requête était signée du gouverneur, |
|
|
|
|
du comte de
Préla Doria, lieutenant-maréchal, et du |
|
|
|
|
commandant de
la place, le comte Sanctus Berne. |
|
|
|
|
Cette
requête, demandant la cessation des hostilités |
|
|
|
|
et les
honneurs de la guerre, ne fut pas acceptée sur |
|
|
|
|
le champ. Ce
n’est que le lendemain, le 21, à quatre |
|
|
|
|
heures du
matin que les parlementaires de la ville, |
|
|
|
|
le chevalier
Fucheto, Sandamien et le comte Gabriel |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
55 A. de Caston, ouvr., cité, pp. 253-256. |
|
|
|
|
|
|
|
|
33 |
|
|
|
d’Este
obtinrent de Louis de Vendôme l’acceptation |
|
|
|
de cette
capitulation. Le 22 juillet, la garnison sortit : |
|
|
|
« tambour
battant, mèche allumée, balle en bouche, |
|
|
|
enseignes
déployées et quelques pièces d’artillerie ». |
|
|
|
Arrivée hors
de la ville, la garnison mit bas les armes, |
|
|
|
fut faite
prisonnière, et Vercelli fut livrée56. |
|
|
|
|
|
|
|
Ce n’est donc
pas le 20 juin, mais le 21 juillet 1704 |
|
|
|
que « la
porte du Turin » capitula. Nous continuons. |
|
|
|
|
|
|
|
Lorsque les
troupes françaises furent entrées dans |
|
|
|
la ville, on
s’empressa de détruire les fortifications, |
|
|
|
mais on ne
toucha pas à la cathédrale Saint-Eusèbe, |
|
|
|
qui était en
ruines, et aucun baptême ne pouvait avoir |
|
|
|
lieu dans la
chapelle de la Vierge, qui se trouvait dans |
|
|
|
les absides57. Toutefois, les
baptêmes avaient lieu |
|
|
|
dans l’église
de Santa-Maria-Maggiore et on l’appe- |
|
|
|
lait
cathédrale. |
|
|
|
|
|
|
|
Dans le liber baptizatorum de
Santa-Maria-Mag- |
|
|
|
giore, on
relève la note suivante : « 1704. Août. Pie- |
|
|
|
tro Maria, ex
incognitis parentibus, nato li 6 juglio, |
|
|
|
batezzato li
4 agosto. Padrino Pietro, Francisco Vittorio |
|
|
|
Bertorne et
Maria Novella ». Est-ce une coïncidence |
|
|
|
ou bien
Alfred de Caston a-t-il eu connaissance de |
|
|
|
|
|
|
|
56 Mémoires des
Campagnes de 1702 à 1706, que M. le duc de |
|
|
|
Vendosme a
faite en Italie. À son A. Ser. Mme la duchesse de |
|
|
|
Vendosme, par
son très humble obéissant, affectionné et très |
|
|
|
obéissant
serviteur, Claude-Gérard Mousset. Manuscrit origi- |
|
|
|
nal de 124
pp. in-fol. Nous devons à l’obligeance de M. Saffroy, |
|
|
|
libraire,
d’avoir consulté ce document ; qu’il veuille bien trou- |
|
|
|
ver ici
l’expression de nos remerciements. |
|
|
|
|
|
|
|
57 Les nefs de
l’église actuelle ne furent achevées qu’en 1712. |
|
|
|
|
|
|
|
34 |
|
|
|
cette note ?
La deuxième hypothèse est assurément la |
|
|
|
plus
probable. Toutefois, les dates ne correspondent |
|
|
|
pas, et si
les apparences sont en faveur de la thèse de |
|
|
|
A. de Caston,
les explications que nous allons donner |
|
|
|
réduisent sa
trouvaille à néant. |
|
|
|
|
|
|
|
Une seule
famille en Piémont pouvait porter légi- |
|
|
|
timement le
titre du fief de Saint-Germain ; c’était la |
|
|
|
lignée des
comtes de Saint-Martin et d’Aglié, famille |
|
|
|
très noble et
très ancienne puisqu’elle remonte à |
|
|
|
Obert,
seigneur d’Aglié en 1141, qui, lui-même, tire |
|
|
|
ses origines
de la famille de Guidon, marquis et comte |
|
|
|
du Canavese,
mort en 107058.
Un des titres apparte- |
|
|
|
nant à cette
famille était celui de marquis de Saint- |
|
|
|
Germain, et
le premier en date fut Jules-César, des |
|
|
|
comtes de
Saint-Martin, marquis d’Aglié e San Ger- |
|
|
|
mano, décédé
en 162459. |
|
|
|
|
|
|
|
Nous trouvons
dans cette famille des titres de mar- |
|
|
|
quis et de
comtes, mais le seul titre auquel soit accolé |
|
|
|
le nom de
Saint-Germain était celui de marquis. |
|
|
|
Aucun membre
de cette maison ne pouvait donc se |
|
|
|
faire appeler
comte de Saint Germain. |
|
|
|
|
|
|
|
Cependant, à
l’époque dont parle Alfred de Caston, |
|
|
|
vivait un
personnage qui s’apparente étrangement |
|
|
|
avec le
soi-disant père du comte de Saint-Germain. |
|
|
|
Charles-Marie,
marquis de Saint-Germain, mort en |
|
|
|
|
|
|
|
58 Li Famigli nobili
della monarchia di Savoia. Turin, Fontana, |
|
|
|
1841, t. I. |
|
|
|
|
|
|
|
59 Les ruines du
château de Saint-Germain se trouvent près de |
|
|
|
Verrex, dans
la vallée d’Aoste, au sommet d’une montagne. |
|
|
|
|
|
|
|
35 |
|
|
|
1742, eut un
frère, Charles-Amédée, qui porta le nom |
|
|
|
de marquis de Rivarolo, et comme
cadet fit sa carrière |
|
|
|
dans l’année.
Il fut général des galères de Savoie en |
|
|
|
1722,
gouverneur de Nice en 1733, vice-roi de Sar- |
|
|
|
daigne en
1735, et mourut en 1749, à Turin, âgé de 80 |
|
|
|
ans. Il était
donc né en 1669. En 1703-1704, à 34 ans, |
|
|
|
pendant la
guerre, il aurait pu, étant de garnison à |
|
|
|
Vercelli,
avoir un enfant dans cette ville. D’autre part, |
|
|
|
quoiqu’étant
d’une grande famille, on ne pouvait pas |
|
|
|
le dire un
grand seigneur, parce qu’il était cadet, mais |
|
|
|
il deviendra
plus tard un grand personnage par ses |
|
|
|
mérites
personnels et militaires. |
|
|
|
|
|
|
|
En somme, A.
de Caston nous raconte une histoire |
|
|
|
qui n’a rien
d’invraisemblable en elle-même, mais |
|
|
|
qui ne peut
en aucune façon concerner notre person- |
|
|
|
nage. Il est
certes possible, encore que A. de Caston |
|
|
|
n’apporte pas
la moindre présomption, que Charles- |
|
|
|
Amédée,
marquis de Rivarolo, dans la famille de qui |
|
|
|
existait le
nom de Saint-Germain, eût un bâtard né à |
|
|
|
Vercelli en
1704 au moment du siège de la ville, mais |
|
|
|
ce bâtard ne
put porter le nom de Saint-Germain, qui |
|
|
|
n’a pu lui
être transmis ni par son père supposé qui ne |
|
|
|
l’a jamais
eu, ni par son oncle Charles-Marie, marquis |
|
|
|
de
Saint-Germain. Celui-ci en effet a transmis son |
|
|
|
titre à son
propre fils, Joseph-François, qui fut reçu |
|
|
|
à Paris le 11
juin 1749, par Louis XV comme ambas- |
|
|
|
sadeur du roi
de Sardaigne, et mourut en 1764. Donc |
|
|
|
le bâtard de
Charles-Amédée, s’il a réellement existé, |
|
|
|
n’a pas porté
le nom de Saint-Germain. D’ailleurs |
|
|
|
même s’il
l’eut porté, ce nom eut été accompagné du |
|
|
|
|
|
|
|
36 |
|
|
|
titre de
marquis et non de celui de comte sous lequel |
|
|
|
notre
personnage a été connu dans toute l’Europe. |
|
|
|
|
|
|
|
En dépit de
certaines apparences, tout à fait super- |
|
|
|
ficielles,
nous voyons que l’anecdote rapportée par |
|
|
|
A. de Caston
n’apporte aucune lumière dans la ques- |
|
|
|
tion qui nous
occupe60. |
|
|
|
|
|
|
|
60 Le titre de marquis de Saint-Germain fut porté et France, |
|
|
|
au xvme siècle, par les
personnages suivants : En 1706, le mar- |
|
|
|
quis de
Saint-Germain des Gorges, gouverneur du Limousin. |
|
|
|
En 1730,
J.-C. Alexandre d’Oilléamson, marquis de Saint-Ger- |
|
|
|
main-Langot,
d’origine normande. En 1750, le marquis de |
|
|
|
Saint-Germain-Beaupré,
gouverneur de la Marche. |
|
|
|
|
|
|
|
37 |
|
|
|
Chapitre IV : |
|
|
|
|
|
|
|
Où tout
s'embrouille |
|
|
|
|
|
|
|
Si on ne doit
pas confondre le comte de Saint-Ger- |
|
|
|
main avec
Claude-Louis de Saint-Germain, ni voir en |
|
|
|
lui un
descendant de la famille des Rákóczi, non plus |
|
|
|
qu’un fils
naturel du marquis de Rivarolo : quel est |
|
|
|
donc ce
personnage ? |
|
|
|
|
|
|
|
Voltaire
écrivant à Frédéric II dira : « C’est un |
|
|
|
homme qui ne
meurt jamais et qui sait tout61, » et |
|
|
|
Frédéric de
répondre : « C’est un conte pour rire62. » |
|
|
|
Ce qui ne
nous apprend pas grand’chose. De même |
|
|
|
si nous nous
en rapportons à ce qu’écrit le célèbre |
|
|
|
écrivain
anglais, Horace Walpole, l’ami de Mme du |
|
|
|
Deffand ;
d’après lui, on dit que le comte de Saint- |
|
|
|
Germain est :
« Italien, Espagnol, Polonais ; quelqu’un |
|
|
|
qui a épousé
une grande fortune au Mexique et s’est |
|
|
|
enfui à
Constantinople en emportant les bijoux de sa |
|
|
|
femme63. » |
|
|
|
|
|
|
|
61 Voltaire. Œuvres complètes.
Paris, Didot, 1877, t. X. no 313, |
|
|
|
lettre du 15
avril 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
62 Id. Lettre du 1er mai 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
63 Horace Walpole. Lettres à sir H. Mann.
Londres, R. Bentley, |
|
|
|
1883, t. II,
pp. 108-109, lettre CXLV. À rapprocher des aven- |
|
|
|
tures du
fameux baron de Neuhof qui disparut un jour avec |
|
|
|
les bijoux et
la garde-robe de sa femme. Cf. Dictionnaire de la |
|
|
|
Conversation,
t. 13, p. 451 ; et de celle du comte d’Hautefort, |
|
|
|
frère de la
marquise de Nesle, qui était allé s’établir à Smyrne, |
|
|
|
après avoir
volé des diamants à Paris. Nougaret. Anecdotes |
|
|
|
secrètes du xviiie siècle. Paris, 1808, t. II, p. 393. |
|
|
|
|
|
|
|
38 |
|
|
|
Enfin, M. de
Lamberg, diplomate autrichien, joue |
|
|
|
au bel esprit
en lui prêtant quelques propos empreints |
|
|
|
d’une
certaine impertinence : « À Venise, on me |
|
|
|
nomme de la
main vers le menton ; à Hambourg, Mein |
|
|
|
herr ; à Rome, Monsignor ; à Vienne, Psitt ; on siffle |
|
|
|
pour m’avoir
à Naples, on me lorgne à Paris, et j’ac- |
|
|
|
coste
volontiers à ce signe ceux qui me contemplent : |
|
|
|
que mon nom
ne vous embarrasse pas, MM. les |
|
|
|
Mandarins
tant que je demeurerai avec vous, je me |
|
|
|
conduirais
comme si j’en avais un très illustre ; que je |
|
|
|
m’appelle
pois ou fèves, Pison ou Cicéron, mon nom |
|
|
|
doit vous
être indifférent. » Et le comte de Lamberg |
|
|
|
conclut : «
Il [le comte] ne savait même pas comment |
|
|
|
il s’appelait64. »» Ne nous
arrêtons pas à ces apprécia- |
|
|
|
tions que
nous ne citons qu’à titre de curiosité. |
|
|
|
|
|
|
|
Parmi toutes
les opinions émises sur les différentes |
|
|
|
origines du
comte de Saint-Germain, nous avons |
|
|
|
remarqué que
la plupart des historiens insistent sur |
|
|
|
une prétendue
origine israélite. |
|
|
|
|
|
|
|
En effet,
pour E. Marquiset, est-ce : « Un juif ? |
|
|
|
Maints
indices le font soupçonner. Son outrecui- |
|
|
|
dance, son
astuce, son goût pour l’or et les bijoux, |
|
|
|
ses
filouteries pécuniaires, son manque de tact, son |
|
|
|
éternel soin
de cacher son origine, sa persévérance à |
|
|
|
fermer (sic)
les portes les plus fermées, tout indique |
|
|
|
l’israélite
sorti de quelque ghetto d’outre-Rhin. Qu’il |
|
|
|
s’appelle
Schœning, Welldone, Varner ou Daniel Wolf, |
|
|
|
|
|
|
|
64 Comte de Lamberg. Le Mémorial d’un Mondain. Du cap |
|
|
|
Corse, 1774,
p. 81. |
|
|
|
|
|
|
|
39 |
|
|
|
son masque de
gentilhomme ne dissimule pas le nez |
|
|
|
crochu65. » |
|
|
|
|
|
|
|
La source de
ces informations n’est malheureuse- |
|
|
|
ment pas très
« reluisante » ; elles viennent simple- |
|
|
|
ment de
Maurice Cousen, comte de Courchamps, le |
|
|
|
véritable
auteur des faux Souvenirs de la marquise de |
|
|
|
Créquy, dont le caractère ultra-fantaisiste n’est plus |
|
|
|
à démontrer.
M. de Courchamps a imaginé que : « le |
|
|
|
comte de
Saint-Germain était le fils d’un médecin juif |
|
|
|
de Strasbourg
et que son nom véritable était Daniel |
|
|
|
Wolf66, » mais faute
d’autre élément de probabilité on |
|
|
|
nous
permettra de ne pas échafauder d’hypothèse sur |
|
|
|
la simple
affirmation d’un auteur aussi suspect. |
|
|
|
|
|
|
|
Si le comte
de Saint-Germain n’est pas Daniel |
|
|
|
Wolf, est-il
Samuel Samer, né à Francfort, le 12 (ou |
|
|
|
13) octobre
1715, « d’un juif pauvre et d’une grande |
|
|
|
dame67, » rien ne le
prouve, comme cet autre pro- |
|
|
|
blème bien
difficile à résoudre sans indication de |
|
|
|
|
|
|
|
65 E. Marquiset. Le marquis de Marigny
(1727-1781). Paris, |
|
|
|
Emile-Paul,
1918, p. 86. |
|
|
|
|
|
|
|
66 De Courchamps. Souvenirs de la marquise de Créquy. Paris, |
|
|
|
Fournier,
1836, t. II, p. 269. Signalons qu’à la même époque |
|
|
|
le chevalier
d’Eon écrivait quelquefois des lettres en clair qu’il |
|
|
|
signait :
William Wolf. Mémoires du chevalier d’Eon publiés |
|
|
|
par Fr. Gaillardet. Bruxelles, 1837, t. 1. D’autre part en 1694, |
|
|
|
M. de
Saint-Simon, alors militaire, se trouvant à Strasbourg, y |
|
|
|
rencontra un
de ses anciens amis le P. Wolf, recteur à Hague- |
|
|
|
nau. Il y a
là une coïncidence curieuse. Mémoires. Paris, |
|
|
|
Hachette,
1872, t. 1er,
132. |
|
|
|
|
|
|
|
67 D’après Moskwa, Intermédiaire des
chercheurs et des |
|
|
|
curieux, no 968, 20 mai 1908,
p. 745. |
|
|
|
|
|
|
|
40 |
|
|
|
nom, est-il
le « fils d’un israélite de Bordeaux68. » Il en |
|
|
|
est de même
des suppositions qui le font : « fils d’un |
|
|
|
israélite
portugais, au service d’une grande puissance, |
|
|
|
qui avait
parcouru les deux Indes, le Mogol69 » ou le |
|
|
|
fils d’un
même israélite « et d’une princesse connue |
|
|
|
de Louis XV70 » ? À dire vrai,
cette origine israélite ne |
|
|
|
repose sur
aucun document sérieux. |
|
|
|
|
|
|
|
Examinons
maintenant l’hypothèse de ceux qui le |
|
|
|
veulent
originaire de Bohème. |
|
|
|
|
|
|
|
Eliphas Lévi,
influencé peut-être par l’abbé |
|
|
|
Lecanu71, écrit du comte de
Saint-Germain : « Il était |
|
|
|
né à
Lentmeritz, en Bohème, à la fin du xvme siècle, |
|
|
|
il était fils
naturel ou adoptif d’un rose-croix qui se |
|
|
|
faisait
appeler Comes Cabalicus,
le compagnon caba- |
|
|
|
liste72. » Précisons
cependant que l’indication de la |
|
|
|
ville de
Lentmeritz n’est pas tout à fait arbitraire, car |
|
|
|
|
|
|
|
68 P. J. Grosley. Voyage en Hollande..
Paris, Patris, 1833, |
|
|
|
p. 333. |
|
|
|
|
|
|
|
69 M. Capefigue. La marquise de
Pompadour. Paris, Amvot, |
|
|
|
1858, p. 267. |
|
|
|
|
|
|
|
70 M. Matter. Saint-Martin, le
philosophe inconnu. Paris, |
|
|
|
Didier, 1862,
p. 231. |
|
|
|
|
|
|
|
71 Dans son
Dictionnaire des prophéties et des Miracles. Paris, |
|
|
|
1854 t. II,
p. 846, l’abbé Lecanu écrit : « Nous croirions plus |
|
|
|
volontiers
que Saint-Germain était d’origine bohémienne, que |
|
|
|
ses richesses
provenaient d’un vol commis au préjudice de |
|
|
|
quelque nabab
ou de quelque pagode ; qu’il avait appris les dif- |
|
|
|
férents
dialectes de l’Asie dans le cours d’une jeunesse errante |
|
|
|
et
aventureuse... » Décidément l’imagination fait dérailler les |
|
|
|
cerveaux les
mieux équilibrés. |
|
|
|
|
|
|
|
72 Eliphas Lévi. Histoire de la Magie.
Paris, Baillière, 1860, |
|
|
|
p. 419. |
|
|
|
|
|
|
|
41 |
|
|
|
Eliphas Lévi
a soin de nous apprendre que le comte de |
|
|
|
Saint-Germain
est le fondateur de la Société de Saint- |
|
|
|
Jakin, dont
on a fait, dit-il : « Saint-Joachim ». Si nous |
|
|
|
consultons
l’ouvrage du marquis de Luchet, nous y |
|
|
|
relevons que
l’ordre de Saint-Joachim a été établi en |
|
|
|
1756 à
Lentmeritz73.
Rien ne s’oppose donc à ce que |
|
|
|
son fondateur
soit né dans la ville où fut créé l’ordre, |
|
|
|
mais aucune
indication nous permet de penser que ce |
|
|
|
fondateur fut
le comte de Saint-Germain. |
|
|
|
|
|
|
|
Mme Una Birch nous
apprend que le comte de |
|
|
|
Saint-Germain
pouvait être « le fils d’un marchand de |
|
|
|
drap de
Moscou74 ».
L’absence de toute précision nous |
|
|
|
dispense de
discuter cette hypothèse et, après l’étude |
|
|
|
faite sur le
présumé San Germano, nous ne nous |
|
|
|
arrêterons
pas davantage à celle Frédéric Bulau qui |
|
|
|
donne comme
père au comte de Saint-Germain un |
|
|
|
certain «
Rotondo, receveur des contributions de San |
|
|
|
Germano75 » ni à celle de T.
P. Barnum, lequel brodant |
|
|
|
sur cette
dernière indication lui donne comme mère |
|
|
|
« une
princesse italienne », tout en fixant la naissance |
|
|
|
à San Germano76. |
|
|
|
|
|
|
|
73 De Luchet. Essai sur la secte des Illuminés. Paris, 1789, |
|
|
|
|
|
|
|
p. 220. |
|
|
|
|
|
|
|
74 Una Birch. Secret Societies. London, 1911. |
|
|
|
|
|
|
|
75 Frédéric Bulau. Personnages énigmatiques.
Trad. de l’alle- |
|
|
|
mand par W. Duckett. Paris, Poulet-Malassis,
1861, t. 1er, |
|
|
|
p. 341. On
trouve dans l’ouvrage de G. Bord, La Franc-Maçon- |
|
|
|
nerie en
France. Paris, 1908, p. 307, une variante, ce n’est plus |
|
|
|
San Germano
mais Aix-en-Provence (?). |
|
|
|
|
|
|
|
76 T. P. Barnum. Les Blagues de l’Univers.
Paris, A. Faure, 1866, |
|
|
|
p. 301. |
|
|
|
|
|
|
|
42 |
|
|
|
Si le grand
Frédéric n’a vu dans le comte de Saint- |
|
|
|
Germain qu’un
« conte pour rire », par contre mes- |
|
|
|
dames du
Hausset et de Genlis s’accordent à le consi- |
|
|
|
dérer sous un
aspect différent. |
|
|
|
|
|
|
|
Mme du Hausset
rapporte dans ses Mémoires que |
|
|
|
Louis XV avec
qui le comte s’est entretenu à plu- |
|
|
|
sieurs
reprises chez Mme
de Pompadour, à Versailles |
|
|
|
ne souffrait
pas qu’on en parlât avec mépris ou rail- |
|
|
|
lerie et elle
ajoute : « Le roi en parlait comme d’une |
|
|
|
naissance
illustre77. »»
Si Louis XV a tenu ce propos, |
|
|
|
ce dont nous
ne doutons pas, c’est donc que le roi |
|
|
|
connaissait
le « mystère » de la naissance du comte de |
|
|
|
Saint-Germain. |
|
|
|
|
|
|
|
De même que Mme du Hausset, la
mémoria- |
|
|
|
liste Mme de Genlis connut
le comte de Saint-Ger- |
|
|
|
main. Pour
elle : « le comte est le fils d’un souve- |
|
|
|
rain détrôné78. » C’est à peu de
chose près l’opinion |
|
|
|
du comte de
Cobenzl, ambassadeur d’Autriche à |
|
|
|
Bruxelles,
quand il écrit à M. de Kaunitz, ministre |
|
|
|
d’État à la
Cour de Vienne, que le comte est : « le fils |
|
|
|
d’une union
clandestine d’une maison puissante et |
|
|
|
illustre79, » et celle du Dr Challice qui le
fait : « bâtard |
|
|
|
d’une maison
royale du centre de l’Europe80 ». |
|
|
|
|
|
|
|
77 Mémoires de Mme du Hausset, femme de chambre de Mme de |
|
|
|
Pompadour,
mis en ordre par M. Barrière.
Bruxelles, Baudoin, |
|
|
|
1825, p. 145. |
|
|
|
|
|
|
|
78 Mémoires de Mme de Genlis. Paris, Didot, 1928, t. 1er, p. 28. |
|
|
|
|
|
|
|
79 Carlos de Villermont. Le comte de Cobenzl.
Paris, Desclée, |
|
|
|
1925, p. 136. |
|
|
|
|
|
|
|
80 Dr Challice, ouvr. cité, t. II. |
|
|
|
|
|
|
|
43 |
|
|
|
Malgré ces
indications, nous sommes toujours dans |
|
|
|
le vague, et
ce n’est pas l’auteur de l’ouvrage : Le comte |
|
|
|
de
Saint-Germain et la marquise de Pompadour81, un |
|
|
|
certain
Lamothe-Langon qui va nous tirer d’embar- |
|
|
|
ras.
L’intrigue du roman de ce folliculaire est la sui- |
|
|
|
vante :
l’action se passe en 1745, le fils (?) du comte |
|
|
|
de
Saint-Germain est amoureux de la fille de Mme de |
|
|
|
Pompadour82. Ils ont un
enfant. Le mariage va se faire, |
|
|
|
mais la
marquise refuse son consentement. C’est alors |
|
|
|
que le comte
de Saint-Germain prononce ces paroles : |
|
|
|
« Je peux
arriver à prouver que mon petit-fils descend |
|
|
|
du chef de la
troisième dynastie des Capétiens. » Or, |
|
|
|
que nous
sachions, le comte n’a jamais eu d’enfant, |
|
|
|
excepté celui
que lui octroya le comte de Lamberg83, |
|
|
|
mais
Lamothe-Langon qui, sans doute, a adopté cette |
|
|
|
thèse et l’a
développée, ne s’embarrasse pas de cette |
|
|
|
erreur,
puisque sans cette anomalie l’intrigue de son |
|
|
|
roman
disparaîtrait84. |
|
|
|
|
|
|
|
Un autre
auteur, Ferdinand Denis a repris l’idée |
|
|
|
|
|
|
|
81 Lamothe-Langon. Le comte de Saint-Germain
et la marquise |
|
|
|
de Pompadour.
Paris, 1838, 2 vol. |
|
|
|
|
|
|
|
82 Alexandrine-Jeanne
Le Normand d’Etiolles, baptisée à |
|
|
|
Saint-Eustache
le 18 août 1744, est morte au couvent des |
|
|
|
Dames de
l’Assomption, à Paris, le 14 juin 1754. L’action du |
|
|
|
roman de
Lamothe-Langon se déroulant en 1745, il est inutile |
|
|
|
d’épiloguer. |
|
|
|
|
|
|
|
83 Comte de Lamberg, ouvr. cité, p. 85. |
|
|
|
|
|
|
|
84 La thèse de
Lamothe-Langon a sa réplique dans l’ouvrage |
|
|
|
de J. B. Gouriet. Personnages célèbres
dans les rues de Paris. |
|
|
|
Paris,
Lerouge, 1811. L’auteur écrit, t. 1er, p. 244, en parlant de |
|
|
|
Cagliostro :
« C’était un rejeton de la seconde race de nos rois |
|
|
|
et il
descendait en droite ligne de Charles-Martel. » Par consé- |
|
|
|
|
|
|
|
44 |
|
|
|
« ingénieuse
» de Lamothe-Langon en disant : |
|
|
|
« quelques
personnes le croyaient petit-fils de |
|
|
|
Henri IV85. » |
|
|
|
|
|
|
|
Certains ont
voulu que le comte soit « le fils d’un |
|
|
|
infant ou
d’un grand de Portugal86, » ou « le bâtard |
|
|
|
d’un roi de
Portugal87 ».
Toutes ces indications sont |
|
|
|
trop peu
précises pour avoir un fondement sérieux. |
|
|
|
|
|
|
|
Une dernière
hypothèse nous reste à examiner : |
|
|
|
celle de
l’origine espagnole qui nous paraît, plus que |
|
|
|
tout autre,
mériter de retenir l’attention. Toutefois, |
|
|
|
avant
d’expliquer pour quelles raisons cette origine |
|
|
|
nous paraît
plus vraisemblable que celles exami- |
|
|
|
nées
précédemment, nous croyons préférable et plus |
|
|
|
logique
aussi, de tenter de reconstituer, à l’aide des |
|
|
|
documents
imprimés et manuscrits dont nous dispo- |
|
|
|
sons, la
partie de la vie du comte de Saint-Germain |
|
|
|
sur laquelle
on possède des renseignements précis et |
|
|
|
qui s’étend
de 1745 à 1784. Une fois que nous aurons |
|
|
|
ainsi situé
notre personnage dans la clarté de l’his- |
|
|
|
toire
positive, il nous sera plus aisé de remonter par |
|
|
|
une série de
déductions et de rapprochements jusqu’à |
|
|
|
cette
mystérieuse origine qui, jusqu’à présent, était |
|
|
|
plutôt du
domaine de la légende. |
|
|
|
|
|
|
|
quent, si
Cagliostro descendait de la 2e race, pourquoi le comte |
|
|
|
de
Saint-Germain ne descendrait-il pas de la 3e race (!). |
|
|
|
|
|
|
|
85 Ferdinand Denis. Tableau historique,
analytique et critique |
|
|
|
des Sciences
Occultes. Paris, Mairet et Fournier, 1842, p. 259. |
|
|
|
|
|
|
|
86 L. Wraxall. Remarkable adventures
and unrevealed myste- |
|
|
|
ries.
Londres, R. Bentley, 1863, t. I. |
|
|
|
|
|
|
|
87 Mme du Hausset, ouvr. cité, p. 146. |
|
|
|
|
|
|
|
45 |
|
|
|
Toutefois
avant d’entreprendre la véritable histoire |
|
|
|
du comte de
Saint-Germain, il nous reste à éluci- |
|
|
|
der
l’importante question qui a trait aux différentes |
|
|
|
appellations
sous lesquelles il a été connu. |
|
|
|
|
|
|
|
Tout d’abord,
nous laisserons de côté le titre et le |
|
|
|
nom sous
lesquels il est devenu célèbre pour ne parler |
|
|
|
que des
dénominations qu’il endossa volontairement. |
|
|
|
Si le comte a
porté le nom de Surmont à
Bruxelles, |
|
|
|
c’est parce
que ce vocable était la traduction en fran- |
|
|
|
çais du nom
de la ville d’Ubbergen, où
se trouvaient |
|
|
|
les terres
dont il était propriétaire. Pour celui de Well- |
|
|
|
done qu’il prit à Leipzig, la raison en est tout autre : à |
|
|
|
ce moment on
pouvait le considérer comme un « bien- |
|
|
|
faiteur » de l’humanité. Quant à celui de Râkôczi, il |
|
|
|
n’en fit
usage que lorsqu’il sut que tous les posses- |
|
|
|
seurs du nom
avaient disparu. |
|
|
|
|
|
|
|
On lui a
attribué en outre les noms et titres |
|
|
|
suivants : |
|
|
|
|
|
|
|
Marquis de
Montferrat, |
|
|
|
|
|
|
|
Marquis
d’Aymar ou Belmar, |
|
|
|
|
|
|
|
Chevalier
Schœning, |
|
|
|
|
|
|
|
Comte
Soltikof, |
|
|
|
|
|
|
|
Comte Tzarogy
ou Zaraski. |
|
|
|
|
|
|
|
Prenons le
premier de ces noms, celui de Marquis de |
|
|
|
Montferrat, et voyons ce que dit à son propos, le baron |
|
|
|
|
|
|
|
46 |
|
|
|
de Gleichen,
qui l’a mentionné le premier : « J’ai ouï, |
|
|
|
dit-il,
qu’entre plusieurs noms allemands, italiens et |
|
|
|
russes, il
[le comte] avait porté anciennement celui de |
|
|
|
marquis de
Montferrat. Je me rappelle que le vieux |
|
|
|
baron de
Stosch m’a dit à Florence avoir connu sous |
|
|
|
le règne du
Régent un marquis de Montferrat qui |
|
|
|
passait pour
un fils naturel de la veuve de Charles II, |
|
|
|
retirée à
Bayonne et d’un banquier de Madrid88. » Or, |
|
|
|
le baron de
Stosch ne vint à Paris qu’en 1713 ; il y |
|
|
|
resta à peine
une année et partit ensuite pour l’Ita- |
|
|
|
lie89. Ainsi, au moment
du début de la Régence (sept. |
|
|
|
1715), le
baron de Stosch n’étant plus à Paris, n’a pu |
|
|
|
connaître le
personnage en question, à l’époque et au |
|
|
|
lieu qu’il
indique. |
|
|
|
|
|
|
|
Toutefois, en
Italie, le fief de Montferrat eut ses |
|
|
|
marquis
particuliers jusqu’au début du xvie siècle. En |
|
|
|
1533, à la
mort du dernier marquis, Jean-Georges, |
|
|
|
décédé sans
progéniture, le marquisat, en séquestre |
|
|
|
entre les
mains de Charles Quint, échut par héritage, |
|
|
|
à Frédéric II
de Gonzague, premier duc de Mantoue. |
|
|
|
Sous l’un de
ses descendants, Guillaume, troisième |
|
|
|
duc de
Mantoue, le Montferrat fut érigé en duché |
|
|
|
|
|
|
|
88 Baron de Gleichen, ouvr. cité, pp.
128-129. |
|
|
|
|
|
|
|
89 Philippe de Stosch, archéologue et numismate
allemand, né |
|
|
|
à Kustin en
1691, mort à Florence en 1757. C’était un de ces |
|
|
|
doctes,
intrigants et aventureux qui pullulaient au xviiie siècle. |
|
|
|
Les plus
mauvais bruits couraient à son endroit. Menacé |
|
|
|
d’expulsion
de la Toscane, il ne dut son salut qu’à la mansué- |
|
|
|
tude de
François de Lorraine. Il était Maçon comme le baron |
|
|
|
de Gleichen.
Cf.. F. Sbigoli. T.
Crudeli e i primi Framassoni in |
|
|
|
Firenze,
Milan, 1884. |
|
|
|
|
|
|
|
47 |
|
|
|
(1574), par
l’empereur Maximilien II. Enfin, en 1713, |
|
|
|
l’investiture
du duché fut donnée au duc de Savoie, |
|
|
|
Victor-Amédée
II, par l’empereur Joseph Ier. Par |
|
|
|
conséquent,
en 1715, le titre italien de « marquis » de |
|
|
|
Montferrat
était tombé en désuétude. |
|
|
|
|
|
|
|
D’autre part,
le marquisat de Montferrat n’a existé |
|
|
|
en France
qu’à partir de 1750. En effet, le Montferrat, |
|
|
|
terre et
seigneurie du Dauphiné (Isère), fut érigée en |
|
|
|
cette qualité
au profit de Ch.-Gab.-Justin de Barral. |
|
|
|
À sa mort, la
dignité passe à son fils, Joseph-Marie, |
|
|
|
qui devint
président à mortier au parlement du Dau- |
|
|
|
phiné et
premier président de la Cour impériale de |
|
|
|
Grenoble. |
|
|
|
|
|
|
|
Comme aucun
autre document n’attribue au comte |
|
|
|
de
Saint-Germain ce nom et ce titre, nous croyons |
|
|
|
inutile de
nous appesantir davantage sur ce point. |
|
|
|
|
|
|
|
Examinons
maintenant le nom : Marquis de Belmar, |
|
|
|
celui-ci dû à
la plume du comte de Lamberg : « Un |
|
|
|
personnage
rare à voir [à Venise], c’est le marquis |
|
|
|
d’Aymar ou
Belmar, connu sous le nom de Saint-Ger- |
|
|
|
main90. » Cette fois ce
n’est plus une fausse attribu- |
|
|
|
tion mais une
confusion de nom par changement de |
|
|
|
lettre ; ce
n’est pas Belmar que l’on doit lire mais Bed- |
|
|
|
mar. Ce
patronyme appartient à une ancienne famille |
|
|
|
de la
Castille, en Espagne, dont est issu le marquis |
|
|
|
de Bedmar,
cadet de la maison d’Albuquerque lequel |
|
|
|
passa toute
sa vie en dehors de son pays comme capi- |
|
|
|
taine général
et gouverneur des armées aux Pays- |
|
|
|
|
|
|
|
90 Comte de Lamberg, ouvr. cité, p. 91. |
|
|
|
|
|
|
|
48 |
|
|
|
Bas
Espagnols. Devenu vice-roi de Sicile, le marquis |
|
|
|
termina sa
carrière à Madrid comme ministre d’État |
|
|
|
(1715). Il
maria sa fille au marquis de Moya, second |
|
|
|
fils du
marquis de Villena, qui devint par la suite mar- |
|
|
|
quis de
Bedmar et capitaine des gardes de la Cour, à |
|
|
|
Madrid91. |
|
|
|
|
|
|
|
Quant aux
autres dérivés, ils ont été employés par |
|
|
|
R.-Maria
Rilke - Belmare - 92, F. Bulau93 et T. P. Bar- |
|
|
|
num94 - Bellamare - et
le grand Larousse - Bellamye95. |
|
|
|
|
|
|
|
Le nom de chevalier Schœning a été propagé
par |
|
|
|
F. Bulau96 et T. P. Barnum97. À ce sujet disons
qu’il |
|
|
|
a existé en
Norvège, un grand historien, Gehrard |
|
|
|
Schœning,
auteur de nombreux travaux (1722-1780). |
|
|
|
|
|
|
|
On doit aussi
à ces deux derniers écrivains l’ap- |
|
|
|
pellation comte Soltikof. Cette famille,
l’une des plus |
|
|
|
anciennes de
la Russie, est apparentée à la famille |
|
|
|
impériale.
Parmi les membres, citons Serge Solti- |
|
|
|
kof, le
premier des favoris de Catherine II, lorsque |
|
|
|
cette
princesse n’était encore que grande duchesse, |
|
|
|
les
feld-maréchaux, Pierre-Simon Soltikof, mort en |
|
|
|
1772,
gouverneur de Moscou, et son cousin Nicolas, |
|
|
|
|
|
|
|
91 Saint-Simon, ouvr. cité, t. II, pp.
362-363. |
|
|
|
|
|
|
|
92 R.-Maria Rilke. Les cahiers de Malte
Laurids Bridge. Paris, |
|
|
|
Emile-Paul,
1927, p. 219. |
|
|
|
|
|
|
|
93 F. Bulau, ouvr. cité, t. I, p. 340. |
|
|
|
|
|
|
|
94 T. P. Barnum, ouvr. cité, p. 306. |
|
|
|
|
|
|
|
95 À la même époque,
on trouve en Hollande, un Jacques Bel- |
|
|
|
lamy, poète
national (1757-1786). |
|
|
|
|
|
|
|
96 F. Bulau, ouvr. cité, t. I, p. 340. |
|
|
|
|
|
|
|
97 T. P. Barnum, ouvr. cité, p. 306. |
|
|
|
|
|
|
|
49 |
|
|
|
qui commanda
les troupes russes durant la révolution |
|
|
|
de 1762, et
enfin le comte Michel Soltikof, sénateur |
|
|
|
et membre du
conseil privé, lequel s’occupa beaucoup |
|
|
|
de théosophie
et de Maçonnerie98. |
|
|
|
|
|
|
|
Quant aux
deux variantes du nom de Râkôczi, la pre- |
|
|
|
mière : Zaraski, se trouve chez
Touchard-Lafosse, le |
|
|
|
fabricant des
Chroniques de l’Œil-de-Boeuf, chroniques |
|
|
|
aussi
suspectes que les « mémoires » de Lamothe-Lan- |
|
|
|
gon99. La seconde
variante Tzarogy,
anagramme de |
|
|
|
Ragotsky,
suivant l’orthographe française, est sortie |
|
|
|
de
l’imagination de F. Bulau100. |
|
|
|
|
|
|
|
Le seul
mémorialiste qui ne suit pas la règle, qui |
|
|
|
est de
décerner au comte de Saint-Germain des titres |
|
|
|
de noblesse,
est le cynique Casanova qui après mûres |
|
|
|
réflexions
s’en tint à cette dénomination : « Il n’était |
|
|
|
que le joueur
de violon Catalani101 ! » |
|
|
|
|
|
|
|
98 F. Bulau, ouvr. cité, t. I, p. 340. |
|
|
|
|
|
|
|
99 G. Touchard-Lafosse. Chroniques de
l’Œil-de-Bœuf. Paris, |
|
|
|
Barba, 1855,
2 vol. in-4, t. I, p. 294. |
|
|
|
|
|
|
|
100 F. Bulau, ouvr. cité, t. I, p. 340. |
|
|
|
|
|
|
|
101 J. Casanova. Soliloques d’un
penseur. Paris, J. Fort, 1926, |
|
|
|
p. 34. |
|
|
|
|
|
|
|
50 |
|
|
|
DEUXIÈME
PARTIE |
|
|
|
UN EUROPÉEN
MYSTÉRIEUX |
|
|
|
Je vois mon
chemin comme l’oiseau |
|
|
|
Sa route sans
traces |
|
|
|
|
|
|
|
R. Browning |
|
|
|
Le rideau se
lève |
|
|
|
|
|
|
|
Au cours des
temps, on a parlé, de par le monde, |
|
|
|
de certaines
individualités mystérieuses dont l’iden- |
|
|
|
tité
véritable est demeurée une énigme, tel le Signor |
|
|
|
Géraldi, qui
vint à Vienne en 1687, où il excita la |
|
|
|
curiosité. Il
disparut au bout de trois ans sans laisser |
|
|
|
de trace102. |
|
|
|
|
|
|
|
En ce qui
concerne le comte de Saint-Germain, |
|
|
|
aucun doute
n’est possible, et nous pouvons assurer |
|
|
|
que son
existence n’est pas un mythe, attestée qu’elle |
|
|
|
est par des
documents très nombreux et d’une incon- |
|
|
|
testable
authenticité. |
|
|
|
|
|
|
|
C’est en
1745, et de la ville de Londres que nous |
|
|
|
apprenons les
premiers événements extérieurs de la |
|
|
|
vie du comte
de Saint-Germain. |
|
|
|
|
|
|
|
À cette
époque, l’Angleterre avait pour roi |
|
|
|
Georges II,
prince électoral de Hanovre et le pays |
|
|
|
était divisé
en deux partis : les uns, partisans de la |
|
|
|
monarchie
nouvelle, appelés les Whigs ; et les autres, |
|
|
|
les Torys ou
Jacobites, partisans de la dynastie des |
|
|
|
|
|
|
|
102 Dr Cohausen. Hermippus redivivus, ou le triomphe du sage |
|
|
|
sur la
vieillesse et le tombeau. Traduit de l’Anglais (par P. A. de |
|
|
|
La Place). Bruxelles et Paris, 1789, t. II, pp. 56-59. D’après le |
|
|
|
Dr Beauvois, cet
ouvrage serait une imitation de l’œuvre origi- |
|
|
|
nale du
médecin allemand par l’historien écossais Jean Camp- |
|
|
|
bell (Cf.
Jean-Henri Cohausen, Paris, Maloine, 1900). |
|
|
|
|
|
|
|
53 |
|
|
|
Stuarts,
c’est-à-dire de celle de Jacques III, ou le |
|
|
|
chevalier de
Saint-Georges, dit le Prétendant, dans |
|
|
|
les veines
duquel coulait non seulement le sang des |
|
|
|
Stuarts mais
aussi celui d’Henri IV et de Sobieski. |
|
|
|
|
|
|
|
Vers la fin
de décembre 1743, la France reconnais- |
|
|
|
sant Jacques
III pour roi d’Angleterre, se déclara prête |
|
|
|
à aider le
Prétendant par les armes contre Georges II, |
|
|
|
roi régnant. |
|
|
|
|
|
|
|
Cette
alliance avait eu un commencement d’exé- |
|
|
|
cution au
début de 1744. Le bruit courut à Londres |
|
|
|
que le
détroit serait franchi. L’alarme fut grande dans |
|
|
|
les ports de
l’Angleterre mais dans la nuit du 6 au 7 |
|
|
|
mars 1744,
une forte tempête d’équinoxe dispersa |
|
|
|
la flotte
française réunie à Dunkerque, et l’expédi- |
|
|
|
tion fut
contremandée103.
La France ne désirant pas |
|
|
|
tenter une
seconde expédition, le fils du Prétendant, |
|
|
|
Charles-Edouard,
en conçut une lui-même et l’exé- |
|
|
|
cuta en 1745,
afin de recouvrer l’héritage dont on |
|
|
|
avait
dépouillé sa famille104. Le fils du Prétendant, à |
|
|
|
peine
débarqué en Écosse, remportait quelques vic- |
|
|
|
toires sur
les troupes anglaises, marchait sur Londres, |
|
|
|
et le 15
septembre 1745, Charles-Edouard était |
|
|
|
proclamé à
Édimbourg, régent d’Angleterre et de |
|
|
|
|
|
|
|
103 J. Colin. Louis XV et les Jacobites.
Paris, Chapelot, 1901, |
|
|
|
p. 144. |
|
|
|
|
|
|
|
104 A. Pichot. Histoire de
Charles-Edouard. Paris, Ladvocat, |
|
|
|
1830, t. I,
p. 264. |
|
|
|
|
|
|
|
54 |
|
|
|
France105. La terreur à
Londres fut extrême et le roi |
|
|
|
Georges II
prêt à partir pour la Hollande106. |
|
|
|
|
|
|
|
On entreprit
alors d’arrêter dans Londres certaines |
|
|
|
personnes
suspectes ; toutefois, « ce n’est pas qu’on |
|
|
|
en ait trouvé
en faute, mais sur les soupçons ordi- |
|
|
|
naires de
Jacobisme107, »
et comme le roi envisageait |
|
|
|
la suspension
de la loi de l’Habeas corpus108, on com- |
|
|
|
mença à
préparer les appartements de la Tour, pour |
|
|
|
recevoir ces
suspects. La suspension de la loi fut votée |
|
|
|
le 29 octobre
1745 ; tous les étrangers furent traités |
|
|
|
comme des
ennemis de l’État et l’on continua « à visi- |
|
|
|
ter les
suspects pour savoir s’ils ont des armes et sur- |
|
|
|
tout ceux que
l’on considère comme catholiques109 ». |
|
|
|
« C’est ainsi
que l’autre jour [on était en décembre |
|
|
|
1745] on a
arrêté un homme étrange qui est connu |
|
|
|
sous le nom
de comte de Saint-Germain110. » On a |
|
|
|
prétendu que
son arrestation fut le résultat d’une |
|
|
|
|
|
|
|
105 Le titre de régent
de France était la suite d’un usage remon- |
|
|
|
tant à la
guerre de Cent ans et prévalant encore à l’époque, qui |
|
|
|
laissait
prendre au roi d’Angleterre, le titre de roi de France. |
|
|
|
|
|
|
|
106 Si Charles-Edouard
eût continué sa marche sur Londres, |
|
|
|
il aurait pu
s’en rendre maître, mais il rebroussa chemin sur |
|
|
|
Glascow et là
fut battu par le duc de Cumberland à Culloden, |
|
|
|
le 16 avril
1746. Il se retira en Italie où il mourut le 31 janvier |
|
|
|
1788. |
|
|
|
|
|
|
|
107 Aff. Etrang.
Londres, 420, fo 223. |
|
|
|
|
|
|
|
108 Cette loi
fondamentale de l’Angleterre stipule que le roi ne |
|
|
|
peut faire
emprisonner aucun citoyen sans qu’il soit interrogé |
|
|
|
dans les
vingt-quatre heures et relâché sous caution jusqu’à ce |
|
|
|
que son
procès soit fait. |
|
|
|
|
|
|
|
109 Aff. Etrang.
Londres, 420, fo 362. |
|
|
|
|
|
|
|
110 Lettres d’H. Walpole, pp. 108-109. |
|
|
|
|
|
|
|
55 |
|
|
|
cabale de
gens jaloux, que, pour des motifs d’ordre |
|
|
|
privé, une
lettre fut glissée à son insu dans sa poche. |
|
|
|
Cette lettre
émanait soi-disant du fils du Prétendant, |
|
|
|
Charles-Edouard.
« Le prince le remerciait chaleu- |
|
|
|
reusement de
ses services et le priait de les lui conti- |
|
|
|
nuer111. » D’après notre
chargé d’affaires à Londres, |
|
|
|
M. Chiquet,
l’arrestation du comte eut lieu pour un |
|
|
|
tout autre
motif : on le prit pour un espion à cause |
|
|
|
de son
imprudence et de ses allures trop libres : « Les |
|
|
|
soupçons que
l’on a sur son compte viennent de ce |
|
|
|
qu’il fait
très bonne figure, qu’il reçoit de très grosses |
|
|
|
remises, paie
bien un chacun et ne fait point crier |
|
|
|
après lui112.» |
|
|
|
|
|
|
|
Le comte de
Saint-Germain ne fut pas « écroué à la |
|
|
|
prison de la
maréchaussée sous l’inculpation de haute |
|
|
|
trahison113, » mais
simplement « laissé dans son appar- |
|
|
|
tement à la
garde d’un messager d’État, on ne lui a |
|
|
|
pas trouvé de
papiers qui donnent le moindre indice |
|
|
|
contre lui114 ». M. André Lang
prétend « avoir vaine- |
|
|
|
ment exploré
toutes les collections publiques et pri- |
|
|
|
vées de
papiers d’État, en quête d’une trace de l’arres- |
|
|
|
tation ou de
l’interrogatoire de Saint-Germain115, » et |
|
|
|
pourtant M.
Chiquet, notre envoyé à Londres en parle |
|
|
|
longuement
dans sa lettre du 21 décembre 1745 : « Il |
|
|
|
|
|
|
|
111 Weekly Journal or
British Gazetteer, de Read, 17 mai 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
112 Aff. Etrang.
Angleterre, 420, fo 513. |
|
|
|
|
|
|
|
113 Gentleman Magazine,
1745, p. 605. |
|
|
|
|
|
|
|
114 Aff. Etrang.
Angleterre, 420, fo 513. |
|
|
|
|
|
|
|
115 Andrew Lang. Les Mystères de l’histoire.
Trad. de l’Anglais |
|
|
|
par Teodor de Wyseva. Paris, Perrin, 1907, p.
213. |
|
|
|
|
|
|
|
56 |
|
|
|
[le comte]
fut interrogé par le secrétaire d’État [le duc |
|
|
|
de Newcastle]
à qui il ne rendit pas de raisons aussi |
|
|
|
satisfaisantes
qu’on l’aurait désiré, persistant à ne |
|
|
|
vouloir
décliner son nom, ses qualités, etc., qu’au roi |
|
|
|
même, et
ajoutant à cela dès qu’on a point de plainte |
|
|
|
fondée contre
lui et qu’il ne se comporte point en ce |
|
|
|
pays contre
les dispositions des lois, c’est agir ouverte- |
|
|
|
ment contre
le droit des gens que d’ôter à un honnête |
|
|
|
homme
étranger sans aucun prétexte la liberté116. » |
|
|
|
Comme on
n’avait rien de répréhensible contre lui, |
|
|
|
on le relaxa,
ce qui fit dire à Sir Horace Walpole que le |
|
|
|
comte «
n’était pas un gentilhomme, parce qu’il reste |
|
|
|
et raconte
qu’on l’a pris pour un espion117 ». |
|
|
|
|
|
|
|
Quel était
donc le comte de Saint-Germain et que |
|
|
|
faisait-il à
Londres ? « Il est là depuis deux ans et se |
|
|
|
refuse à dire
qui il est, d’où il vient, mais admet qu’il |
|
|
|
ne porte pas
son nom118. »
Ainsi le titre que le comte |
|
|
|
porte n’est
en réalité qu’un titre d’emprunt. Cette |
|
|
|
indication a
pour nous une importance très grande. |
|
|
|
En effet, si
on se rappelle la phrase que prête le land- |
|
|
|
grave de
Hesse au comte de Saint-Germain : « Je |
|
|
|
me nommerai
Sanctus Germanus, le saint frère », il |
|
|
|
y a là une
coïncidence troublante. Il est donc avéré |
|
|
|
|
|
|
|
116 Aff. Etrang.
Angleterre, 420, fo 513. |
|
|
|
|
|
|
|
117 Lettres d’H. Walpole, pp. 108-109. Horace
Walpole dira que |
|
|
|
J.-J.
Rousseau, lorsqu’il vint à Londres sur sa prière, « s’est |
|
|
|
affublé de
toute la charlatanerie du comte de Saint-Germain, |
|
|
|
pour se
rendre original et faire parler de lui ». Cf. Lettres à ses |
|
|
|
amis. Paris,
Didier, 1872, p. 115. |
|
|
|
|
|
|
|
118 Lettres d’H. Walpole, pp. 109-109. |
|
|
|
|
|
|
|
57 |
|
|
|
que le nom du
comte est un pseudonyme comme en |
|
|
|
portaient à
l’époque certains grands personnages |
|
|
|
lorsqu’ils
voyageaient incognito. |
|
|
|
|
|
|
|
Le comte de
Saint-Germain habitait Londres depuis |
|
|
|
deux ans, et
cependant on ignorait tout de lui, bien |
|
|
|
que
quelques-uns eussent cherché à percer le mystère |
|
|
|
qui
l’enveloppait. Cependant, on le disait un riche gen- |
|
|
|
tilhomme «
sicilien » et en cette qualité avait été admis |
|
|
|
auprès de la
haute noblesse anglaise. « Il avait vu ce |
|
|
|
qu’il y avait
de grands jusqu’au Prince de Galles119. » |
|
|
|
Cette
indication est en tout cas une présomption en |
|
|
|
faveur des
origines aristocratiques du comte. |
|
|
|
|
|
|
|
Parmi les
personnes de haute naissance chez qui |
|
|
|
le comte
avait été reçu, citons le duc de Newcastle, |
|
|
|
le secrétaire
d’État aux Affaires étrangères qui l’avait |
|
|
|
interrogé
lors de son arrestation et qui « savait, dit- |
|
|
|
on, qui était
le comte120 » ;
lord Holdernesse, ancien |
|
|
|
ambassadeur
d’Angleterre à Venise, et sa femme, |
|
|
|
nièce de la
princesse Palatine, duchesse d’Orléans ; |
|
|
|
Don Antoinio
de Bazan y Melo, marquis de Saint- |
|
|
|
Gilles,
ambassadeur espagnol à la Haye, venu à |
|
|
|
Londres en
1745, en mission spéciale ; le comte |
|
|
|
Danneskeold-Laurwig,
chevalier-chambellan et ami- |
|
|
|
ral danois121 ; le major
général Yorke et sa famille122 ; |
|
|
|
|
|
|
|
119 Aff. Etrang.
Angleterre, 420, fo 513. |
|
|
|
|
|
|
|
120 Archives de
Hollande, 18 avril 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
121 Le comte de
Saint-Germain avait fait don d’une épée à |
|
|
|
l’amiral ;
celui-ci resta longtemps en correspondance avec lui. |
|
|
|
Lettre, 3
avril 1760, Cf. I. Cooper-Oakley, ouvr. cité, p. 267. |
|
|
|
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122 Archives de
Hollande, 4 avril 1760. |
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58 |
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Andrew
Mitchell, ambassadeur anglais à la cour de |
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Prusse123, etc. |
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Lorsque le
comte de Saint-Germain vint en Angle- |
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terre, il
trouva les Anglais très passionnés de musique. |
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Le goût de
l’opéra et particulièrement de l’opéra ita- |
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lien s’était
développé à Londres124, grâce à l’appui du |
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Prince de
Galles, qui était un fervent de la musique. Il |
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avait une
salle privée, Albermarle Street, chez le comte |
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de Grantham,
son chambellan, chez qui il demeu- |
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rait et où le
soir après souper, il donnait des concerts |
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avec des
chanteurs italiens. Ce fut sans doute à une |
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de ces
soirées que le comte fit valoir ses talents pour |
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le violon «
dont il jouait merveilleusement bien125 ». |
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Les auteurs
contemporains affirment que, dans ses |
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exercices les
plus ordinaires, « un connaisseur pou- |
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vait
distinguer les tons séparés d’un quartette com- |
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plet quand le
comte se livrait à ses improvisations sur |
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le violon126 ». Il composait
avec une égale facilité et le |
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même succès,
et sa conversation était toujours rela- |
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tive à cet
art, « au langage duquel il empruntait mille |
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termes
figurés127 ». |
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Le comte se
rendait souvent, dans Grosvenor |
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Street, chez
lady Townshend, elle aussi fervente |
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123 Andrew Mitchell. Memoirs and papers.
Londres, 1850, t. II, |
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p. 146-155. |
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124 Albert Souries. Histoire de la Musique.
Iles Britanniques, |
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xviiie et xixe siècles. Paris, Libr. des Bibliophiles, 1906. |
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125 Lettres de H. Walpole, pp. 108-109. |
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126 T. P. Barnum, ouvr. cité, p. 302. |
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127 London Chronicle, 3
juin 1760. |
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59 |
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admiratrice
des chanteurs italiens. « Cette dame joi- |
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gnait à tant
d’autres bonnes qualités un goût délicat |
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pour la
musique, si bien qu’on la prenait pour juge en |
|
|
|
la matière.
Un jour de réception, le comte de Saint- |
|
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|
Germain
devait faire partie de la réunion, et dans la |
|
|
|
soirée, il
arriva avec sa manière courtoise et à l’aise, |
|
|
|
mais avec
plus de hâte qu’il n’est d’usage, et avec ses |
|
|
|
doigts sur
ses oreilles, puis il se laissa tomber sur une |
|
|
|
chaise.
Chacun sembla étonné de cette attitude, mais |
|
|
|
lorsqu’on lui
demanda ce qu’il avait, il montra la rue, |
|
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|
et dit : je
suis étourdi par un plein chargement de dis- |
|
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|
sonances128 ». En effet, au
moment où le comte péné- |
|
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|
trait chez
lady Townshend, on venait de décharger, |
|
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|
devant la
porte de l’hôtel, un tombereau de pierres. |
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|
Le comte de
Saint-Germain était fort apprécié dans |
|
|
|
le monde
musical de la capitale anglaise, et lorsque |
|
|
|
le
compositeur allemand Gluck, alors au début de sa |
|
|
|
carrière,
vint à Londres, accompagné de son bienfai- |
|
|
|
teur, le
prince de Lobkovitz129, ce dernier, lui-même, |
|
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|
128 London Chronicle,
31 mars 1760. Cette anecdote rappelle |
|
|
|
celle que Mercier, dans son Tableau de
Paris, Paris, Pagnerre, |
|
|
|
1853, p. 163,
attribue à Rameau. Celui-ci rendant visite à une |
|
|
|
dame, se lève
tout à coup de sa chaise, prend un petit chien |
|
|
|
quelle avait
sur ses genoux, et le jette, subitement par la |
|
|
|
fenêtre d’un
troisième étage. La dame épouvantée : — Eh ! que |
|
|
|
faites-vous,
Monsieur ? — Il aboie faux, dit Rameau, en se pro- |
|
|
|
menant avec
l’indignation d’un homme dont l’oreille avait été |
|
|
|
déchirée. |
|
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|
129 Le prince
Joseph-Marie de Lobkowitz appartenait, à la |
|
|
|
branche aînée
d’une des plus grandes familles nobles de |
|
|
|
Bohême. Il
était grand trésorier héréditaire de la couronne. |
|
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60 |
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|
|
grand amateur
de musique, devint en peu de temps |
|
|
|
l’ami
chaleureux du comte. Pour le remercier, celui-ci |
|
|
|
lui dédia sa
seule œuvre didactique : Musique raison- |
|
|
|
née, selon le
bon sens, aux Dames Anglaises qui aiment |
|
|
|
le vrai goût
en cet art. L’ouvrage n’a pas été édité130. |
|
|
|
|
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|
|
Ce manuscrit
n’est pas l’unique œuvre du comte |
|
|
|
en musique ;
le célèbre éditeur musical anglais, |
|
|
|
M. Walsh, qui
demeurait dans le Strand, Catherine |
|
|
|
Street,
publia, entre 1745 et 1765 une dizaine de par- |
|
|
|
titions et de
mélodies qui témoignent du génie musi- |
|
|
|
cal de son
auteur, et « de la merveilleuse excentricité |
|
|
|
comme de la
beauté de ses conceptions131 ». |
|
|
|
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|
|
Sur les trois
premières compositions musicales |
|
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|
publiées en
1745, deux sont des mélodies ; la pre- |
|
|
|
mière est
écrite sur une poésie de l’Écossais William |
|
|
|
Hamilton : 0 wouldst thou know what sacred charms |
|
|
|
(Oh, si vous
connaissiez les charmes de la félicité), et |
|
|
|
la seconde
sur des vers du poète anglais Aaron Hill : |
|
|
|
Gentle love
this hour befriend me (Que cette heure près |
|
|
|
de vous est
douce). Quant à la troisième composition : |
|
|
|
The favorite
songs ... in l’Incostanza
Deluza (la perfide |
|
|
|
inconstance),
la partition en a été faite sur le poème |
|
|
|
italien de G.
Brivio ; elle comprend 20 pages132. |
|
|
|
|
|
|
|
130 Le manuscrit se
trouve, paraît-il, dans la bibliothèque du |
|
|
|
vieux château
de Raudnitz, en Bohême, propriété du prince |
|
|
|
Ferdinand de
Lobkowitz. Cf. I. Cooper-Oakley, ouvr. cité, p. 52. |
|
|
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|
|
|
131 T. P. Barnum, ouvr. cité, p. 303. |
|
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|
132 Cette partition fut
chantée par la Signora Frasi. |
|
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61 |
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|
Nous donnons
la reproduction des deux premières |
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|
mélodies133. |
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|
Les mélodies
suivantes dont la musique et la poé- |
|
|
|
sie sont du
comte de Saint-Germain parurent, soit |
|
|
|
en 1747 : The maid that’s made for dove
(La servante |
|
|
|
changée en
colombe) ; O wouldst thou know what kind |
|
|
|
of charm (Oh, si vous connaissiez son pouvoir char- |
|
|
|
meur), soit
en 1748 : Jove, when he saw my Fanny’s face |
|
|
|
(Quelle joie
quand il vit le visage ma Fanny). |
|
|
|
|
|
|
|
En 1755, le
comte fit éditer la pièce de musique |
|
|
|
suivante Six Sonatas for two violins with a bass for |
|
|
|
harpsicord or
violoncello, et une nouvelle mélodie sur |
|
|
|
une poésie de
E. Waller134 : The self Banish’s (L’exilé |
|
|
|
volontaire). De même en 1760, on publia de lui : Seven |
|
|
|
solo for a
violon et sa dernière mélodie : Chloé, or the |
|
|
|
musical
magazine. Enfin, l’année 1765 vit paraître sa |
|
|
|
dernière
partition, une comédie musicale faite en col- |
|
|
|
laboration
avec le musicien Abel135 : The summer’s tale |
|
|
|
(Un conte
d’été136). |
|
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|
Durant le
séjour du comte de Saint-Germain à |
|
|
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|
133 Ces reproductions
sont faites d’après les imprimés du Bri- |
|
|
|
tish Museum.
O/N. 40716 p. 305-308. |
|
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|
134 Edmond Waller,
poète anglais, né le 3 mars 1605, à Coleshill |
|
|
|
(comté
d’Herford), mort le 21 octobre 1687, à Beaconsfield. |
|
|
|
|
|
|
|
135 Charles-Frédéric
Abel, musicien allemand, né à Goethen en |
|
|
|
1725, mort à
Londres en 1782. |
|
|
|
|
|
|
|
136 On se rendra compte
par cette énumération que la produc- |
|
|
|
tion musicale
du comte de Saint-Germain fut importante. Il |
|
|
|
serait à
souhaiter qu’un musicographe nous fasse plus ample- |
|
|
|
ment
connaître ses rapports avec toutes les artistes anglais de |
|
|
|
l’époque,
Arne et Burney et le maître allemand Haendel. |
|
|
|
|
|
|
|
62 |
|
|
|
Londres, deux
hommes d’un caractère bien diffé- |
|
|
|
rent s’y
trouvèrent également. L’un était le Français, |
|
|
|
maréchal de
Belle-Isle ; l’autre, le mystique suédois |
|
|
|
Swedenborg.
M. de Belle-Isle et son frère avaient été |
|
|
|
arrêtés en
décembre 1744, sur un territoire relevant |
|
|
|
du Hanovre et
par suite de la couronne d’Angleterre, |
|
|
|
et conduits à
Londres. Tous deux « demeuraient dans |
|
|
|
une maison à
quelque distance de Windsor137, » mais |
|
|
|
« resserrés
de très près dans leur appartement ; on ne |
|
|
|
leur permet
de parler à personne ; on lit toutes leurs |
|
|
|
lettres avant
de leur donner cours138 ». Ils demeu- |
|
|
|
rèrent là
jusqu’au 13 août 1745. Nous avions cru un |
|
|
|
moment à une
rencontre possible entre M. de Belle- |
|
|
|
Isle et le
comte de Saint-Germain ; nous n’avons |
|
|
|
découvert
aucun document à ce sujet. |
|
|
|
|
|
|
|
Quant à
Swedenborg, si nous le mentionnons, c’est |
|
|
|
afin de
relever une certaine phrase de M. Beaumont- |
|
|
|
Vassy, à
propos de notre personnage : « Le comte de |
|
|
|
Saint-Germain
chercha à copier Swedenborg139. » Que |
|
|
|
nous
sachions, le comte n’a jamais prétendu avoir des |
|
|
|
visions140. |
|
|
|
|
|
|
|
Nous n’avons
pu savoir à quel moment le comte de |
|
|
|
|
|
|
|
137 Aff. Etrang.
Angleterre, 419, fo 199. |
|
|
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|
138 Lettre de
Champeaux, de Genève, 20 mars 1745, à M. Dr. |
|
|
|
Montaigu. Correspondance, Paris,
Plon, 1915, p. 238. |
|
|
|
|
|
|
|
139 Beaumont-Vassy. Swedenborg ou Stockholm en
1756. Paris, |
|
|
|
Gosselin,
1842, p. 32. |
|
|
|
|
|
|
|
140 Swedenborg était à
Londres en 1745 afin de mettre sous |
|
|
|
presse le IIIe volume de son
important ouvrage sur le règne |
|
|
|
animal. Cf. Matter. Swedenborg. Paris,
Didier, 1863, p. 106, |
|
|
|
|
|
|
|
63 |
|
|
|
Saint-Germain
quitta l’Angleterre ; nous croyons pou- |
|
|
|
voir supposer
que ce fut au début de 1746, et qu’il prit |
|
|
|
le parti de
retourner en Allemagne où il avait habité |
|
|
|
avant de
venir à Londres, et ce, d’après son propre |
|
|
|
dire. |
|
|
|
|
|
|
|
64 |
|
|
|
Quittant
l’Angleterre en 1746, le comte de Saint- |
|
|
|
Germain se
rendit, comme nous le verrons par la |
|
|
|
suite, en
Allemagne, dans ses terres, où il séjourna |
|
|
|
jusqu’au
début de 1758, et arriva à Paris, en février |
|
|
|
de la même
année. |
|
|
|
|
|
|
|
À cette
époque, la fortune de Mme de Pompadour, |
|
|
|
alors
favorite de Louis XV depuis plus de treize ans, |
|
|
|
était à son
apogée. Il ne convient pas, dans ce livre |
|
|
|
écrit en
marge de la grande histoire de rappeler com- |
|
|
|
bien fut
considérable l’influence de cette femme |
|
|
|
supérieure
sur la marche des affaires de l’État. Cette |
|
|
|
influence
explique tout naturellement la présence |
|
|
|
à la
direction des Bâtiments du roi, c’est-à-dire à la |
|
|
|
surintendance
des beaux-arts, du jeune frère de la |
|
|
|
favorite, le
marquis de Marigny, lequel « ayant voyagé |
|
|
|
avec
d’habiles artistes en Italie, et ayant acquis du |
|
|
|
goût et
beaucoup plus d’instruction que n’en avait eu |
|
|
|
aucun de ses
prédécesseurs141
» sut se faire apprécier |
|
|
|
de Louis XV.
Toutefois malgré de grandes qualités |
|
|
|
de savoir et
de discernement, le marquis de Marigny |
|
|
|
ne perdit
jamais tout à fait une certaine rudesse de |
|
|
|
manières et
une brusquerie native qui lui nuisirent |
|
|
|
auprès de ses
contemporains. |
|
|
|
|
|
|
|
141 Mme du Hausset. Mémoires, mis en ordre
par F. Barrière. |
|
|
|
Bruxelles,
1825, p. 84. |
|
|
|
|
|
|
|
65 |
|
|
|
Le marquis
dirigeait encore les manufactures du |
|
|
|
roi, et c’est
à ce titre qu’il fut sollicité par le comte |
|
|
|
de
Saint-Germain. En effet, ce dernier en avril 1758 |
|
|
|
envoya une
lettre à M. de Marigny, et cette lettre, |
|
|
|
des plus
curieuses, nous montre un nouvel aspect de |
|
|
|
notre
personnage142. |
|
|
|
|
|
|
|
Après avoir
assuré le marquis de toute sa confiance, |
|
|
|
le comte
s’exprime ainsi : |
|
|
|
|
|
|
|
« J’ai fait
dans mes terres la plus riche et la plus rare |
|
|
|
découverte
qu’on ait encore faite... J’y fais travail- |
|
|
|
ler avec une
assiduité, une constance, une patience |
|
|
|
qui n’ont
peut-être pas d’exemple, pendant près de |
|
|
|
vingt ans. Je
ne dis rien des dépenses excessives que |
|
|
|
j’ai faites
pour rendre ma trouvaille digne d’un roi ; |
|
|
|
rien non plus
des peines, voiages, études, veilles et |
|
|
|
ce qu’elle
m’a coûté. L’objet de tant de soins obtenu, |
|
|
|
je viens
volontairement en offrir le profit au roi, mes |
|
|
|
seuls frais
déduits, sans lui demander autre chose que |
|
|
|
la
disposition libre d’une des maisons roiales, propre |
|
|
|
à y établir
les gens que j’ai amenés d’Allemagne pour |
|
|
|
son service.
Ma présence sera assez souvent néces- |
|
|
|
saire là où
le travail se fera. De là la nécessité d’y trou- |
|
|
|
ver un
logement tout prêt pour moi. Je me charge de |
|
|
|
tous les
frais, tant de ceux qu’exigent les transports |
|
|
|
des matières
toutes préparées, que de ceux du travail |
|
|
|
des couleurs
qu’on tirera de ces matières préparées à |
|
|
|
|
|
|
|
142 Cette lettre, envoyée de Paris, indique l’heure à laquelle |
|
|
|
elle a été
écrite « 9 h. du matin, ce mercredi ». Aff. Etrang., |
|
|
|
France, 1360,
fo 116. |
|
|
|
|
|
|
|
66 |
|
|
|
deux cents
lieues de Paris, en un mot, il n’en coûtera |
|
|
|
au roi qu’un
logement meublé convenable à l’établis- |
|
|
|
sement prompt
et solide que je viens lui proposer, |
|
|
|
et quelques
arbres par an, moiennant quoi j’aurai la |
|
|
|
gloire et la
satisfaction de remettre à S. M., mes droits |
|
|
|
indisputables
sur la plus riche manufacture qui fût |
|
|
|
jamais, et en
laisser tout le profit à son royaume. |
|
|
|
|
|
|
|
« Est-il
nécessaire d’ajouter que j’aime sincère- |
|
|
|
ment le roi
et la France ? peut-on se méprendre sur |
|
|
|
le
désintéressement et la louabilité de mes motifs ? La |
|
|
|
nouveauté ne
paraît-elle pas exiger un procédé tout |
|
|
|
particulier à
mon égard ? Que S. M., que Mme de Pom- |
|
|
|
padour
daignent considérer l’offre dans toutes ses |
|
|
|
circonstances,
et l’homme qui la fait. Je n’ai plus qu’à |
|
|
|
me taire. Il
y a un an que je parle de cela. Il y a trois |
|
|
|
mois que je
suis à Paris. Je m’ouvre, Monsieur, à un |
|
|
|
homme droit
et franc ; pourrais-je avoir tort143 ?... » |
|
|
|
|
|
|
|
Cette lettre
[qui n’est qu’une copie qu’on nous dit |
|
|
|
authentique]
est signée : Denis de S.
M., Comte de |
|
|
|
Saint-Germain.
C’est la première et la seule fois que |
|
|
|
nous voyons
paraître ce nom. Les initiales sont-elles |
|
|
|
celles du
patronyme du comte ou cachent-elles un |
|
|
|
autre
pseudonyme ? nous l’ignorons ; constatons sim- |
|
|
|
plement le
fait. |
|
|
|
|
|
|
|
Ce qui est
plus certain c’est l’indication donnée par |
|
|
|
notre
personnage de la possession en Allemagne d’un |
|
|
|
domaine dans
lequel travaillent depuis une vingtaine |
|
|
|
d’années, des
gens à ses gages en vue d’un procédé |
|
|
|
|
|
|
|
143 Citée en partie par E. Marquiset, ouvr. cité, pp. 81-82. |
|
|
|
|
|
|
|
67 |
|
|
|
concernant
les teintures. Ainsi le comte de Saint-Ger- |
|
|
|
main serait
un savant chimiste possédant des biens en |
|
|
|
Allemagne.
Ajoutons que cette indication sera corro- |
|
|
|
borée par
d’autres faits que nous indiquons plus loin. |
|
|
|
|
|
|
|
Le marquis de
Marigny accepta la proposition à lui |
|
|
|
faite par le
comte de Saint-Germain. Il lui fit donc |
|
|
|
connaître
qu’il mettait à sa disposition une partie du |
|
|
|
château de
Chambord, alors inoccupé depuis la mort |
|
|
|
du neveu du
maréchal de Saxe. |
|
|
|
|
|
|
|
Le 8 mai
1758, M. Collet, architecte et contrôleur |
|
|
|
des Bâtiments
du roi, fit savoir au frère de la favo- |
|
|
|
rite que : «
Le comte de Saint-Germain est arrivé ici |
|
|
|
samedi pour
son second voyage qu’il fait à Chambord. |
|
|
|
J’ai fait
préparer deux logements pour partie de son |
|
|
|
monde, ainsi
que trois pièces de cuisines et offices, au |
|
|
|
rez-de-chaussée,
pour ses opérations. Je n’ai rien eu à |
|
|
|
changer pour
cela dans cette partie du château, sauf |
|
|
|
quelques
réparations urgentes144. » |
|
|
|
|
|
|
|
Cette missive
nous fournit la preuve que ce n’est |
|
|
|
pas Louis XV
qui donna au comte de Saint-Germain |
|
|
|
le château de
Chambord, comme on l’a prétendu145 ; |
|
|
|
c’est le
marquis de Marigny qui prit sur lui de per- |
|
|
|
mettre au
comte de se servir d’une partie des com- |
|
|
|
|
|
|
|
144 Arch, Nation.
Blois, O1
1326, p. 399. |
|
|
|
|
|
|
|
145 Casanova. Mémoires. Paris,
Garnier, s. d., t. IIII p. 362 : « Le |
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roi lui avait
donné un appartement à Chambord et cent mille |
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livres pour
la construction de laboratoire et le roi, par ses pro- |
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ductions
chimiques, devait faire prospérer toutes les fabriques |
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|
de la France.
» Voir aussi Comte de Lamberg, ouvr. cité, p. 81. |
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68 |
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muns du
château pour ses manipulations de matières |
|
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|
colorantes. |
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|
Le
surlendemain, le comte revint à Paris, accompa- |
|
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gné de M.
Collet146,
parce qu’il avait quelques arran- |
|
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|
gements à
effectuer, et ne retourna à Chambord que |
|
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|
dans le
courant d’août 1758147. |
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|
Le comte de
Saint-Germain, s’il avait obtenu en |
|
|
|
partie
satisfaction, désirait vivement être reçu par |
|
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|
le marquis de
Marigny, aussi lui écrivit-il à nouveau |
|
|
|
le 24 mai
1758. Dans cette lettre, le comte se plaint |
|
|
|
douloureusement
de « ce qu’on lui refuse la porte » |
|
|
|
et demande au
marquis un moment d’audience « au |
|
|
|
nom de la
justice et de l’humanité148 ». |
|
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|
|
Cette seconde
lettre n’eut pas, sans doute, le même |
|
|
|
sort que la
première, et il est fort probable que le frère |
|
|
|
de la
favorite, bien qu’étant d’une sécheresse admi- |
|
|
|
rablement
persistante avec les personnes de grande |
|
|
|
qualité, se
décida à recevoir le comte de Saint-Ger- |
|
|
|
main149, et à la suite de
cette entrevue, le marquis, |
|
|
|
conquis par
la singularité du savoir du comte, le pré- |
|
|
|
senta à sa
sœur. |
|
|
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|
|
Lorsque le
comte de Saint-Germain fut présenté |
|
|
|
à Mme de Pompadour,
celle-ci fut frappée par son |
|
|
|
air
aristocratique « le comte paraissait avoir cin- |
|
|
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|
146 Arch. Nation.,
Blois, O1
1326, p. 379. |
|
|
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|
|
|
147 Arch. Nation.,
Blois, O1
1326 p. 395. |
|
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|
148 Aff. Etrang.
France, 1360, fo 116. |
|
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|
149 Le marquis de
Marigny habitait soit rue Saint-Thomas du |
|
|
|
Louvre, soit
en son petit hôtel du 5, d’Anjou. |
|
|
|
|
|
|
|
69 |
|
|
|
quante ans ;
il avait l’air fin, spirituel, était mis très |
|
|
|
simplement,
mais avec goût. Il portait aux doigts |
|
|
|
de très beaux
diamants, ainsi qu’à sa tabatière et à |
|
|
|
sa montre150 ». Le comte sut
certainement plaire à la |
|
|
|
favorite du
roi et celle-ci intéressée comme l’avait été |
|
|
|
son frère le
garda près d’elle un certain jour. Il y avait |
|
|
|
là M. de
Gontaut, Mme de
Brancas, et l’abbé de Ber- |
|
|
|
nis, ministre
des affaires étrangères. À un moment |
|
|
|
donné, le roi
entra, venant de ses appartements situés |
|
|
|
au premier
étage, par l’escalier dérobé. |
|
|
|
|
|
|
|
La marquise
de Pompadour présenta le comte de |
|
|
|
Saint-Germain
au roi avec sa grâce accoutumée. |
|
|
|
|
|
|
|
Il est hors
de doute que Louis XV questionna le |
|
|
|
comte de
Saint-Germain sur ses origines. Les réponses |
|
|
|
de celui-ci
durent être nettes et précises puisqu’on |
|
|
|
affirme que «
le roi ne souffrait pas qu’on en parlât |
|
|
|
[du comte]
avec mépris et raillerie151 ». |
|
|
|
|
|
|
|
Comme Louis
XV avait naturellement quelque goût |
|
|
|
pour les
sciences positives : l’astronomie, l’anatomie |
|
|
|
et la chimie,
et que le comte, comme nous l’avons vu, |
|
|
|
pratiquait
cette dernière science, on a prétendu que |
|
|
|
celui-ci
avait monté au hameau de Trianon près de |
|
|
|
Versailles,
un laboratoire où le roi « se distrayait à des |
|
|
|
expériences152 ». |
|
|
|
|
|
|
|
150 Mme du Hausset, ouvr. cité, p. 145. |
|
|
|
|
|
|
|
151 Mme du Hausset, ouvr. cité, p. 145. On sait qu’en fait de |
|
|
|
généalogie
Louis XV possédait une mémoire extraordinaire et |
|
|
|
ne parlait
pas au hasard. Cf. L. Perey.
Figures du temps passé. |
|
|
|
XVIIIe siècle. Paris,
Calmann-Lévy, 1900, p. 245. |
|
|
|
|
|
|
|
152 Edouard Maynial. Casanova et son temps.
Paris, Mercure de |
|
|
|
|
|
|
|
70 |
|
|
|
Le comte de
Saint-Germain avait ses entrées fami- |
|
|
|
lières à
Versailles chez la marquise de Pompadour. |
|
|
|
Auprès d’elle
se tenait sa femme de chambre, Mme du |
|
|
|
Haussay des
Demaines153 qui
nous a laissé sur sa maî- |
|
|
|
tresse des Mémoires, dont l’authenticité ne
fait aucun |
|
|
|
doute154. |
|
|
|
|
|
|
|
La marquise
de Pompadour aimait la façon particu- |
|
|
|
lière avec
laquelle le comte de Saint-Germain racon- |
|
|
|
tait
l’histoire et l’interrogeait malicieusement : |
|
|
|
|
|
|
|
— Comment était fait François Ier ? C’est un roi que |
|
|
|
j’aurais
aimé. |
|
|
|
|
|
|
|
— Aussi était-il très aimable, dit le comte
; et il |
|
|
|
|
|
|
|
France, 1890.
À propos de ce laboratoire, nous avons consulté |
|
|
|
M.
Mauricheau-Beaupré, conservateur des Trianons, qui avec |
|
|
|
obligeance a
bien voulu nous faire part de ses recherches à ce |
|
|
|
sujet. « Si
le fait est exact, le laboratoire dont il s’agit n’aurait |
|
|
|
pu trouver
place que dans les dépendances de Trianon, et non |
|
|
|
pas dans le
château lui-même ». Notre aimable correspon- |
|
|
|
dant ajoute :
« que les recherches n’ont pas donné de résultat » |
|
|
|
(Lettre du 4
avril 1933). |
|
|
|
|
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|
|
153 Nicolle Collesson,
fille de François, maître corroyeur, et de |
|
|
|
Claudine
Rollot, fille d’un marchand drapier de Vitry-le-Fran- |
|
|
|
çois, est né
dans cette ville le 14 juillet 1713. Elle épousa le |
|
|
|
15 février
1734, Jacques-René du Haussay, écuyer, seigneur |
|
|
|
des Demaines,
lequel mourut en 1743. Mme de Haussay des |
|
|
|
Demaines
devint en 1747, femme de chambre de Mme de Pom- |
|
|
|
padour
qu’elle avait connue dans sa jeunesse. |
|
|
|
|
|
|
|
154 On lira avec
intérêt le livre de M. G. Saintville sur la |
|
|
|
confidente de
Mme de
Pompadour, Madame du Haussay des |
|
|
|
Demaines,
Paris, Boivin, 1937, lequel, conçu méthodiquement, |
|
|
|
est d’une
grande valeur par ses documents officiels. Mme du |
|
|
|
Haussay est
morte le 4 juillet 1801, à l’âge de 88 ans après une |
|
|
|
vie pleine
d’orages. |
|
|
|
|
|
|
|
71 |
|
|
|
dépeignit
ensuite sa figure et toute sa personne, |
|
|
|
comme l’on
fait d’un homme qu’on a bien considéré. |
|
|
|
« C’est
dommage qu’il fut ardent. Je lui aurais donné |
|
|
|
un bon
conseil qui l’aurait garanti de ses malheurs... ; |
|
|
|
mais il ne
l’aurait pas suivi, car il semble qu’il y ait |
|
|
|
une fatalité
pour les princes qui ferment leurs oreilles, |
|
|
|
c’est-à-dire
celles de leur esprit aux meilleurs avis, |
|
|
|
surtout dans
les moments critiques. |
|
|
|
|
|
|
|
— Et le connétable, dit Madame, qu’en
dites-vous ? |
|
|
|
|
|
|
|
— Je ne puis en dire trop de bien et trop
de mal, |
|
|
|
répondit-il. |
|
|
|
|
|
|
|
— La cour de François Ier était-elle fort belle ? |
|
|
|
|
|
|
|
— Très belle, mais celle de ses petits-fils
la surpas- |
|
|
|
sait
infiniment ; et du temps de Marie-Stuart, et de |
|
|
|
Marguerite de
Valois, c’était un pays d’enchantement, |
|
|
|
le temple des
plaisirs ; ceux de l’esprit s’y mêlaient. |
|
|
|
Les deux
reines étaient savantes, faisaient des vers, et |
|
|
|
c’était un
plaisir de les entendre. » |
|
|
|
|
|
|
|
Madame lui
dit en riant : |
|
|
|
|
|
|
|
— « Il semble que vous ayez vu tout cela. |
|
|
|
|
|
|
|
— J’ai beaucoup de mémoire, dit-il, et j’ai
beaucoup |
|
|
|
lu l’histoire
de France. Quelquefois je m’amuse non |
|
|
|
pas à faire
croire, mais à laisser croire, que j’ai vécu |
|
|
|
dans les plus
anciens temps155.
» |
|
|
|
|
|
|
|
En effet, le
comte de Saint-Germain « savait doser |
|
|
|
le
merveilleux de ses récits, suivant la réceptivité de |
|
|
|
|
|
|
|
155 Mme du Hausset, ouvr. cité, pp. 142-143. |
|
|
|
|
|
|
|
72 |
|
|
|
son auditeur156, » ce qui à notre
avis est le propre d’un |
|
|
|
esprit
supérieur157. |
|
|
|
|
|
|
|
Une certaine
fable ayant trait à l’aspect physique |
|
|
|
du comte
intriguait au plus haut point la société |
|
|
|
parisienne.
Le bruit s’était répandu que celui-ci bien |
|
|
|
qu’ayant
l’apparence d’un homme dans la force de |
|
|
|
l’âge était
en réalité un vieillard âgé de plusieurs |
|
|
|
siècles, et
la rumeur étant venue aux oreilles de |
|
|
|
Mme de Pompadour,
celle-ci en fit la remarque au |
|
|
|
comte : |
|
|
|
|
|
|
|
— « Mais enfin vous ne dites pas votre âge,
et vous |
|
|
|
vous donnez
pour fort vieux. La comtesse de Gergy |
|
|
|
qui était, il
y a cinquante ans, je crois ambassadrice |
|
|
|
à Venise, dit
vous y avoir connu tel que vous êtes |
|
|
|
aujourd’hui. |
|
|
|
|
|
|
|
— Il est vrai, Madame, que j’ai connu, il y
a long- |
|
|
|
temps, Mme de Gergy. |
|
|
|
|
|
|
|
— Mais, suivant ce qu’elle dit, vous auriez
plus de |
|
|
|
cent ans à
présent ? |
|
|
|
|
|
|
|
— Cela n’est pas impossible, dit-il en
riant ; mais je |
|
|
|
|
|
|
|
156 Baron de Gleichen, ouvr. cité, p. 123. |
|
|
|
|
|
|
|
157 Selon E. Marquiset, ouvr. cité, p. 80, le
comte de Saint- |
|
|
|
Germain «
pour se faufiler au milieu de la cour de France, |
|
|
|
pour
intéresser Mme
de Pompadour, pour amuser — presque— |
|
|
|
Louis XV, sut
utiliser sa physionomie d’homme brun bien |
|
|
|
conservé, sa
science parfaite de l’histoire, sa connaissance pro- |
|
|
|
fonde de la
crédulité humaine, enfin l’affirmation qui repré- |
|
|
|
sente le
meilleur facteur de l’action suggestive, c’est à cette |
|
|
|
intelligence
psychologique, plutôt qu’à un haut grade Maçon- |
|
|
|
nique, comme
on l’a prétendu, qu’on doit attribuer l’influence |
|
|
|
exercée par
Saint-Germain, sur les personnages de son siècle ». |
|
|
|
|
|
|
|
73 |
|
|
|
conviens
qu’il est encore plus possible que cette dame |
|
|
|
que je
respecte, radote. |
|
|
|
|
|
|
|
— Vous lui avez donné, dit-elle, un élixir
surpre- |
|
|
|
nant par ses
effets ; elle prétend qu’elle a longtemps |
|
|
|
paru n’avoir
que vingt-quatre ans. Pourquoi n’en |
|
|
|
donneriez-vous
pas au roi ? |
|
|
|
|
|
|
|
— Ah ! Madame, dit-il avec une sorte
d’effroi, que |
|
|
|
je m’avise de
donner au roi une drogue inconnue, il |
|
|
|
faudrait que
je fusse fou158.
» |
|
|
|
|
|
|
|
En réalité,
si Mme de Gergy
a pu connaître le |
|
|
|
|
|
|
|
158 Mme du Hausset, ouvr. cité, p. 143. Si
nous consultons les soi- |
|
|
|
disant
Souvenirs sur Marie-Antoinette par la comtesse d’Adhé- |
|
|
|
mar, Paris, 1836, t. 1er, p. 297. Ce dialogue est ainsi rapporté : |
|
|
|
« La vieille
sempiternelle comtesse de Georgy [pour Gergy], que |
|
|
|
certainement
la mort avait oubliée sur la terre, disait devant |
|
|
|
moi au comte
de Saint-Germain : — Il y a cinquante ans, j’étais |
|
|
|
ambassadrice
à Venise, et je me rappelle vous y avoir vu avec le |
|
|
|
même visage ;
un peu plus mûr peut-être, car vous avez rajeuni |
|
|
|
depuis lors.
— Dans tous les temps, je me suis estimé heureux |
|
|
|
de pouvoir
faire ma cour aux dames. — Vous vous nommiez à |
|
|
|
cette époque
le marquis Balletti. — Et Madame la Comtesse de |
|
|
|
Georgy a
encore la mémoire aussi fraîche qu’il y a cinquante |
|
|
|
ans. — Je
dois cet avantage à un élixir que vous me donnâtes |
|
|
|
à notre
première entrevue. Vous êtes réellement, un homme |
|
|
|
extraordinaire.
— Ce marquis Balletti avait-il une mauvaise |
|
|
|
réputation ?
— Au contraire, c’était un homme de fort bonne |
|
|
|
compagnie. —
Eh bien ! puisque l’on ne se plaint pas de lui, je |
|
|
|
l’adopte
volontiers pour mon grand-père. » Le folliculaire, le |
|
|
|
Sieur Lamothe
Langon, a soin d’ajouter : « Je sais que depuis |
|
|
|
on a dénaturé
ses réponses à la comtesse de Georgy ; je les rap- |
|
|
|
porte telles
que je les ai entendues sortir de sa bouche ». Il est |
|
|
|
amusant de
voir un pamphlétaire attaquer son alter ego, en |
|
|
|
l’espèce,
Touchard-Lafosse, l’auteur des Chroniques de l’Œil- |
|
|
|
de-Bœuf, tout
aussi fausses que les Souvenirs. |
|
|
|
|
|
|
|
74 |
|
|
|
comte de
Saint-Germain à Venise, ce n’est qu’entre |
|
|
|
les années
1723 à 1731, lorsque son mari, Jacques- |
|
|
|
Vincent
Languet, comte de Gergy, était ambassadeur |
|
|
|
de France
dans cette ville159. |
|
|
|
|
|
|
|
De même, on
prétend « d’après des personnes |
|
|
|
dignes de foi
» que Rameau aurait connu le comte |
|
|
|
à Venise, en
1710, « ayant l’air d’un homme de cin- |
|
|
|
quante ans160 »». Or, s’il est
exact que Rameau fit un |
|
|
|
voyage en
Italie, ce fut en 1701 et non en 1710, et |
|
|
|
même notre
musicien, parti avec l’intention de visi- |
|
|
|
ter la
péninsule italienne, « n’alla point au-delà de |
|
|
|
Milan161 ». |
|
|
|
|
|
|
|
La fable,
dont il est question plus haut, était |
|
|
|
l’œuvre d’un
« pantomime grimacier » lequel fai- |
|
|
|
sait partie
d’une troupe d’amuseurs publics dirigés |
|
|
|
par un
certain « comte » d’Albaret, Piémontais d’ori- |
|
|
|
gine, que les
chroniques du temps disent « avoir (eu) |
|
|
|
beaucoup
d’esprit ». Ce pantomime « être amphibie, |
|
|
|
moitié
Français, moitié Anglais, quelquefois fripon, |
|
|
|
mystificateur,
joueur, espion, parasite, et quoiqu’en |
|
|
|
dise tout
Paris, ordinairement ennuyeux162, » était un |
|
|
|
|
|
|
|
159 Aff. Etrang.
Italie, fo
177 à 185. |
|
|
|
|
|
|
|
160 Baron de Gleichen, ouvr. cité, p. 126. |
|
|
|
|
|
|
|
161 Michaud. Biographie universelle,
Paris, 1824, t. 37, p. 28. |
|
|
|
|
|
|
|
162 De Luchet. Le vicomte de Barjac. Dublin et Paris, 1796, t. I, |
|
|
|
p. 38.
D’après G. Desnoiresterres,
ouvr. cité, p. 219 : « Lord Gor |
|
|
|
était un
garçon aimant à dire et n’y regardant pas de fort près |
|
|
|
lorsqu’il
s’agissait de persécuter le prochain : toutefois, malgré |
|
|
|
ses
“noirceurs” il était recherché, et l’on estimait son caractère |
|
|
|
plus solide
et consistant qu’on n’eût pu le croire sur ces échan- |
|
|
|
tillons d’une
vie aussi étrange. » |
|
|
|
|
|
|
|
75 |
|
|
|
Français,
nommé Gauve, commis dans les fourrages, |
|
|
|
que l’on
avait surnommé milord Gor (ou Gower ou |
|
|
|
Qoys), parce
qu’il imitait les Anglais supérieurement. |
|
|
|
« Or, ce fut
ce milord Gor que des mauvais plaisants |
|
|
|
menèrent dans
les salons et ruelles du Marais sous le |
|
|
|
nom de M. de
Saint-Germain, pour satisfaire la curio- |
|
|
|
sité des
dames et des badauds de ce canton de Paris, |
|
|
|
plus aisé à
tromper que le quartier du Palais-Royal ; |
|
|
|
ce fut sur ce
théâtre que notre faux adepte se per- |
|
|
|
mit de jouer
son rôle, d’abord avec un peu de charge, |
|
|
|
mais, voyant
qu’on recevait tout avec admiration, il |
|
|
|
remonta de
siècle en siècle jusqu’à Jésus-Christ163, |
|
|
|
dont il
parlait avec une grande familiarité, comme s’il |
|
|
|
avait été
sort ami. « Je l’ai connu intimement, disait- |
|
|
|
il, c’était
le meilleur homme du monde, mais roma- |
|
|
|
nesque et
inconsidéré ; je lui ai souvent prédit qu’il |
|
|
|
finirait mal.
» Ensuite, notre acteur s’étendait sur les |
|
|
|
services
qu’il avait cherché à lui rendre par l’inter- |
|
|
|
cession de Mme Pilate, dont il
fréquentait la maison |
|
|
|
journellement.
Il disait avoir connu particulièrement |
|
|
|
la sainte
Vierge, sainte Elisabeth, et même sainte |
|
|
|
Anne sa
vieille mère. « Pour celle-ci, ajoutait-il, je lui |
|
|
|
ai rendu un
grand service après sa mort. Sans moi, |
|
|
|
elle n’aurait
jamais été canonisée. Pour son bonheur, |
|
|
|
je me suis
trouvé au concile de Nicée, et comme je |
|
|
|
connaissais
beaucoup plusieurs des évêques qui le |
|
|
|
|
|
|
|
163 D’après C. Cantu. L’hérésie dans la Révolution. Paris, Le |
|
|
|
Clère, 1870,
p. 45. « Le marquis (sic) de Saint-Germain avait |
|
|
|
connu David,
avait assisté aux noces de Cana, chassé avec |
|
|
|
Charlemagne,
bu avec Luther ». |
|
|
|
|
|
|
|
76 |
|
|
|
composaient,
je les ai tant priés, leur ai tant répété |
|
|
|
que c’était
une si bonne femme, que cela leur coûte- |
|
|
|
rait si peu
d’en faire une sainte, que son brevet lui fut |
|
|
|
expédié. »
Cette facétie, répétée à Paris assez sérieu- |
|
|
|
sement,
contribua à valoir à M. de Saint-Germain le |
|
|
|
renom de
posséder une médecine qui rajeunissait et |
|
|
|
rendait
peut-être immortel ; elle est aussi à l’origine |
|
|
|
du conte
bouffon de la vieille femme de chambre |
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d’une dame
qui avait caché une fiole pleine de cette |
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liqueur
divine164 : «
la vieille soubrette la déterra et en |
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|
avala tant,
qu’à force de boire et de rajeunir elle rede- |
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vint petit
enfant165 ». À
moins qu’il ne faille chercher |
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|
à cette
histoire une autre explication que nous envi- |
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sagerons dans
la dernière partie de ce travail. |
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Tandis qu’à
Paris, on « mystifiait » notre per- |
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|
sonnage, par
contre à Versailles, le roi Louis XV et |
|
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|
Mme de Pompadour le
traitaient avec considération, |
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|
et l’on
assure que le comte de Saint-Germain passa |
|
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quelques
soirées presque en tête-à-tête avec le roi. |
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164 D’après de Courchamps, ouvr. cité, t. IV, p.
115 « l’élixir |
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|
de
Saint-Germain était composé tout simplement d’aromates |
|
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|
et d’or
potable ». Cependant le Baron de Gleichen, ouvr. cité, |
|
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p. 127,
écrira : « je ne l’ai jamais entendu parler d’une méde- |
|
|
|
cine
universelle ». |
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|
165 Baron de Gleichen, ouvr. cité, pp.
125-126. La première ver- |
|
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|
sion du conte
bouffon est parue dans The London Chronicle, |
|
|
|
du 3 juin
1760, sans indication de nom, et répété par le Comte |
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|
de Lamberg, ouvr. cité, p. 80, jusqu’à Stanislas de Guaita. Le |
|
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|
Temple de
Satan, Paris, 1891, p. 301, en passant par Roger de |
|
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Beauvoir. Aventurières et
courtisanes, Paris, 1856, avec des |
|
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|
détails
fantastiques. |
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77 |
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C’est ainsi
que Mme du
Haussay rapporte une de leurs |
|
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conversations
: |
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« M. de
Saint-Germain dit un jour au roi : |
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— Pour estimer les hommes, il ne faut être
ni |
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confesseur,
ni ministre, ni lieutenant de police. |
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Le roi lui
dit : |
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— Et roi ? |
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— Ah ! dit-il, Sire, vous avez vu le
brouillard qu’il |
|
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|
faisait il y
a quelques jours, on ne voyait pas à quatre |
|
|
|
pas. Les
rois, je parle en général, sont environnés de |
|
|
|
brouillards
encore plus épais que font naître autour |
|
|
|
d’eux les
intrigants, les ministres infidèles ; et tous |
|
|
|
s’accordent
dans toutes les classes pour lui faire voir |
|
|
|
les objets
sous un aspect différent du véritable166. » |
|
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|
Le comte de
Saint-Germain vint, « un jour où la |
|
|
|
cour était en
magnificence, chez Madame [de Pom- |
|
|
|
padour], avec
des boucles de souliers et de jarretières |
|
|
|
de diamants
fins, si belles, que Madame dit qu’elle ne |
|
|
|
croyait pas
que le roi en eût d’aussi belles. Il passa |
|
|
|
dans
l’antichambre pour les défaire, et les apporter |
|
|
|
pour les voir
de plus près ; et en comparant les pierres |
|
|
|
à d’autres,
M. de Gontaut qui était là, dit qu’elles |
|
|
|
valaient au
moins deux cent mille francs. Il avait ce |
|
|
|
jour même une
tabatière d’un prix infini, et des bou- |
|
|
|
tons de
manche de rubis qui étaient étincelants167. » |
|
|
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|
|
|
|
« Quelques
jours après, il fut question entre le roi, |
|
|
|
|
|
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|
166 Mme du Hausset, ouvr. cité, pp. 179-180. |
|
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|
167 Mme du Hausset, ouvr. cité, p. 145. |
|
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|
78 |
|
|
|
Madame,
quelques seigneurs, et le comte de Saint- |
|
|
|
Germain, du
secret qu’il avait de faire disparaître les |
|
|
|
taches des
diamants. Le roi se fit apporter un diamant |
|
|
|
médiocre en
grosseur, qui avait une tache. On le fit |
|
|
|
peser, et le
roi dit au comte : « Il est estimé six mille |
|
|
|
livres, mais
il en vaudrait dix sans la tache. Voulez- |
|
|
|
vous vous
charger de me faire gagner quatre mille |
|
|
|
francs ? » Il
l’examina bien, et dit : « Cela est possible, |
|
|
|
et dans un
mois je le rapporterai à votre Majesté. — Le |
|
|
|
comte, un
mois après, rapporta au roi le diamant sans |
|
|
|
tache il
était enveloppé dans une toile d’amiante qu’il |
|
|
|
ôta. Le roi
le fit peser, et à quelque petite chose près, |
|
|
|
il était
aussi pesant. Le roi l’envoya à son joaillier, |
|
|
|
sans lui rien
dire, par M. de Gontant, qui rapporta |
|
|
|
neuf mille
six cents livres ; mais le roi le fit redeman- |
|
|
|
der, pour le
garder par curiosité. Il ne revenait pas |
|
|
|
de sa
surprise, et il disait que M. de Saint-Germain |
|
|
|
devait être
riche à millions, surtout s’il avait le secret |
|
|
|
de faire avec
de petits diamants de gros diamants. Il |
|
|
|
ne dit ni oui
ni non ; mais il assura très positivement |
|
|
|
qu’il savait
faire grossir les perles, et leur donner la |
|
|
|
plus belle
eau168. » |
|
|
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|
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|
|
« Le comte de
Saint-Germain étant venu chez |
|
|
|
Madame qui
était incommodée, et qui restait sur sa |
|
|
|
chaise
longue, lui fit voir une petite boîte qui contenait |
|
|
|
des topazes,
des rubis, des émeraudes. Il paraît qu’il |
|
|
|
|
|
|
|
168 Mme du Hausset, ouvr. cité, p. 143-144.
« On disait que le |
|
|
|
comte avait
le secret de faire ces pierres avec de la cendre et de |
|
|
|
la poussière,
» rapporte M. Capefique dans
Madame de Pompa- |
|
|
|
dour, Paris,
Amyot, 1858, p. 268. |
|
|
|
|
|
|
|
79 |
|
|
|
y en avait
pour des trésors. Madame m’avait appe- |
|
|
|
lée [c’est Mme du Haussay qui
parle] pour voir toutes |
|
|
|
ces belles
choses. je les regardai avec ébahissement, |
|
|
|
mais je
faisais signe derrière à Madame que je croyais |
|
|
|
tout cela
faux. Le comte ayant cherché quelque chose |
|
|
|
dans un
porte-feuille, grand deux fois comme un étui |
|
|
|
à lunettes,
il en tira deux ou trois petits papiers qu’il |
|
|
|
déplia, fit
voir un superbe rubis, et jeta de côté sur la |
|
|
|
table avec
dédain une petite croix de pierres blanches |
|
|
|
et vertes. Je
la regardai, et dis : “Cela n’est pas tant à |
|
|
|
dédaigner”.
Je l’essayai, et j’eus l’air de la trouver fort |
|
|
|
jolie. Le
comte me pria aussitôt de l’accepter ; je refu- |
|
|
|
sai, il
insista. Madame refusait aussi pour moi. Enfin, |
|
|
|
il pressa
tant et tant que Madame, qui voyait que cela |
|
|
|
ne pouvait
guère valoir plus de quarante louis, me fit |
|
|
|
signe
d’accepter. Je pris la croix, fort contente des |
|
|
|
|
|
|
|
80 |
|
|
|
belles
manières du comte ; et Madame, quelques jours |
|
|
|
après lui fit
présent d’une boîte émaillée sur laquelle |
|
|
|
était un
portrait de je ne sais plus quel sage de la Grèce |
|
|
|
pour faire
comparaison avec lui. Je fis, au reste, voir |
|
|
|
la croix, qui
valait quinze cents francs. Il proposa à |
|
|
|
Madame de lui
faire voir quelques portraits en émail |
|
|
|
de Petitot,
et Madame lui dit de revenir après dîner |
|
|
|
pendant la
chasse. Il montra ses portraits, et Madame |
|
|
|
lui dit : “On
parle d’une histoire charmante que vous |
|
|
|
avez racontée
il y a deux jours chez M. le Premier169 et |
|
|
|
dont vous
avez été témoin il y a cinquante ou soixante |
|
|
|
ans”. Il
sourit. M. de Gontaut et les dames arrivèrent, |
|
|
|
et on fit
fermer la porte170. » |
|
|
|
|
|
|
|
À tout
prendre, l’histoire en soi est banale. Elle |
|
|
|
se déroule en
Hollande, à la Haye. Un jeune gen- |
|
|
|
tilhomme se
fait passer auprès de l’ambassadeur |
|
|
|
d’Espagne, le
marquis de Saint-Gilles171, pour le fils |
|
|
|
d’un grand
d’Espagne, le comte de Moncade, et lui |
|
|
|
extorque une
certaine somme d’argent pour les beaux |
|
|
|
|
|
|
|
169 On désignait ainsi
l’écuyer qui était à la tête de la petite |
|
|
|
écurie du
roi, par opposition au grand écuyer, appelé M. le |
|
|
|
Grand. À
l’époque, la charge héréditaire était tenue par le |
|
|
|
marquis de
Beringhen, lequel avait épousée Mlle d’Hautefort, |
|
|
|
fille de
l’ambassadeur de France à Vienne. Le père du marquis, |
|
|
|
Henry de
Beringhen a laissé une collection d’estampes artis- |
|
|
|
tiques et
historiques qui figure au département des estampes à |
|
|
|
la
Bibliothèque Nationale. |
|
|
|
|
|
|
|
170 Mme du Hausset, ouvr. cité, pp. 188-190. |
|
|
|
|
|
|
|
171 Le marquis de
Saint-Gilles fut ambassadeur d’Espagne |
|
|
|
à La Haye de
1734 à 1746. Il mourut à Madrid en 1754. Aff. |
|
|
|
Etrang.,
Espagne, 393. |
|
|
|
yeux d’une
jeune comédienne aussi rusée que le jeune |
|
|
|
gentilhomme172. |
|
|
|
|
|
|
|
Comme Mme du Haussay «
affirme que l’histoire est |
|
|
|
vraie dans
tous ses points » nous en concluons que |
|
|
|
le comte de
Saint-Germain a connu les personnages |
|
|
|
qu’il met en
scène et nous savons déjà que le comte de |
|
|
|
Saint-Germain
et le marquis de Saint-Gilles sont des |
|
|
|
amis comme
nous l’avons vu au chapitre premier173. |
|
|
|
|
|
|
|
172 Mme du Hausset, ouvr. cité, pp. 190-200. Une histoire |
|
|
|
identique,
mais cette fois véridique, est relatée par le duc de |
|
|
|
Saint-Simon.
En 1715, un prétendu marquis de Ruffec se fit |
|
|
|
passer pour
le fils du duc. Mémoires, t. VII, p. 351. Madame |
|
|
|
de Pompadour,
d’après madame du Haussay, avait eu l’idée |
|
|
|
de faire une
comédie de cette aventure. Son idée fut réalisée |
|
|
|
par Ch. Aug.
Sevrin qui écrivit : Le marquis de Moncade ou la |
|
|
|
comédie
bourgeoise, un acte en prose mêlé de couplets. Paris, |
|
|
|
1811. |
|
|
|
|
|
|
|
173 Une seule erreur
est à signaler dans le récit du comte. |
|
|
|
C’est que M.
de Moncade qu’il donne sans enfant eut une fille |
|
|
|
de son
mariage avec une descendante des comtes de Baños, |
|
|
|
ce que,
peut-être M. de Saint-Germain ignorait. Saint-Simon, |
|
|
|
ouvr. cité,
t. XII, p. 160. Jules Janin, dans un recueil de contes |
|
|
|
intitulé :
Les Oiseaux bleus (Paris, Hachette, 1864), a repris |
|
|
|
l’anecdote
sous le titre : Les Fausses confidences (pp. 301-345). |
|
|
|
Il prétend
que cette historiette est un nouveau chapitre du |
|
|
|
roman de
l’abbé Prévost : Manon Lescaut. |
|
|
|
|
|
|
|
82 |
|
|
|
Mme d'Urfé et Casanova |
|
|
|
|
|
|
|
Le comte de
Saint-Germain n’était pas seulement |
|
|
|
accueilli et
consulté par le roi Louis XV et la marquise |
|
|
|
de Pompadour174, il avait aussi
accès dans les meil- |
|
|
|
leures
familles de la cour, et quoiqu’il acceptât les |
|
|
|
invitations à
dîner qui lui étaient faites par ses amis |
|
|
|
« vivait d’un
grand régime, ne buvant jamais en man- |
|
|
|
geant175 ». S’il
s’asseyait à table, il refusait à peu de |
|
|
|
chose près
les mets qu’on lui proposait, et se conten- |
|
|
|
tait de
parler, ce qu’il faisait avec autant de grâce que |
|
|
|
de facilité. |
|
|
|
|
|
|
|
Il allait
souvent passer la soirée chez la marquise |
|
|
|
d’Urfé, qui
habitait, tout près de la rue des Saints- |
|
|
|
Pères, un
élégant hôtel, sur le quai des Théatins, |
|
|
|
aujourd’hui
quai Voltaire. La marquise occupait un |
|
|
|
riche
appartement, où elle vivait somptueusement ; |
|
|
|
son salon
était connu de tout Paris, et l’un des mieux |
|
|
|
fréquentés de
la capitale, où chacun tenait à honneur |
|
|
|
d’être admis. |
|
|
|
|
|
|
|
La maison
d’Urfé était l’une des plus anciennes, |
|
|
|
sinon des
plus nobles et des plus puissantes de France, |
|
|
|
|
|
|
|
174 D’après M. Capefigue, ouvr. cité, p. 268 : «
La Marquise |
|
|
|
consultait le
comte de Saint-Germain, sinon comme un magi- |
|
|
|
cien à la
baguette enchantée, au moins comme une de ces |
|
|
|
intelligences
supérieures qui par l’étude des hommes et des |
|
|
|
situations
pressentent l’avenir des âmes. » |
|
|
|
|
|
|
|
175 Baron de Gleichen, ouvr. cité, p. 127. |
|
|
|
|
|
|
|
83 |
|
|
|
et nombre de
ses membres occupèrent les plus hautes |
|
|
|
dignités. |
|
|
|
|
|
|
|
Jeanne Camus
de Pontcarré, dernière marquise |
|
|
|
d’Urfé, avait
à l’époque cinquante-trois ans : de taille |
|
|
|
élancée, très
brune, un profil pur éclairé par de beaux |
|
|
|
yeux bleus,
elle était encore séduisante ; avec cela, |
|
|
|
aimable,
enjoué, très instruite, musicienne, la mar- |
|
|
|
quise
charmait ses auditeurs. |
|
|
|
|
|
|
|
Un soir [mai
1758] que le comte de Saint-Ger- |
|
|
|
main était
venu dîner chez Mme d’Urfé, le trop célèbre |
|
|
|
Casanova s’y
trouvait. Qui ne connaît « cette canaille |
|
|
|
insigne176 » dont le but
dans la vie fut de paraître, de |
|
|
|
briller et
d’exploiter autrui. Malgré sa superbe, Casa- |
|
|
|
nova avoue
qu’il fut étonné par le comte de Saint- |
|
|
|
Germain177. Celui-ci, ne
mangeant pas, ne faisait que |
|
|
|
parler du
commencement à la fin du repas. « Il est vrai |
|
|
|
qu’il était
difficile, dit Casanova, de parler mieux que |
|
|
|
lui... Il
avait un ton décisif, mais d’une nature si étu- |
|
|
|
diée qu’il ne
déplaisait pas178,
» et pour cette raison, |
|
|
|
|
|
|
|
176 Campigny des Bordes. Casanova et la marquise
d’Urfé. Paris, |
|
|
|
Champion,
1932, p. 5. |
|
|
|
|
|
|
|
177 Casanova. Mémoires. Paris.
Flammarion, s. d., t. III, p. 293. |
|
|
|
Ce mot dans
la bouche de l’aventurier semble une anoma- |
|
|
|
lie, car
lui-même ne dit-il pas : « Ma passion était d’étonner », |
|
|
|
ouvr. cité,
t. V, p. 324. Il ne faut pas ajouter trop de crédit à ces |
|
|
|
mémoires, il
faut y discerner le vrai du faux, car on le prend |
|
|
|
à tout moment
en flagrant délit d’erreur. Ainsi Casanova pré- |
|
|
|
tend qu’il
rencontra le comte de Saint-Germain en 1757, et |
|
|
|
que madame
d’Urfé, « détestait le comte ». Notre étude fait le |
|
|
|
point sur ces
affirmations. |
|
|
|
|
|
|
|
178 Casanova, ouvr. cité, t. III, p.
292. |
|
|
|
|
|
|
|
84 |
|
|
|
Casanova
l’écouta avec la plus grande attention. En |
|
|
|
effet, on
était fasciné par la conversation du comte : |
|
|
|
« Sur quelque
sujet et sur quelque époque qu’on l’in- |
|
|
|
terrogeât, on
était surpris de le voir connaître ou de |
|
|
|
lui entendre
inventer une foule de choses vraisem- |
|
|
|
blables,
intéressantes, et propres à jeter un nouveau |
|
|
|
jour sur les
faits les plus mystérieux179. » C’était un |
|
|
|
émerveillement,
même chez les plus sceptiques que |
|
|
|
de voir et
d’entendre le comte, tandis que les hôtes |
|
|
|
silencieux
faisaient honneur au repas. |
|
|
|
|
|
|
|
Le personnage
du comte de Saint-Germain avait |
|
|
|
tellement
surpris Casanova qu’il nous en a gardé le |
|
|
|
portrait
suivant : « Il était savant, parlait parfaite- |
|
|
|
ment la
plupart des langues ; grand musicien, grand |
|
|
|
chimiste,
d’une figure agréable180. » |
|
|
|
|
|
|
|
Nous avons
dit que la marquise d’Urfé était très |
|
|
|
savante. «
Alors qu’elle était toute jeune fille, Mlle de |
|
|
|
Pontcarré
avait déjà laissé deviner les tendances de |
|
|
|
son caractère
à rechercher tout ce qui lui paraissait en |
|
|
|
dehors des
lois naturelles, fort instruite, connaissant |
|
|
|
les arts
d’agréments à la mode, jouant du clavecin |
|
|
|
comme un
maître, elle n’avait aucune frivolité de son |
|
|
|
âge. Élevée à
Rouen, elle avait lu toute la bibliothèque |
|
|
|
de son père,
préférant surtout les livres qui traitaient |
|
|
|
des sciences
cabalistiques, parlaient en détails des |
|
|
|
travaux du
moyen âge, des études récentes des alchi- |
|
|
|
|
|
|
|
179 G. Sand. La comtesse de Rudolstadt.
Paris, Lévy, 1857, t. I, |
|
|
|
p. 23. |
|
|
|
|
|
|
|
180 Casanova, ouvr. cité, t. III, p.
292. |
|
|
|
|
|
|
|
85 |
|
|
|
mistes
célèbres en indiquant de précieuses recettes |
|
|
|
pour la
fabrication des philtres enchanteurs181. » |
|
|
|
Ayant hérité
la précieuse bibliothèque littéraire des |
|
|
|
seigneurs
d’Urfé, « elle l’avait soigneusement conser- |
|
|
|
vée et même
enrichie de nombreux manuscrits très |
|
|
|
rares lui
ayant coûté plus de 100.000 livres182 » consa- |
|
|
|
crés
uniquement à l’art chimique. |
|
|
|
|
|
|
|
« Dans une
partie plus retirée de ses appartements, |
|
|
|
elle
possédait un vaste laboratoire de chimie où |
|
|
|
étaient
entassés des creusets, des alambics, des cor- |
|
|
|
nues, des
fourneaux de toutes formes nécessaires aux |
|
|
|
mystérieuses
préparations auxquelles elle se livrait. |
|
|
|
C’est dans ce
lieu discret, son temple ainsi qu’elle le |
|
|
|
nommait,
toujours et soigneusement fermé pour les |
|
|
|
vulgaires,
prudemment ouvert à quelques initiés, |
|
|
|
qu’elle
passait chaque jour de longues heures, tout |
|
|
|
entière à ses
travaux sur les propriétés balsamiques |
|
|
|
des plantes
en vue de la composition d’une sorte |
|
|
|
|
|
|
|
181 David de Saint-Georges, Achille-François de
Lascaris d’Urfé, |
|
|
|
marquis du
Chastelet (1759-1794). Dijon, Darantière, 1896, |
|
|
|
pp. 167-168. |
|
|
|
|
|
|
|
182 David de Saint-Georges, ouvr. cité, p. 165.
Parmi les manus- |
|
|
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crits de
Madame d’Urfé, signalons la première traduction |
|
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française du
célèbre ouvrage allemand d’alchimie, de Favrat, |
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intitulé :
Aurea Catena Homéri (La Chaine d’or d’Homère), |
|
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traduction
faite spécialement pour la marquise par un nommé |
|
|
|
Sitandre (?), en 1749. Ce
précieux manuscrit a fait partie de la |
|
|
|
bibliothèque
Ouvaroff. Une copie de cette traduction a figuré |
|
|
|
au catalogue
Dorbon (Bibl. esoterica, no 675). Cette traduc- |
|
|
|
tion est,
dit-on, plus correcte que celle du Dr Dufournel, parue |
|
|
|
sous le titre
: La Nature dévoilée, Paris, Edme, 1772. 2 vol. in-8. |
|
|
|
|
|
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86 |
|
|
|
d’élixir de
longue vie, duquel elle attendait des effets |
|
|
|
surprenants183. » |
|
|
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|
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|
On connaît la
folle comédie jouée par Casanova à |
|
|
|
Mme d’Urfé par
laquelle celle-ci devint la dupe du pra- |
|
|
|
ticien de
l’escroquerie à la magie. Il lui persuada que |
|
|
|
pour obtenir
l’union avec les esprits élémentaires, il |
|
|
|
fallait se
prêter à une hypostase, c’est-à-dire au pas- |
|
|
|
sage de l’âme
dans le corps d’un enfant mâle, né de |
|
|
|
l’union
philosophique d’un immortel avec une mor- |
|
|
|
telle. En
réalité, cette expérience n’était qu’un sub- |
|
|
|
terfuge de
Casanova lequel soutira à Mme d’Urfé une |
|
|
|
fortune
rondelette ; celle-ci mourut persuadée qu’elle |
|
|
|
portait dans
son sein l’enfant miraculeux sous la |
|
|
|
forme duquel
elle devait revivre. |
|
|
|
|
|
|
|
À l’encontre
de Casanova184,
le comte de Saint- |
|
|
|
Germain
observa auprès de la marquise d’Urfé une |
|
|
|
grande
prudence et jamais ne se prêta au moindre rôle |
|
|
|
de devin ou
de prophète185.
Du reste, rien n’a été dit |
|
|
|
|
|
|
|
183 David de Saint-Georges, ouvr. cité, pp. 165-166.
D’après |
|
|
|
Casanova, Mémoires, t. III, p.
285, la marquise d’Urfé, avait |
|
|
|
« un athanor
vivant depuis quinze ans ». Cette énormité est |
|
|
|
bien digne de
la plume de son auteur. |
|
|
|
|
|
|
|
184 « Cet aventurier,
âme vénale, dont l’écriture démontre la |
|
|
|
vulgarité,
qui s’étale basse, mesquine, et léchante ». Cf. Aruss. |
|
|
|
La
graphologie simplifiée. Paris, 1899, p. 49. |
|
|
|
|
|
|
|
185 On lit dans la
Correspondance mystique de J. Cazotte avec |
|
|
|
Laporte et
Pouteau. Paris, Lerouge, an VI, p. 99 : « La marquise |
|
|
|
d’Urfé fut
une des premières qui fit courir après moi, quand |
|
|
|
j’eus fait
prendre l’air au scientifique ouvrage du Diable amou- |
|
|
|
reux », ce
qui s’apparente très bien avec cette autre observa- |
|
|
|
tion : « Je
connais une marquise qui a dépensé plus de 50.000 |
|
|
|
|
|
|
|
87 |
|
|
|
sur leurs
relations, sauf une historiette « venimeuse » |
|
|
|
qui n’a même
pas le mérite d’être curieuse. Un soir |
|
|
|
de réception
chez la marquise, le comte s’y trouve. |
|
|
|
Entendant
prononcer le nom de Créquy, il narre ses |
|
|
|
rapports,
pendant la première session du Concile de |
|
|
|
Trente, avec
le cardinal de Créquy, évêque de Rennes. |
|
|
|
— Pardon,
évêque de Nantes, ratifie une invitée. Le |
|
|
|
comte se
fâche et demande à la dame son nom. « Devi- |
|
|
|
nez ». Ne
pouvant le dire, il répond : « Vous portez un |
|
|
|
nom dont la
racine est cufique, hébraïque et samari- |
|
|
|
taine, un nom
dépouillé, précipitable ! C’était la mar- |
|
|
|
quise de
Créquy186. » |
|
|
|
|
|
|
|
Casanova a
dit dans ses Mémoires que
la marquise |
|
|
|
d’Urfé
détestait le comte de Saint-Germain187, ce qui |
|
|
|
nous paraît
quelque peu étonnant quand on sait que |
|
|
|
le seul
portrait existant du comte a fait partie du cabi- |
|
|
|
net de Mme d’Urfé188. |
|
|
|
|
|
|
|
Le comte y
semble avoir de 30 à 40 ans ; il est de |
|
|
|
face, en
justaucorps à brandebourgs, bordé de four- |
|
|
|
rures et
comportant de grandes manches fourrées ; |
|
|
|
une cravate à
jabot de dentelles s’échappant de son |
|
|
|
gilet
déboutonné jusqu’à la cinquième boutonnière. |
|
|
|
|
|
|
|
ducats pour
voir le diable ». Caraccioli.
L’Univers énigmatique. |
|
|
|
Avignon,
1759, p. 132. |
|
|
|
|
|
|
|
186 De Courchamps, ouvr. cité, pp. 266-269. |
|
|
|
|
|
|
|
187 Casanova, ouvr. cité, t. V, p.
399. |
|
|
|
|
|
|
|
188 T. P. Barnum, ouvr. cité, p. 302,
prétend qu’il existe un vieux |
|
|
|
portrait du
comte de Saint-Germain à Friersdor, en Saxe (pour |
|
|
|
Triesdorf, en
Bavière), dans les appartements qu’il occupa une |
|
|
|
fois. Or,
c’est le lieutenant-général de Saint-Germain qui vint |
|
|
|
dans cette
ville. |
|
|
|
|
|
|
|
88 |
|
|
|
Visage ovale
et glabre, aristocratique, intelligent et |
|
|
|
fin,
légèrement tourné à gauche. Beaucoup de mys- |
|
|
|
tère et de
raillerie, s’échappe de son regard perçant un |
|
|
|
peu à droite,
au-dessus d’un nez qui pointe droit vers |
|
|
|
le menton189. Nous pensons que
ce portrait a été peint |
|
|
|
par le comte
Rotari, ami du comte de Saint-Germain, |
|
|
|
dont nous
parlerons plus loin, et donné à Mme d’Urfé |
|
|
|
par notre
personnage peu avant son départ pour La |
|
|
|
Haye, au
début de 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
Ce ne fut pas
la seule fois que le comte de Saint- |
|
|
|
Germain et
Casanova se rencontrèrent. Ils se revirent |
|
|
|
chez le
fermier général, M. de la Pouplinière. Ce der- |
|
|
|
nier habitait
l’été le château de Passy, ancien château |
|
|
|
de
Boulainvilliers, situé sur le chemin d’Auteuil à |
|
|
|
Passy. M. de
la Pouplinière était très riche ; cultivant |
|
|
|
la poésie et
le dessin ainsi que la musique, il était dans |
|
|
|
ce dernier
art un amateur possédant quelque talent. |
|
|
|
Il consacra à
la musique une partie de sa fortune et |
|
|
|
fut très
généreux envers les artistes. |
|
|
|
|
|
|
|
Dans le salon
du château de Passy se coudoyaient |
|
|
|
gens de cour,
gens du monde, gens de lettres, artistes, |
|
|
|
acteurs et
actrices. M. de la Pouplinière avait à sa |
|
|
|
disposition
un théâtre spacieux, les premiers talents |
|
|
|
des théâtres,
chanteuses et danseuses de l’Opéra et |
|
|
|
un orchestre
excellent dirigé soit par Gossec, un des |
|
|
|
meilleurs
artistes du temps, soit par Gaffre, un har- |
|
|
|
piste
incomparable. Les concerts se tenaient dans la |
|
|
|
|
|
|
|
189 Cf. Firmin-Didot. Les graveurs de portraits en France. |
|
|
|
Paris,
1875-1877, t. II, no 2322. |
|
|
|
|
|
|
|
89 |
|
|
|
grande
galerie ; ils étaient très goûtés de l’assistance |
|
|
|
nombreuse et
choisie. |
|
|
|
|
|
|
|
Le comte de
Saint-Germain qui était, nous l’avons |
|
|
|
déjà montré,
un brillant violoniste pouvait aller à |
|
|
|
Passy autant
comme virtuose que comme invité. Il |
|
|
|
avait été
présenté à M. de La Pouplinière par le comte |
|
|
|
de
Wedel-Fries, ambassadeur du Danemark, grand |
|
|
|
ami du
fermier-général190. Au souper qui suivit le |
|
|
|
concert, le
comte de Saint-Germain soutint la conver- |
|
|
|
sation avec
beaucoup d’esprit et de noblesse191. |
|
|
|
|
|
|
|
Il ne
faudrait pas croire que le comte oubliait le |
|
|
|
motif réel ou
apparent de son voyage en France. Il |
|
|
|
s’occupait
activement de la future fabrique de cou- |
|
|
|
leurs de
Chambord. C’est ainsi qu’au cours d’un |
|
|
|
voyage dans
cette ville, le comte de Saint-Germain fit |
|
|
|
la
connaissance de l’abbé Tascher de la Pagerie, cha- |
|
|
|
noine de la
cathédrale, ami du marquis de Marigny, |
|
|
|
lequel était
gouverneur de Blois. L’abbé de la Pagerie |
|
|
|
écrivait à M.
de Marigny à la date du 12 août 1758 : |
|
|
|
« On attend incessamment M. de Saint-Germain qui |
|
|
|
excite la
curiosité dans le pays ; je me suis trouvé deux |
|
|
|
fois à dîner
avec lui. Il me paraît avoir beaucoup de |
|
|
|
connaissances
et raisonner par principes192, » et comme |
|
|
|
l’abbé
s’étonnait de voir le comte à Chambord, le mar- |
|
|
|
quis de
Marigny lui répondit de Versailles, le 2 sep- |
|
|
|
tembre 1758 :
« Il est vrai que le roi a accordé à M. de |
|
|
|
|
|
|
|
190 Georges Cocuel. La Pouplinière et la
musique de chambre. |
|
|
|
Paris,
Fischbacher, 1933, p. 224. |
|
|
|
|
|
|
|
191 Casanova, ouvr. cité, t. III, p.
387. |
|
|
|
|
|
|
|
192 Arch. Nation.
Blois, O1
1326, p. 315. |
|
|
|
|
|
|
|
90 |
|
|
|
Saint-Germain
un logement au château de Chambord. |
|
|
|
Vous avez
raison de dire que c’est un homme de mérite, |
|
|
|
j’ai eu lieu
de m’en convaincre dans les entrevues que j’ai |
|
|
|
eues avec lui
et on espère de la supériorité de ses lumières |
|
|
|
des avantages
réels193. » |
|
|
|
|
|
|
|
On remarquera
par ces lettres combien était |
|
|
|
grande
l’estime et la confiance témoignées au comte |
|
|
|
de
Saint-Germain. |
|
|
|
|
|
|
|
Cependant le
transport des matières nécessitées |
|
|
|
pour la
fabrication des couleurs n’ayant pu, croyons- |
|
|
|
nous,
s’effectuer d’Allemagne en France, le comte |
|
|
|
revint à
Chambord en décembre 1758, accompagné |
|
|
|
de deux
gentilshommes, afin d’aviser194. Que fut-il |
|
|
|
décidé, nous
l’ignorons ; ce qui est certain, c’est que le |
|
|
|
comte de
Saint-Germain ne revint plus à Chambord195. |
|
|
|
|
|
|
|
Le comte
avait laissé au château les gens qu’il |
|
|
|
avait amenés
pour faire le travail de manipulation |
|
|
|
des matières
colorantes. Ce n’est que le 21 mai 1760 |
|
|
|
qu’une
décision intervint à leur sujet. Le comte de |
|
|
|
Saint-Florentin,
ministre de la maison du roi écrivit à |
|
|
|
|
|
|
|
193 Arch. Nation.
Blois, O1
1326, p. 395. |
|
|
|
|
|
|
|
194 Arch. Nation.
Blois, O1
1326, p. 392. |
|
|
|
|
|
|
|
195 Nous avons relevé
dans une revue le curieux (!) renseigne- |
|
|
|
ment suivant
: « À Chambord, le comte avait réuni un groupe |
|
|
|
d’étudiants
dans son laboratoire, parmi lesquels le baron de |
|
|
|
Gleichen, la
marquise d’Urfé et la princesse d’Anhalt, mère de |
|
|
|
la grande
Catherine ». Théosophie, no 8, 21 avril 1938, p. 179, |
|
|
|
auteur : Geoffrey West. Dans un catalogue, nous
avons trouvé |
|
|
|
l’indication
d’un manuscrit : Progression de l’œuvre minérale, |
|
|
|
accompagné de
cette note : « ce même secret a été trouvé dans |
|
|
|
le cabinet de
M. de Saint-Germain, à Chambord ». |
|
|
|
|
|
|
|
91 |
|
|
|
M. de
Saumery, gouverneur du château « de bien vou- |
|
|
|
loir avertir
ces gens de se retirer, parce qu’ils sont inu- |
|
|
|
tiles et que
personne n’a rien à leur donner196 ». En effet, |
|
|
|
à cette date
le comte de Saint-Germain n’était plus en |
|
|
|
France mais
en Hollande, comme on le verra ci-après. |
|
|
|
|
|
|
|
196 Arch. Nation. Blois, O1 412, p. 634. |
|
|
|
|
|
|
|
92 |
|
|
|
Les talents
de M. de Saint-Germain |
|
|
|
|
|
|
|
En 1759, le
comte de Saint-Germain habitait |
|
|
|
à Paris, au
101 de la rue Richelieu, en l’hôtel de la |
|
|
|
veuve du
chevalier Lambert, son banquier197. |
|
|
|
|
|
|
|
Parmi les
personnes reçues par la veuve du cheva- |
|
|
|
lier Lambert
se trouvait le baron de Gleichen, de pas- |
|
|
|
sage à Paris,
au titre d’envoyé du margrave de Bay- |
|
|
|
reuth, avec
lequel il venait de parcourir toute l’Italie. |
|
|
|
C’était la
seconde fois que la veuve du chevalier |
|
|
|
Lambert le
recevait, M. de Gleichen étant déjà venu |
|
|
|
à Paris en 17
5 3198. Il nous
a laissé de sa rencontre |
|
|
|
avec le comte
de Saint-Germain, un récit tout à fait |
|
|
|
typique : «
Je vis entrer un homme de taille moyenne, |
|
|
|
très robuste,
vêtu avec une simplicité magnifique et |
|
|
|
recherchée.
Il jeta son chapeau et son épée sur le lit |
|
|
|
de la
maîtresse du logis, se plaça dans un fauteuil |
|
|
|
près du feu
et interrompit la conversation en disant |
|
|
|
à l’homme qui
parlait : « Vous ne savez pas ce que |
|
|
|
|
|
|
|
197 Lefeuve. Les anciennes maisons de
Paris. Paris, Reinwald, |
|
|
|
1875, t. II,
p. 366. |
|
|
|
|
|
|
|
198 Charles-Henri de
Gleichen, né en 1735 à Nemersdorf, près |
|
|
|
de Bayreuth,
mourut à Ratisbonne, le 5 avril 1807. Après avoir |
|
|
|
été au
service du margrave de Bayreuth et à celui du Dane- |
|
|
|
mark, il se
livra à l’étude. Ses deux principaux ouvrages sont : |
|
|
|
Metaphysische
Ketzereien (Les Hérésies métaphysiques) trad. |
|
|
|
en français
sous le titre d’Essais Théosophiques, Paris, 1792, |
|
|
|
et ses
Souvenirs. |
|
|
|
|
|
|
|
93 |
|
|
|
vous dites,
il n’y a que moi qui puisse parler sur cette |
|
|
|
matière, que
j’ai épuisée tout comme la musique que |
|
|
|
j’ai
abandonnée, ne pouvant plus aller au-delà199. » |
|
|
|
|
|
|
|
D’après ce
que nous savons du comte, de ses façons |
|
|
|
courtoises et
polies de se présenter et de parler, le |
|
|
|
récit du
baron de Gleichen nous paraît suspect. En |
|
|
|
effet, parmi
ses contemporains, M. de Gleichen avait |
|
|
|
une
réputation bien assise, laquelle a été définie par |
|
|
|
Mme du Deffand. « Son
défaut c’est d’être menteur |
|
|
|
au suprême
degré non qu’il déguise la vérité mais il |
|
|
|
l’altère200, » et confirmée
par Louis Claude de Saint- |
|
|
|
Martin : «
C’est un homme qui donnerait trente véri- |
|
|
|
tés pour un
mensonge 201.» |
|
|
|
|
|
|
|
Quoi qu’il en
soit, le comte de Saint-Germain et |
|
|
|
M. de
Gleichen devinrent amis puisque ce dernier |
|
|
|
note : « Je
l’ai suivi pendant six mois avec l’assiduité |
|
|
|
la plus
soumise202. » |
|
|
|
|
|
|
|
199 Baron de Gleichen, ouvr. cité p. 121.
Quelques lignes plus |
|
|
|
loin M. de
Gleichen affirme que le comte de Saint-Germain fai- |
|
|
|
sait la cour
à une des filles de la veuve du chevalier Lambert. |
|
|
|
|
|
|
|
200 Mme du Deffand. Correspondance avec le duc de Choiseul. |
|
|
|
Paris, Lévy,
1887, t. I, p. 232. |
|
|
|
|
|
|
|
201 L. Cl. de
Saint-Martin. Correspondance. Paris, 1862, lettre |
|
|
|
LI. |
|
|
|
|
|
|
|
202 Baron de Gleichen, ouvr. cité, p. 123.
D’après Lamothe- |
|
|
|
Langon, le comte de Saint-Germain
« avait deux valets de |
|
|
|
chambre ;
l’un le servait depuis cinq cents ans, et l’autre, pari- |
|
|
|
sien
consommé, connaissait la cour et la ville. De plus, sa mai- |
|
|
|
son se
composait de quatre laquais, en livrée couleur de tabac |
|
|
|
d’Espagne,
collet et manchettes bleues avec des galons d’or. Il |
|
|
|
prenait une
voiture de louage à raison de cinq cents francs par |
|
|
|
mois ». ouvr.
cité, t. I, p. 297. |
|
|
|
|
|
|
|
94 |
|
|
|
Le comte
avait réuni chez la veuve du chevalier |
|
|
|
Lambert un
certain nombre de tableaux ; il les mon- |
|
|
|
tra à M. de
Gleichen en lui disant que certainement |
|
|
|
il n’en avait
pas vu de pareils en Italie durant son |
|
|
|
voyage : «
Effectivement il me tint presque parole, car |
|
|
|
les tableaux
qu’il me fit voir étaient tous marqués à |
|
|
|
un coin de
singularité ou de perfection qui les rendait |
|
|
|
plus
intéressants que bien des morceaux de la pre- |
|
|
|
mière classe,
surtout une sainte famille de Murillo, |
|
|
|
qui égalait
en beauté celle de Raphaël à Versailles203. » |
|
|
|
|
|
|
|
Le comte fit
de même admirer à M. de Gleichen : |
|
|
|
« une
quantité de pierreries et surtout des diamants |
|
|
|
de couleur,
d’une grandeur et d’une perfection |
|
|
|
surprenantes
». |
|
|
|
|
|
|
|
« Je crus
voir, dit ce dernier, les trésors de la lampe |
|
|
|
merveilleuse.
Il y avait, entre autres, une opale d’une |
|
|
|
grosseur
monstrueuse et un saphir blanc204 de la taille |
|
|
|
d’un œuf, qui
effaçait par son éclat celui de toutes les |
|
|
|
pierres de
comparaison que je mettais à côté de lui. |
|
|
|
J’ose me
vanter de me connaître en bijoux, et je puis |
|
|
|
assurer que
l’œil ne pouvait découvrir aucune raison |
|
|
|
|
|
|
|
203 Baron de Gleichen, ouvr. cité, p. 122.
D’après M. Capefique, |
|
|
|
dans Madame
de Pompadour, p. 268, le comte de Saint-Ger- |
|
|
|
main « avait
réuni la plus belle collection de tableaux de l’école |
|
|
|
flamande et
surtout de l’école espagnole ; le premier il en fit |
|
|
|
connaître les
beautés et la valeur. Il donna au cabinet du roi des |
|
|
|
toiles de
Velasquez et de Murillo d’une admirable couleur ». |
|
|
|
|
|
|
|
204 Le comte de
Saint-Germain connaissait sans doute les indi- |
|
|
|
cations
données par J. Cardan dans
son VIIe
livre des Subtilités, |
|
|
|
pour donner
aux pierres précieuses une limpidité semblable à |
|
|
|
celle du
diamant. |
|
|
|
|
|
|
|
95 |
|
|
|
pour douter
de la finesse de ces pierres, d’autant plus |
|
|
|
qu’elles
n’étaient point montées205. » |
|
|
|
|
|
|
|
M. de
Gleichen ajoute que le comte « possédait plu- |
|
|
|
sieurs
secrets chimiques, surtout pour faire des cou- |
|
|
|
leurs, des
teintures et une espèce de similor d’une |
|
|
|
rare beauté.
Peut-être même était-ce lui qui avait |
|
|
|
composé ces
pierreries dont j’ai parlé, et dont la |
|
|
|
finesse ne
pouvait être démentie que par la lime ». |
|
|
|
|
|
|
|
Dans le même
temps que M. de Gleichen quittait |
|
|
|
Paris pour le
Danemark, le comte de Saint-Germain |
|
|
|
connut celle
qui fut plus tard Mme de Genlis. |
|
|
|
|
|
|
|
Stéphanie-Félicité
du Crest est née le 25 janvier |
|
|
|
1746 « dans
une petite terre de Bourgogne, près d’Au- |
|
|
|
tun206 ». Reçue à l’âge
de sept ans, chanoinesse du |
|
|
|
chapitre
noble d’Alix, proche de Lyon, Mlle du Crest, |
|
|
|
selon les
prérogatives du chapitre, prit le titre de |
|
|
|
comtesse de
Lancy, son père étant seigneur de Bour- |
|
|
|
bon-Lancy. Sa
jeunesse fut un enchantement : « Le |
|
|
|
matin,
dit-elle, je jouais un peu de clavecin et je chan- |
|
|
|
tais ;
ensuite j’apprenais mes rôles (car elle jouait la |
|
|
|
comédie), et
puis je prenais ma leçon de danse, et je |
|
|
|
tirais des
armes ; après, je lisais jusqu’au dîner207... » |
|
|
|
Grâce à cette
excellente éducation, elle sut se créer |
|
|
|
|
|
|
|
205 Baron de Gleichen, ouvr. cité, p. 123. |
|
|
|
|
|
|
|
206 Mme de Genlis. Mémoires. Paris, Firmin-Didot, 1928, t. I, |
|
|
|
p. 3. |
|
|
|
|
|
|
|
207 Mme de Genlis, ouvr. cité, t. I, p. 15. Au xvme siècle, le dîner |
|
|
|
correspondait
à notre déjeuner d’aujourd’hui, et le souper à |
|
|
|
notre dîner. |
|
|
|
|
|
|
|
96 |
|
|
|
une place à
part lorsqu’elle vint à Paris, après que son |
|
|
|
père se fut
ruiné en de mauvaises spéculations. |
|
|
|
|
|
|
|
La comtesse
de Lancy venait d’avoir treize ans |
|
|
|
lorsqu’elle
vint passer, avec sa mère, l’été de 1759, à |
|
|
|
Passy, chez
le fermier général, M. de la Pouplinière : |
|
|
|
« C’était,
dit-elle, un vieillard de soixante-six ans, |
|
|
|
d’une santé
robuste, d’une figure douce, agréable et |
|
|
|
spirituelle208, » et elle ajoute
naïvement : « qu’elle fut |
|
|
|
fâchée de
n’avoir pas trois ou quatre ans de plus, car |
|
|
|
je l’admirais
tant que j’aurais été charmée de l’épou- |
|
|
|
ser209. » Cependant le
fermier général ne fut pas |
|
|
|
étranger au
changement de situation de sa protégée |
|
|
|
qui parvint
par la suite au faîte des honneurs. |
|
|
|
|
|
|
|
Dans un
chapitre précédent, nous avons vu que le |
|
|
|
comte de
Saint-Germain était reçu chez M. de la Pou- |
|
|
|
plinière. Ce
fut donc dans le salon du grand seigneur |
|
|
|
de la finance
qu’eurent lieu les rencontres de la jeune |
|
|
|
comtesse,
devenue Mlle de
Saint-Aubin, avec « le per- |
|
|
|
sonnage très
singulier qu’elle vit presque tous les |
|
|
|
jours,
pendant plus de six mois210 ». |
|
|
|
|
|
|
|
« Ce
personnage extraordinaire pour qui elle a |
|
|
|
conservé
beaucoup d’intérêt211 » a excité au plus haut |
|
|
|
point la
curiosité de la jeune du Crest, et si elle voit |
|
|
|
en lui « un
charlatan, ou du moins, un homme exalté |
|
|
|
par quelques
secrets particuliers qui lui avaient pro- |
|
|
|
|
|
|
|
208 Mme de Genlis, ouvr. cité, t. I, p. 19. |
|
|
|
|
|
|
|
209 Mme de Genlis, ouvr. cité, t. I, p. 19. |
|
|
|
|
|
|
|
210 Mme de Genlis, ouvr. cité, t. I, p. 25. |
|
|
|
|
|
|
|
211 Mme de Genlis, ouvr. cité, t. I, p. 29. |
|
|
|
|
|
|
|
97 |
|
|
|
curé une
santé très robuste et une vie plus longue |
|
|
|
que la vie
ordinaire de l’homme212, » puisque le comte |
|
|
|
paraissait
avoir à l’époque tout au plus quarante-cinq |
|
|
|
ans, bien
qu’il eût certainement un âge plus avancé, |
|
|
|
elle avoue
qu’elle a été subjuguée par « cet homme |
|
|
|
si
extraordinaire par ses talents et par l’étendue de |
|
|
|
ses
connaissances, et par tout ce qui peut mériter la |
|
|
|
considération
personnelle, le savoir, des manières |
|
|
|
nobles et
sérieuses, une conduite exemplaire, la |
|
|
|
richesse et
la bienfaisance213 ». |
|
|
|
|
|
|
|
Cette
admiration que Mlle du Crest éprouve pour le |
|
|
|
comte de
Saint-Germain est à nouveau confirmée par |
|
|
|
les lignes
suivantes : « Il montrait les meilleurs prin- |
|
|
|
cipes, il
remplissait avec exactitude tous les devoirs |
|
|
|
extérieurs de
la religion, il était fort charitable, et |
|
|
|
tout le monde
s’accordait à dire qu’il avait les mœurs |
|
|
|
les plus
pures214. Enfin
tout était grave et moral dans |
|
|
|
son maintien
et dans ses discours215. » |
|
|
|
|
|
|
|
212 Mme de Genlis, ouvr.cité, t. I, p. 27. M. A. Marquiset
dans |
|
|
|
Feuilles
d’Histoire, no
1, juillet 1913, p. 19, dit : « pratiquant |
|
|
|
une hygiène
raisonnée fort inconnue à cette époque, repous- |
|
|
|
sant les
tentations charnelles et gastronomiques, le comte sut |
|
|
|
conserver un
aspect juvénile jusqu’à un âge avancé ». |
|
|
|
|
|
|
|
213 Mme de genlis, ouvr. cité, t. I, p.
27. Louis Béraldi dans Le |
|
|
|
passé du
Pyrénéisme, notes d’un bibliophile. Paris, 1919, écrit |
|
|
|
p. 37, que le
comte est « un monsieur remarquablement fin, |
|
|
|
distingué,
causeur éblouissant, qui a un succès immense ». |
|
|
|
|
|
|
|
214 Baron de Gleichen, ouvr. cité, p. 128,
avance que le comte |
|
|
|
de
Saint-Germain prônait la doctrine de Lucrèce, qui est la |
|
|
|
négation de
la divinité et la jouissance des plaisirs sensuels. |
|
|
|
|
|
|
|
215 Mme de Genlis, ouvr. cité, t. I, p. 26. |
|
|
|
|
|
|
|
98 |
|
|
|
De même que
Casanova, la future Mme de Genlis |
|
|
|
nous a laissé
un portrait du comte, mais ce portrait |
|
|
|
est moins
banal et plus caractéristique : « Il était un |
|
|
|
peu
au-dessous de la moyenne, bien fait et marchant |
|
|
|
fort
lestement ; ses cheveux étaient noirs, son teint |
|
|
|
fort brun, sa
physionomie très spirituelle, ses traits |
|
|
|
assez
réguliers216. »
C’est ce que confirment M. de |
|
|
|
Gleichen et Mme du Haussay. Si
nous comparons ce |
|
|
|
portrait qui
nous semble exact, avec celui tracé par |
|
|
|
C. de
Courchamps, on demeure étonné d’apprendre |
|
|
|
que le comte
avait le regard arrogant... qu’il portait |
|
|
|
« une forêt
de cheveux blancs, la plus belle barbe et |
|
|
|
les sourcils
de même217 ».
Ce qui est certain, c’est que |
|
|
|
d’après la
gravure de N. Thomas, le comte est glabre. |
|
|
|
De son côté,
Lamothe-Langon nous décrit notre per- |
|
|
|
sonnage sous
l’aspect le plus flatteur : « Il avait une |
|
|
|
taille
cambrée et gracieuse, les mains délicates, le |
|
|
|
pied mignon,
la jambe élégante que faisait ressortir |
|
|
|
un bas de
soie bien tendu. Le haut-de-chausse, fort |
|
|
|
étroit,
laissant aussi deviner une rare perfection des |
|
|
|
formes ; son
sourire montrait les plus belles dents du |
|
|
|
monde, une
jolie fossette ornait le menton218. » Nous |
|
|
|
compléterons
ce portrait par la description de M. de |
|
|
|
Gleichen qui
le montre : « vêtu avec une simplicité |
|
|
|
magnifique et
recherchée » et de Mme du Haussay qui |
|
|
|
|
|
|
|
216 Mme de Genlis, ouvr. cité, t. I, p. 26. Seul, M. Dufort de |
|
|
|
Cheverny, dans ses Mémoires.
Paris, Plon, 1909, t. I, p. 56, lui |
|
|
|
donne une
figure très commune. |
|
|
|
|
|
|
|
217 Mme de Créquy, ouvr. cité, t. II, p. 269. |
|
|
|
|
|
|
|
218 Lamothe-Langon, ouvr. cité, t. I, pp.
294-295. |
|
|
|
|
|
|
|
99 |
|
|
|
l’a vu
plusieurs fois : « mis très simplement, mais avec |
|
|
|
goût » tandis
que l’ironiste C. de Courchamps l’a vu |
|
|
|
« habillé
comme au temps du roi Guillemot219 ». |
|
|
|
|
|
|
|
Mlle du Crest eut de
longues conversations avec |
|
|
|
le comte de
Saint-Germain ; celui-ci « parlait parfai- |
|
|
|
tement le
français sans aucun accent » ; par contre, |
|
|
|
M. de
Gleichen assure que le comte parlait notre |
|
|
|
langue « avec
un accent piémontais220 », tandis que |
|
|
|
C. de
Courchamps prétend que cet accent était alsa- |
|
|
|
cien221, mais tous les
trois s’accordent pour nous dire |
|
|
|
qu’il parlait
l’anglais, l’italien, l’espagnol, langues |
|
|
|
auxquelles il
faut ajouter le portugais, et l’allemand |
|
|
|
d’après M. de
Gleichen222.
Quel que fût l’accent avec |
|
|
|
lequel le
comte parlait notre langue, il fut un cau- |
|
|
|
seur
séduisant ; Mlle
du Crest qualifie sa conversation |
|
|
|
d’«
instructive et amusante ; il avait beaucoup voyagé |
|
|
|
et il savait
l’histoire moderne avec un détail étonnant, |
|
|
|
ce qui a fait
dire qu’il parlait des plus anciens per- |
|
|
|
sonnages
comme ayant vécu avec eux ; mais je ne l’ai |
|
|
|
jamais rien
entendu dire de semblable223 », et la jeune |
|
|
|
|
|
|
|
219 Mme de Créquy, ouvr, cité, t. II, p. 267. |
|
|
|
|
|
|
|
220 Baron de Gleichen, ouvr. cité, p. 128. |
|
|
|
|
|
|
|
221 Mme de Créquy, ouvr. cité, t. II, p. 269. |
|
|
|
|
|
|
|
222 « Des érudits, des
orientalistes sondèrent le savoir de Saint- |
|
|
|
Germain ; les
premiers le trouvèrent plus habile qu’eux dans |
|
|
|
l’idiome
d’Homère et dans celui de Virgile ; il parla le sanscrit, |
|
|
|
le chinois,
l’arabe avec les derniers, de manière à leur prou- |
|
|
|
ver qu’il
avait résidé en Asie, et à leur démontrer qu’on s’ins- |
|
|
|
truit assez
mal aux écoles dans les dialectes de l’Orient. » Abbé |
|
|
|
Lecanu, ouvr. cité, t. II, p.
843. |
|
|
|
|
|
|
|
223 Mme de Genlis, ouvr. cité, t. I, p. 27. |
|
|
|
|
|
|
|
100 |
|
|
|
du Crest,
comme si elle voulait opposer sa parole aux |
|
|
|
folliculaires
confirme la correction parfaite de l’atti- |
|
|
|
tude du comte
en disant « que pendant les quatre |
|
|
|
premiers mois
de notre intimité, non seulement il ne |
|
|
|
dit pas une
extravagance, mais ne dit pas une seule |
|
|
|
phrase
extraordinaire ; il avait même quelque chose |
|
|
|
de si grave
et de si respectable dans sa personne, que |
|
|
|
ma mère
n’osait pas l’interroger sur les singularités |
|
|
|
qu’on lui
attribuait224
». |
|
|
|
|
|
|
|
On se
souvient que le comte de Saint-Germain |
|
|
|
excellait en
musique et Mlle
du Crest tient à le signa- |
|
|
|
ler : « Il
était excellent musicien il accompagnait de |
|
|
|
tête sur le
clavecin tout ce qu’on chantait, et avec une |
|
|
|
rare
perfection, dont j’ai vu Philidor étonné, ainsi |
|
|
|
que de sa
manière de préluder225. » Un soir, il fit une |
|
|
|
curieuse
réponse à la jeune du Crest ; celle-ci jouait |
|
|
|
des airs
italiens que le comte accompagnait d’oreille, |
|
|
|
lorsque ce
dernier lui dit que dans quatre ou cinq ans, |
|
|
|
elle aurait
une belle voix, et il ajouta : « Et quand vous |
|
|
|
aurez
dix-sept ou dix-huit ans, serez-vous bien aise |
|
|
|
d’être fixée
à cet âge-là, du moins pour un très grand |
|
|
|
nombre
d’années ? Comme elle répondait qu’elle en |
|
|
|
serait
charmée, « Eh bien, reprit-il très sérieusement, |
|
|
|
je vous le
promets226. » |
|
|
|
|
|
|
|
La musique
n’était pas le seul talent du comte. Il |
|
|
|
était bon
physicien et très grand chimiste : « Il me |
|
|
|
|
|
|
|
224 Mme de Genlis, ouvr. cité, t. I, p. 27. |
|
|
|
|
|
|
|
225 Mme de Genlis, ouvr. cité, t. I, p. 26. |
|
|
|
|
|
|
|
226 Mme de Genlis, ouvr. cité, t. I, pp.
27-28. |
|
|
|
|
|
|
|
101 |
|
|
|
donnait sans
cesse, dit Mlle
du Crest, des bonbons |
|
|
|
excellents,
en forme de fruits, qu’il m’assurait avoir |
|
|
|
faits
lui-même ; de tous ses talents, ce n’était pas celui |
|
|
|
que
j’estimais le moins. Il me donna aussi une boîte |
|
|
|
à bonbons
très singulière, dont il avait fait le dessus. |
|
|
|
La boîte,
d’écaille noire, était fort grande ; le dessus |
|
|
|
en était orné
d’une agate de composition beaucoup |
|
|
|
moins grande
que le couvercle ; on posait cette boîte |
|
|
|
devant le
feu, et au bout d’un instant, en la reprenant, |
|
|
|
on ne voyait
plus l’agate, et l’on trouvait à sa place |
|
|
|
une jolie
miniature représentant une bergère tenant |
|
|
|
une corbeille
remplie de fleurs cette figure restait |
|
|
|
jusqu’à ce
qu’on fit réchauffer la boîte, alors l’agate |
|
|
|
reparaissait
et cachait la figure227. » |
|
|
|
|
|
|
|
L’habileté du
comte n’était pas moins réelle en |
|
|
|
peinture. «
Il peignait à l’huile, non pas de la première |
|
|
|
force, comme
on l’a dit, mais agréablement ; il avait |
|
|
|
trouvé un
secret de couleurs véritablement merveil- |
|
|
|
leux, ce qui
rendait ses tableaux très extraordinaires. |
|
|
|
Sa peinture
était dans le genre des sujets historiques ; |
|
|
|
il ne
manquait jamais d’orner ses figures de femmes |
|
|
|
d’ajustement
de pierreries ; alors il se servait de ses |
|
|
|
couleurs pour
faire ces ornements, et les émeraudes, |
|
|
|
les saphirs,
les rubis, etc., avaient réellement l’éclat, |
|
|
|
les reflets
et le brillant des pierres qu’ils imitaient. |
|
|
|
Latour,
Vanloo et d’autres peintres ont été voir ces |
|
|
|
tableaux, et
admiraient extrêmement l’artifice sur- |
|
|
|
prenant de
ces couleurs éblouissantes, qui avaient |
|
|
|
|
|
|
|
227 Mme de Genlis, ouvr. cité, t. I, pp.
28-29. |
|
|
|
|
|
|
|
102 |
|
|
|
l’inconvénient
d’éteindre les figures, dont elles détrui- |
|
|
|
saient
d’ailleurs la vérité par leur étonnante illusion. |
|
|
|
Mais pour le
genre d’ornements, on aurait pu tirer |
|
|
|
un grand
parti de ces singulières couleurs, dont M. de |
|
|
|
Saint-Germain
n’a jamais voulu donner le secret228. » |
|
|
|
|
|
|
|
Durant le
temps qu’il connut M. de Gleichen et la |
|
|
|
future Mme de Genlis, le
comte de Saint-Germain avait |
|
|
|
été admis aux
petits soupers du roi, qui se tenaient au |
|
|
|
Petit-Trianon229. |
|
|
|
|
|
|
|
Louis XV
réunissait à ces petits soupers une société |
|
|
|
intime de
gens aimables. Là, toute étiquette était ban- |
|
|
|
nie afin que
chacun pût parler librement. Les mots |
|
|
|
spirituels,
les saillies brillantes, les contes de la cour |
|
|
|
et de la
ville étaient le passe-temps de ces soupers, où |
|
|
|
quelquefois
furent cependant arrêtées des décisions |
|
|
|
importantes. |
|
|
|
|
|
|
|
En ce lieu
comme ailleurs, le comte de Saint-Ger- |
|
|
|
main étonnait
son auditoire par l’originalité de ses |
|
|
|
idées et il
était toujours prêt à improviser un apo- |
|
|
|
logue piquant230. |
|
|
|
|
|
|
|
228 Mme de Genlis, ouvr, cité, t. I, p. 26. |
|
|
|
|
|
|
|
229 Le parquet d’une
des salles à manger conserve les traces |
|
|
|
d’une trappe
par laquelle se montaient toutes dressées, les |
|
|
|
tables
destinées aux petits soupers de Louis XV, afin de sup- |
|
|
|
primer le
service embarrassant des valets. |
|
|
|
|
|
|
|
230 « Le roi écoutait
avec un visible intérêt les voyages à travers |
|
|
|
l’Asie et
l’Afrique, les anecdotes pleines de charmes sur les |
|
|
|
cours de
Russie, d’Autriche, les sultans, que M. de Saint-Ger- |
|
|
|
main
racontait avec esprit. Le comte paraissait mieux informé |
|
|
|
sur les
intimités de chaque cour que les ambassadeurs et les |
|
|
|
chargés
d’affaires du roi. » M. Capefique, ouvr. cité, p. 269. Voir |
|
|
|
|
|
|
|
103 |
|
|
|
Nous
rapportons, à titre de curiosité, quelques-unes |
|
|
|
des histoires
qu’aurait contées M. de Saint-Germain. |
|
|
|
|
|
|
|
Un jeune
seigneur, très libertin, obtient au moyen |
|
|
|
d’une
opération magique, les faveurs d’un vampire |
|
|
|
femelle. Ne
pouvant se débarrasser de l’emprise du |
|
|
|
succube qu’il
a suscité, le jeune imprudent s’adresse |
|
|
|
au comte de
Saint-Germain qui, par une évocation |
|
|
|
contraire
chasse l’entité. Le jeune seigneur repen- |
|
|
|
tant entre
dans un monastère et quelque temps après |
|
|
|
meurt en
odeur de sainteté231. |
|
|
|
|
|
|
|
Une jeune
veuve sachant que le comte de Saint- |
|
|
|
Germain ne
vient jamais en visite qu’étant paré de |
|
|
|
fort beaux
bijoux, cherche à l’empoisonner afin de |
|
|
|
s’emparer de
ses pierreries. Le comte évente le piège ; |
|
|
|
la femme
affolée appelle ses séides pour le faire assas- |
|
|
|
siner, mais
ceux-ci sont mis par lui dans l’impossibi- |
|
|
|
lité
d’accomplir leur dessein. Les bandits sont arrêtés |
|
|
|
et pendus
ainsi que leur complice232. |
|
|
|
|
|
|
|
Un riche
seigneur de Dalmatie donne à souper à |
|
|
|
ses amis.
Survient un gentilhomme étranger. Chacun |
|
|
|
des convives
à sa vue éprouve une répulsion extraor- |
|
|
|
dinaire.
Toute joie disparaît. Les invités s’éloignent. |
|
|
|
Le nouveau
venu est conduit dans une chambre don- |
|
|
|
nant sur la
campagne. Vers minuit un cri retentit, |
|
|
|
puis le
silence. Le lendemain, on trouve proche du |
|
|
|
|
|
|
|
aussi du même
auteur : La baronne de Krudner. Paris, Amyot, |
|
|
|
1866, pp.
192-193. |
|
|
|
|
|
|
|
231 Lamothe-Langon, ouvr. cité, t. I., pp.
300-306. |
|
|
|
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|
|
|
232 Lamothe-Langon, ouvr. cité, t. I, pp.
306-310. |
|
|
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|
|
|
|
104 |
|
|
|
palais, le
cadavre d’un paysan des environs. L’étran- |
|
|
|
ger a disparu233. |
|
|
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|
|
|
|
Citons encore
ces deux « anecdotes » dont la pre- |
|
|
|
mière est une
pure fiction et la seconde, basée sur un |
|
|
|
canevas dont
nous indiquons la source : |
|
|
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|
|
Une
demoiselle, Hélène de Pal... est conduite au |
|
|
|
Parc-aux-Cerfs,
avec le consentement de son père, |
|
|
|
malgré les
efforts de son amant. Le désespoir enva- |
|
|
|
hit la jeune
fille qui résout de s’empoisonner. Avec |
|
|
|
l’appui du
comte de Saint-Germain, elle simule le |
|
|
|
drame et les
médecins présents essaient vainement |
|
|
|
de la
ranimer. À point nommé, le comte arrive, fait le |
|
|
|
simulacre de
lui administrer un antidote, et la jeune |
|
|
|
personne est
sauvée234. |
|
|
|
|
|
|
|
Maître Dumas,
ex-procureur au Châtelet, est pro- |
|
|
|
digieusement
riche. Il s’occupe d’astrologie dans une |
|
|
|
chambre
haute, fermée par une double porte de fer. |
|
|
|
Chaque
vendredi un homme mystérieux s’enferme |
|
|
|
avec
l’ex-procureur et s’en va au bout d’une heure. |
|
|
|
Une fois, le
visiteur vient un mercredi au lieu du ven- |
|
|
|
dredi, ce qui
déroute maître Dumas et une discussion |
|
|
|
s’en suit.
Après le départ du visiteur, l’ex-procureur |
|
|
|
s’enferme à
clef dans sa chambre, et lorsque la femme |
|
|
|
et le fils
ouvrent la porte, le lendemain, maître Dumas |
|
|
|
a disparu.
Ceci se passait en 1700. |
|
|
|
|
|
|
|
233 Lamothe-Langon, Le comte de Saint-Germain
et la marquise |
|
|
|
de Pompadour.
Paris, 1838, t. II. |
|
|
|
|
|
|
|
234 J. Peuchet. Mémoires tirés des
archives de la Police. Paris, |
|
|
|
Levavasseur,
1838, t. II, p. 292. Ces mémoires apocryphes sont |
|
|
|
de
Lamothe-Langon. |
|
|
|
|
|
|
|
105 |
|
|
|
Louis XV qui
connaissait l’aventure en fit part au |
|
|
|
comte de
Saint-Germain. Sur ses indications, basées |
|
|
|
sur un thème
horaire, on découvre un caveau auquel |
|
|
|
on accédait
de la chambre haute par un escalier en vis, |
|
|
|
et dans ce
caveau on voit le cadavre de maître Dumas |
|
|
|
endormi à
jamais par un puissant narcotique235. |
|
|
|
|
|
|
|
Nous avons
trouvé dans les Mémoires secrets de |
|
|
|
Duclos une
histoire qui s’apparente étrangement avec |
|
|
|
cette
anecdote. Un nommé Pécoil, de Lyon, avait fait |
|
|
|
une fortune
immense en partant des plus bas emplois |
|
|
|
de la
gabelle, à la suite de quoi il avait acheté, pour |
|
|
|
son fils, une
charge de maître des requêtes. Cepen- |
|
|
|
dant, il ne
profita jamais de ses richesses et ne songea |
|
|
|
qu’à les
accumuler. Il avait fait faire dans sa maison |
|
|
|
un caveau
fermé à trois portes, dont la dernière était |
|
|
|
de fer. Il
allait de temps à autre dans ce caveau afin |
|
|
|
de jouir de
la vue de son trésor. Sa femme et son fils |
|
|
|
s’en
aperçurent. Un jour qu’il y était allé bien qu’on |
|
|
|
le crut
sorti, il ne rentra pas le soir. La mère et le |
|
|
|
fils
attendirent deux jours. Au bout de ce temps, ils |
|
|
|
se rendirent
au caveau et enfoncèrent les deux pre- |
|
|
|
mières
portes, mais la porte de fer résistant, il fallut |
|
|
|
attendre au
lendemain. Lorsqu’ils pénétrèrent dans |
|
|
|
le caveau,
ils trouvèrent l’homme étendu à terre près |
|
|
|
des coffres,
mort, les bras rongés, et à côté de lui une |
|
|
|
lanterne
carbonisée236.
Tout est identique, sauf la pré- |
|
|
|
sence de
notre personnage. |
|
|
|
|
|
|
|
235 J. Peuchet, ouvr. cité, t. II.,
Réimpression. Paris, 1933, |
|
|
|
chap. IV, pp.
52-56. |
|
|
|
|
|
|
|
236 Duclos. Mémoires secrets sur le
règne de Louis XIV, la |
|
|
|
|
|
|
|
106 |
|
|
|
Le comte de
Saint-Germain était vu, avec distinc- |
|
|
|
tion dans
presque toutes les bonnes maisons de la |
|
|
|
capitale. |
|
|
|
|
|
|
|
C’est ainsi
qu’il était reçu fréquemment chez le |
|
|
|
marquis de
Béringhen, M. le Premier, de la petite écu- |
|
|
|
rie du roi,
chez qui, nous l’avons vu, il raconta l’his- |
|
|
|
toire du
comte de Moncade, la seule vraiment qu’on |
|
|
|
puisse lui
attribuer avec certitude237 ; de même chez |
|
|
|
la princesse
de Montauban, épouse du lieutenant- |
|
|
|
général
Charles de Rohan-Rochefort. C’est dans cette |
|
|
|
maison que le
comte fit la connaissance de M. d’Af- |
|
|
|
fry,
ambassadeur de France à La Haye, avec qui, plus |
|
|
|
tard, il eut
des démêlés238
; il avait ses entrées chez |
|
|
|
les
demoiselles d’Alencé, parentes du comte Dufort |
|
|
|
de Cheverny,
introducteur des ambassadeurs, les- |
|
|
|
quelles
demeuraient rue Richelieu, vis-à-vis de la |
|
|
|
Bibliothèque
royale. « Ces deux jeunes femmes fort |
|
|
|
aimables
voyaient la meilleure compagnie de la capi- |
|
|
|
tale239 ; » on le
rencontrait également dans la famille de |
|
|
|
M.
d’Angeviller ; celui-ci parent et héritier de Mme de |
|
|
|
Béringhen,
n’était à cette époque que maréchal de |
|
|
|
camp avant
d’être nommé directeur des bâtiments |
|
|
|
du roi et
membre de l’Académie des Sciences. « J’ai |
|
|
|
connu,
dit-il, M. de Saint-Germain. J’étais bien jeune |
|
|
|
[il avait 29
ans], mais malgré ma jeunesse, quoique |
|
|
|
bien traité
et caressé, par lui, loin de le laisser jouir |
|
|
|
|
|
|
|
Régence et
Louis XV. Paris, Buisson, 1805, t. II. pp. 4 et 5. |
|
|
|
|
|
|
|
237 Mme du Hausset, ouvr. cité, pp. 190 à 200. |
|
|
|
|
|
|
|
238 Arch. de Hollande,
18 avril 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
239 Dufort de Cheverny, ouvr. cité, p. 56. |
|
|
|
|
|
|
|
107 |
|
|
|
des hommages
n’on rendait à son charlatanisme (?), |
|
|
|
je lui
rompais sans cesse en visière sans aucun ména- |
|
|
|
gement240 » ; il allait
aussi chez Mme de Marchais, fille |
|
|
|
du
fermier-général de Laborde et parente de Mme de |
|
|
|
Pompadour,
mariée au premier valet de chambre |
|
|
|
du roi,
laquelle épousa, devenue veuve, M. d’Ange- |
|
|
|
viller, et
tint un salon comme Mme Geoffrin. « Elle |
|
|
|
avait
conservé de fort beaux cheveux dans l’âge le |
|
|
|
plus avancé241 : on prétendait
que le fameux comte |
|
|
|
de
Saint-Germain qui avait paru à la cour comme un |
|
|
|
des plus
célèbres alchimistes (?), lui avait donné une |
|
|
|
liqueur qui
conservait les cheveux et les préservait de |
|
|
|
blanchir avec
les années242 »
; il était reçu chez M. de |
|
|
|
l’Épine
Danican, armateur, descendant d’un cor- |
|
|
|
saire
malouin. « Celui-ci avait profité de ses lumières |
|
|
|
très étendues
sur la métallurgie, pour connaître et |
|
|
|
mettre en
valeur les mines que possédait la Basse- |
|
|
|
Bretagne sans
les connaître243
» ; il allait souvent chez |
|
|
|
M. de
Nicolaï, premier président de la chambre des |
|
|
|
comptes,
lequel demeurait place Royale et aussi chez |
|
|
|
le comte
Andréas Peter Bernstorff, conseiller de la |
|
|
|
légation
danoise, etc. |
|
|
|
|
|
|
|
240 Louis Bobé. Papiers de la famille de
Reventlow. Copen- |
|
|
|
hague, 1906, |
|
|
|
|
|
|
|
241 « Madame
d’Angeviller n’avait jamais eu de beau que |
|
|
|
ses cheveux
qui descendaient jusqu’à terre ; il est vrai qu’ils |
|
|
|
n’avaient pas
grande peine, car elle était excessivement |
|
|
|
petite ». Cf.
Duc de Levis, Souvenirs et portraits.
Paris, 1815, |
|
|
|
p. 89. |
|
|
|
|
|
|
|
242 Mlle Campan. Mémoires. Paris, Didot,
1886, p. 386. |
|
|
|
|
|
|
|
243 P. J. Grosley, ouvr. cité, p. 333. |
|
|
|
|
|
|
|
108 |
|
|
|
Enfin un
certain Ordre de la Félicité244, ayant à sa |
|
|
|
tête le duc
de Bouillon « chercha à faire sa connais- |
|
|
|
sance étant
donné qu’on le prenait pour un supé- |
|
|
|
rieur245 ». Cet Ordre,
dont le marquis de Chambe- |
|
|
|
nas était
l’âme, se réclamait du système du comte |
|
|
|
de Gabalis,
que l’abbé Montfaucon de Villars avait |
|
|
|
inventé246. Comme bien on
pense, le comte de Saint- |
|
|
|
Germain
déclina cet honneur247. |
|
|
|
|
|
|
|
244 A. Dinaux. Les sociétés badines,
bachiques, etc., Paris, |
|
|
|
Bachelin-Deflorenne
1867, t. I, p. 3. |
|
|
|
|
|
|
|
245 Wurmb au prince
Frédéric-Auguste, 19 mai 1777. |
|
|
|
|
|
|
|
246 Si l’abbé
Montfaucon de Villars a pris pour le héros de son |
|
|
|
livre le nom
de comte de Gabalis, c’est en souvenir des Gabali, |
|
|
|
qui
habitaient primitivement la Gévaudan ou Gabalicus pagus. |
|
|
|
Or l’abbé de
Villars est originaire des environs de Toulouse et |
|
|
|
le Gévaudan
appartint à la maison de Toulouse entre le xe et le |
|
|
|
xie siècles. |
|
|
|
|
|
|
|
247 Les statuts de
l’Ordre de la Félicité « se composaient de |
|
|
|
maximes de
galanteries, auxquelles nul ne pouvait manquer. |
|
|
|
Un ruban
vert, symbole de l’espérance, soutenait une petite |
|
|
|
croix que ces
dames portaient sur le cœur ». Mémoires de la |
|
|
|
baronne d’Oberkirch. Paris, Charpentier, s. d., t. 1er, p. 220. |
|
|
|
|
|
|
|
109 |
|
|
|
La grande
colère de M. de Choiseul |
|
|
|
|
|
|
|
Le comte de
Saint-Germain fréquentait la maison |
|
|
|
de M. de
Choiseul, et y était bien reçu. |
|
|
|
|
|
|
|
Le duc de
Choiseul était ministre des Affaires |
|
|
|
étrangères
depuis le 3 décembre 1758, en remplace- |
|
|
|
ment du
cardinal de Bemis. « Sa naissance, son ton, |
|
|
|
ses manières
le faisaient considérer et il avait su |
|
|
|
gagner les
bonnes grâces de Mme de Pompadour bien |
|
|
|
plus que tout
autre248. » |
|
|
|
|
|
|
|
Quand la
politique n’était pas en jeu, seuls, les plai- |
|
|
|
sirs de
toutes sortes intéressaient le duc. « J’aime mon |
|
|
|
plaisir à la
folie », dira-t-il249. Au contraire, Mme de |
|
|
|
Choiseul ne
vivait que par l’esprit. Aimable et bonne, |
|
|
|
elle charmait
sans être jolie. Lisant beaucoup et |
|
|
|
s’adonnant à
la musique et à la peinture, elle avait |
|
|
|
fait mander
au comte de Saint-Germain de venir chez |
|
|
|
elle, sachant
par ouï-dire que l’on gagnait beaucoup à |
|
|
|
ses
entretiens. En effet, l’étendue et la variété de ses |
|
|
|
connaissances
ont été pour le comte des recomman- |
|
|
|
dations
d’autant plus puissantes qu’en quelque art |
|
|
|
qu’il ait
voulu briller, il a toujours réussi. |
|
|
|
|
|
|
|
Tout d’abord,
le duc de Choiseul ne s’étonna pas |
|
|
|
outre mesure
des faits et gestes du comte de Saint- |
|
|
|
|
|
|
|
248 Mme du Hausset, ouvr. cité, p. 34. |
|
|
|
|
|
|
|
249 Lettre à Voltaire,
22 avril l760. Cf. P. Calmettes, Choiseul et |
|
|
|
Voltaire,
Paris, Plon, 1902, p. 70. |
|
|
|
|
|
|
|
110 |
|
|
|
Germain ;
celui-ci vivait en France comme il avait |
|
|
|
vécu
auparavant en Angleterre, c’est-à-dire gran- |
|
|
|
dement,
réglant toutes ses dépenses sans qu’aucun |
|
|
|
envoi de
fonds lui soit fait. |
|
|
|
|
|
|
|
Naturellement
la chose finit par surprendre et |
|
|
|
« comme sa
richesse ne lui venait pas, en tout cas, |
|
|
|
du jeu ou de
l’escroquerie, jamais aucune accusa- |
|
|
|
tion de ce
genre ne semble avoir été soulevée contre |
|
|
|
lui250, » on en vint à
parler d’alchimie, de « pierre |
|
|
|
philosophale
». |
|
|
|
|
|
|
|
Le duc
ordonna une enquête afin de connaître l’ori- |
|
|
|
gine des
fonds dont disposait le comte, et dit à ceux |
|
|
|
qui
s’adressaient à lui pour être renseignés, « qu’il |
|
|
|
leur
montrerait bientôt de quelle carrière on extrayait |
|
|
|
cette “pierre
philosophale” dont ils parlaient251 ». |
|
|
|
|
|
|
|
Les moyens
employés par le duc de Choiseul ne |
|
|
|
donnèrent
aucun résultat bien que le lieutenant de |
|
|
|
police Bertin
de Bellisle ait déployé tout son zèle. |
|
|
|
|
|
|
|
Cette
soi-disant « minière » d’où le comte de Saint- |
|
|
|
Germain
extrayait ses fonds peut s’expliquer ainsi : il |
|
|
|
possède, nous
le savons, un grand nombre de pierre- |
|
|
|
ries de toute
beauté, il lui est donc facile de s’en des- |
|
|
|
saisir auprès
d’une personne qualifiée, laquelle fera |
|
|
|
parvenir le
joyau sur l’un des marchés de Londres ou |
|
|
|
d’Amsterdam,
afin d’en tirer le maximum, et lui fera |
|
|
|
tenir les
fonds chez son banquier, la veuve du cheva- |
|
|
|
lier Lambert. |
|
|
|
|
|
|
|
250 A. Lang, ouvr. cité, p. 219. |
|
|
|
|
|
|
|
251 The London
Chronicle, no du 31 mai au 3 juin 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
111 |
|
|
|
M. de
Choiseul vexé de ne pas connaître ce qu’il |
|
|
|
désirait le
plus savoir, ne sut pas cacher son dépit, |
|
|
|
si bien qu’un
soir, à souper, où se trouvaient réunis |
|
|
|
lui-même et
sa femme, le baron de Gleichen que nous |
|
|
|
connaissons,
et le bailli de Solar, ambassadeur de Sar- |
|
|
|
daigne, le
ministre fit une violente, sortie à sa femme : |
|
|
|
« Il lui
demanda brusquement, pourquoi elle ne buvait |
|
|
|
pas ? et elle
lui ayant répondu : qu’elle pratiquait, ainsi |
|
|
|
que M. de
Gleichen ; le régime de M. de Saint-Germain |
|
|
|
avec bon
succès, M. de Choiseul lui dit : « Pour ce qui |
|
|
|
est du baron,
à qui j’ai reconnu un goût tout particu- |
|
|
|
lier pour les
aventuriers (?), il est le maître de choisir |
|
|
|
son régime,
mais vous, Madame, dont la santé m’est |
|
|
|
précieuse, je
vous défends de suivre les folies d’un |
|
|
|
homme aussi
équivoque (?). Il est étrange, ajouta-t-il |
|
|
|
en
s’échauffant davantage, qu’on permette que le roi |
|
|
|
soit souvent
presque seul avec un tel homme, tandis |
|
|
|
qu’il ne sort
jamais qu’environné de gardes, comme si |
|
|
|
tout était
rempli d’assassins252. » |
|
|
|
|
|
|
|
Si les
paroles du duc de Choiseul nous le montrent |
|
|
|
visiblement
dépité de la confiance mise par le roi en |
|
|
|
notre
personnage, son mouvement de colère prove- |
|
|
|
nait aussi de
sa jalousie contre le maréchal de Belle- |
|
|
|
Isle, dont le
comte de Saint-Germain était l’ami253. Le |
|
|
|
maréchal « ce
vieux soldat à l’esprit jeune et hardi » |
|
|
|
|
|
|
|
252 Baron de Gleichen, ouvr. cité, pp.
129-130. |
|
|
|
|
|
|
|
253 D’après M. Pierre Lhermier, Monsieur de Belle-Isle
appe- |
|
|
|
lait le comte
de Saint-Germain « le fils de mes vieux jours » : La |
|
|
|
Revue de
France, no 11,
1er juin
1939, p. 337. |
|
|
|
|
|
|
|
112 |
|
|
|
était le
petit-fils du surintendant Fouquet254. Il tenait |
|
|
|
dans le
ministère du duc de Choiseul les fonctions de |
|
|
|
ministre de
la guerre. Les deux hommes se détestaient |
|
|
|
à cause de
leurs ambitions politiques personnelles255. |
|
|
|
|
|
|
|
La politique
de M. de Choiseul tenait en deux |
|
|
|
lignes :
combattre l’Angleterre et la vaincre ; gar- |
|
|
|
der
l’indépendance de la Prusse et se garantir ainsi |
|
|
|
des visées
ambitieuses des cours autrichiennes et |
|
|
|
russes256. Au contraire, M.
de Belle-Isle intriguait |
|
|
|
pour se faire
l’auteur d’une paix séparée avec l’Angle- |
|
|
|
terre. « Le
maréchal admirait les Anglais disant que |
|
|
|
ceux-ci sont
courageux et aiment leur roi, et que dès |
|
|
|
qu’on les
attaque, il n’y a plus de faction en Angle- |
|
|
|
terre et
l’esprit de patriotisme y règle les décisions de |
|
|
|
Westminster257. » |
|
|
|
|
|
|
|
Or, tout ce
qui touche de près ou de loin à l’An- |
|
|
|
gleterre
indispose le duc de Choiseul, et l’on va voir |
|
|
|
pourquoi le
comte de Saint-Germain fut englobé dans |
|
|
|
cette
réprobation. |
|
|
|
|
|
|
|
254
Charles-Louis-Auguste Fouquet, duc de Belle-Isle, né à Vil- |
|
|
|
lefranche le
22 septembre 1684, mort le 26 janvier 1761. |
|
|
|
|
|
|
|
255 M. de Gleichen a
prétendu que le comte de Saint-Germain |
|
|
|
« avait donné
à M. de Belle-Isle le plan et le modèle de ces |
|
|
|
fameux
bateaux plats qui devaient servir à une descente en |
|
|
|
Angleterre ».
Or rien n’est plus faux. Il résulte de l’analyse des |
|
|
|
dépêches de
notre ambassadeur à Londres que le comte n’a |
|
|
|
aucunement
été mêlé à cette histoire. Aff. étrang. Angleterre, |
|
|
|
442. ff. 112,
134, 145, 174. |
|
|
|
|
|
|
|
256 P. Calmettes, ouvr. cité, p. 104. |
|
|
|
|
|
|
|
257 Chevrier. La vie politique du
maréchal de Belle-Isle. La |
|
|
|
Haye, Van
Duren, 1762, p. 264. |
|
|
|
|
|
|
|
113 |
|
|
|
Comme
beaucoup d’autres, le comte faisait du com- |
|
|
|
merce
maritime et avait des intérêts dans une com- |
|
|
|
pagnie
anglaise de navigation. Le bateau sur lequel il |
|
|
|
était
intéressé, l’Ackerman, fut
pris le 8 mars 1759, par |
|
|
|
le corsaire
français, le Maraudeur,
commandé par le |
|
|
|
capitaine
dunkerquois, Thivier-Leclerc. Le jugement |
|
|
|
de l’Amirauté
de Dunkerque avait reconnu la prise |
|
|
|
valable dont
le montant s’élevait à près de 800.000 |
|
|
|
livres.
Cependant, la maison Eymeri et Cie de Dun- |
|
|
|
kerque se
porta partie réclamante devant le conseil des |
|
|
|
prises, si
bien que le dénouement de l’affaire fut porté |
|
|
|
devant le
Conseil royal258.
Le comte de Saint-Germain |
|
|
|
s’adressa à Mme de Pompadour afin
qu’elle usât de son |
|
|
|
influence
pour faire lever l’embargo sur l’Ackerman, |
|
|
|
sur lequel il
avait option pour 50.000 écus. |
|
|
|
|
|
|
|
Quelques mois
plus tard, il était fortement question |
|
|
|
de mettre fin
à la guerre qui durait depuis trois ans. |
|
|
|
|
|
|
|
Un Écossais
habitant Paris, nommé Crammont, |
|
|
|
reçut une
lettre de Londres, lui parvenant via |
|
|
|
Bruxelles,
dans laquelle était suggérée l’idée d’une |
|
|
|
paix séparée
avec l’Angleterre, suggestion émanant de |
|
|
|
deux des
secrétaires d’État du Royaume-Uni, le duc |
|
|
|
de Newcastle
et lord Granville (Charles Foronshead). |
|
|
|
Cette lettre
fut montrée au comte de Saint-Germain |
|
|
|
par Mme de Pompadour, à un
moment où se trouvait |
|
|
|
aussi près
d’elle le maréchal de Belle-Isle, ce dernier |
|
|
|
faisant cause
commune avec la favorite du roi259. |
|
|
|
|
|
|
|
258 H. Malo, ouvr. cité, pp. 125-126. |
|
|
|
|
|
|
|
259 Arch. de Hollande.
Papiers de Bentinck, 9 mars 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
114 |
|
|
|
Dans le même
temps, le Bailli de Froulai, ambassa- |
|
|
|
deur de Malte
à Paris, vint trouver le duc de Choiseul |
|
|
|
et lui remit
une lettre de Frédéric II260, par laquelle ce |
|
|
|
dernier lui
mandait de bien vouloir recevoir le baron |
|
|
|
d’Edelsheim
chargé de lui présenter secrètement des |
|
|
|
propositions
de paix261. M.
de Choiseul rejeta la pro- |
|
|
|
position en
disant : « Nous ne sommes pas en guerre |
|
|
|
contre le roi
de Prusse et par conséquent nous ne |
|
|
|
pouvons pas
traiter avec lui d’une paix particulière. |
|
|
|
Ce sont ses
ennemis ou ses alliés qui peuvent faire sa |
|
|
|
paix, mais ce
n’est pas nous262.
» |
|
|
|
|
|
|
|
Cependant le
25 novembre 1759, le duc Louis de |
|
|
|
Brunswick,
feld-maréchal au service des Provinces- |
|
|
|
Unies et
tuteur du jeune Stathouder, Guillaume V263, |
|
|
|
avait remis à
M. d’Affry, notre ministre résidant à La |
|
|
|
|
|
|
|
260 « J’espère, mon
cher Bailli, que ma comition ne vous |
|
|
|
déplaira pas.
Vous en sentez l’importance foncière pour toutes |
|
|
|
les parties
belligérantes. La paix, c’est le cris de l’Europe, mais |
|
|
|
l’ambition
est moins délicate ». Lettre de Frédéric II au bailli |
|
|
|
de Froulay.
Prusse, Berlin, 1786, fo 163. On trouve la réponse |
|
|
|
à cette
lettre dans une missive de M. de Choiseul à Voltaire : |
|
|
|
« Que
Frédéric II ne nous croit pas assez imbécile pour donner |
|
|
|
dans le
panneau de La Haye ; tout ce que nous pouvons faire de |
|
|
|
mieux, c’est
d’en avoir l’air, parce que l’air de dupe convient à |
|
|
|
ceux qui sont
battus. » Cf. P. Calmettes,
ouvr. cité, p. 51. |
|
|
|
|
|
|
|
261 Dutens. Mémoires, t. I, p. 149. |
|
|
|
|
|
|
|
262 Lettre de M. de
Choiseul à Voltaire, 14 janvier 1760. Cf. |
|
|
|
P. Calmettes, ouvr. cité, p. 56. |
|
|
|
|
|
|
|
263 Le duc de Brunswick
fut nommé feld-maréchal de la Répu- |
|
|
|
blique en
1750, sous le règne du prince Guillaume IV. À la |
|
|
|
mort de la
princesse Anna, mère du prince Guillaume V, il fut |
|
|
|
nommé tuteur
du jeune Stathouder, alors âgé de 11 ans. |
|
|
|
|
|
|
|
115 |
|
|
|
Haye, une
déclaration signée par le comte d’Holder- |
|
|
|
nesse et par
le baron de Kniphausen, « au nom et de |
|
|
|
la part de
leurs Majestés Britannique et Prussienne |
|
|
|
tendant à
témoigner de l’inclination des cours de |
|
|
|
Londres et de
Berlin au rétablissement de la paix264 ». |
|
|
|
Malheureusement,
« les prétentions de l’Angleterre |
|
|
|
étaient
exagérées et la France fut obligée de leur |
|
|
|
opposer une
certaine résistance265 » et les pourparlers |
|
|
|
furent
rompus. |
|
|
|
|
|
|
|
Mais M. de
Belle-Isle, d’accord avec Louis XV et |
|
|
|
Mme de Pompadour, crut
pouvoir réussir cette paix, |
|
|
|
souhaitée,
dit-on, par tous, et dont lui-même tirerait |
|
|
|
un grand
bénéfice, quant à sa position. Sachant que |
|
|
|
le comte de
Saint-Germain était intimement lié avec |
|
|
|
M. Yorke,
ministre d’Angleterre à La Haye, il le char- |
|
|
|
|
|
|
|
264 Duc de Choiseul-Stainville. Mémoire historique
sur la |
|
|
|
négociation
de la France et de l’Angleterre, depuis le 26 mars |
|
|
|
1761 jusqu’au
20 septembre de la même année, avec les pièces |
|
|
|
justificatives.
Paris, de l’Imprimerie Royale 1761, pp. 9-13. |
|
|
|
|
|
|
|
265 P. Calmettes, ouvr. cité, p. 46. Une
proposition de Congrès |
|
|
|
fut mise en
avant. C’est ce qui fit écrire par Voltaire au roi |
|
|
|
de Prusse : «
Vos ministres aurons sans doute à Bréda de plus |
|
|
|
belles vues
que les miennes. M. le duc de Choiseul, M. de Kau- |
|
|
|
nitz, M. Pitt
ne me disent point leur secret. On dit qu’il n’est |
|
|
|
connu que
d’un M. de Saint-Germain qui a soupé autre fois |
|
|
|
dans la ville
de Trente avec les Pères du Concile et qui aura |
|
|
|
l’honneur de
voir sa M. dans une cinquantaine d’années. C’est |
|
|
|
un homme qui
ne meurt point et qui sait tout. » Lettre du 15 |
|
|
|
avril 1760.
Œuvres complètes. Paris, Didot, 1877, t. X, no 313. |
|
|
|
Ce à quoi
Frédéric II répondit le 1er mai 1760 : « Le comte de |
|
|
|
Saint-Germain
est un conte pour rire. » no 339. L’allusion |
|
|
|
moqueuse de
ces deux personnages avait trait aux bruits |
|
|
|
répandus dans
Paris par le mystificateur milord Gor. |
|
|
|
|
|
|
|
116 |
|
|
|
gea de faire
auprès de l’ambassadeur une démarche en |
|
|
|
vue
d’essayer, à l’insu de M. de Choiseul, de reprendre |
|
|
|
les
pourparlers de paix. Le comte accepta cette mis- |
|
|
|
sion «
secrète », en dehors de tout intérêt personnel, |
|
|
|
simplement
pour rendre service à M. de Belle-Isle et |
|
|
|
surtout au
roi et à Mme de
Pompadour pour qui il avait |
|
|
|
la plus
grande estime. |
|
|
|
|
|
|
|
Le 14 février
1760, M. de Belle-Isle fit remettre au |
|
|
|
comte de
Saint-Germain un blanc-seing signé du roi |
|
|
|
Louis XV, et
celui-ci partit pour la Hollande. |
|
|
|
|
|
|
|
117 |
|
|
|
Mission
diplomatique |
|
|
|
|
|
|
|
Le 20 février
1760, le comte de Saint-Germain |
|
|
|
parvint à
Amsterdam266,
et descendit à « L’Étoile |
|
|
|
d’Orient »,
l’une des meilleures auberges ; après un |
|
|
|
instant de
repos, il se rendit chez MM. Adrien et Tho- |
|
|
|
mas Hope, les
plus riches négociants de la ville267. |
|
|
|
Ceux-ci, le
lendemain, le présentaient au maire |
|
|
|
d’Amsterdam,
M. Hasselaar, qui ne fit aucune diffi- |
|
|
|
culté pour
l’admettre chez lui, et quelques jours plus |
|
|
|
tard, le
comte devint le commensal des plus riches |
|
|
|
familles de
la « Venise du Nord ». Entre-temps, il alla |
|
|
|
rendre visite
à deux commerçants associés, les sieurs |
|
|
|
Coq et
Vangiens, amis de la veuve du chevalier Lam- |
|
|
|
bert, son
banquier de Paris. |
|
|
|
|
|
|
|
Le 22
février, M. Astier, commissaire de la marine |
|
|
|
et du
commerce de la France à Amsterdam, fit |
|
|
|
connaître à
M. d’Affry, ambassadeur de France à La |
|
|
|
Haye,
l’arrivée du comte de Saint-Germain268. |
|
|
|
|
|
|
|
266 « Dans tous ses
voyages, ses goûts personnels étaient tran- |
|
|
|
quilles et
simples ; et il semblait tenir beaucoup à une petite |
|
|
|
édition de
poche de l’ouvrage de Guarini, Il Pastor Fido — sa |
|
|
|
seule
bibliothèque — plus qu’il ne tenait à aucun autre objet ». |
|
|
|
T. P. Barnum, ouvr. cité, p. 307. Nous
doutons de ce renseigne- |
|
|
|
ment, car
cette œuvre d’immoralité élégante, mise plusieurs |
|
|
|
fois à
l’index, ne correspond nullement à notre personnage. |
|
|
|
|
|
|
|
267 L’un des frères
Hope était le premier député d’Amsterdam |
|
|
|
et tous deux
directeurs de la Compagnie des Indes Orientales. |
|
|
|
|
|
|
|
268 Aff. étrang.,
Hollande, 503, fo 163. |
|
|
|
|
|
|
|
118 |
|
|
|
On sut
bientôt que celui-ci était venu en Hol- |
|
|
|
lande, chargé
d’une commission importante pour les |
|
|
|
finances de
la France. Ce n’était, on le sait, qu’un pré- |
|
|
|
texte pour
donner le change sur sa véritable mission. |
|
|
|
|
|
|
|
Quinze jours
après son arrivée, le 5 mars 1760, le |
|
|
|
comte partit
pour La Haye en compagnie de Mme Geel- |
|
|
|
vinck et de
l’un des frères Hope269, afin d’assister aux |
|
|
|
fêtes données
en l’honneur du mariage de la princesse |
|
|
|
Caroline,
sœur du Stathouder, avec le prince Charles |
|
|
|
de
Nassau-Weilburg. L’animation était grande à l’hô- |
|
|
|
tel des
Ambassadeurs270,
situé vis-à-vis l’étang central |
|
|
|
de La Haye,
le Vyver, et dans le même
corps de bâti- |
|
|
|
ment que le
palais des États-Généraux. |
|
|
|
|
|
|
|
Le comte de
Saint-Germain fut reçu avec respect |
|
|
|
et attentions
par l’ambassadeur, M. d’Affry. Celui- |
|
|
|
ci était un
gentilhomme suisse, militaire par état et |
|
|
|
diplomate par
occasion ; il servait la France depuis |
|
|
|
plusieurs
années avec zèle et dévouement. On se sou- |
|
|
|
vient que nos
deux personnages s’étaient connus à |
|
|
|
Paris et M.
d’Affry avait conservé une haute opinion |
|
|
|
de son hôte. |
|
|
|
|
|
|
|
D’autre part,
la famille Hasselaar avait recom- |
|
|
|
mandé le
comte à M. Pieck van Soelen, député aux |
|
|
|
États-Généraux,
lequel de son côté le présenta à |
|
|
|
Mme de Byland ainsi
qu’aux autres principales per- |
|
|
|
|
|
|
|
269 Arch. de Hollande.
Papiers de Beetinck, 18 avril 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
270 On sait que La Haye
est la capitale diplomatique des |
|
|
|
Pays-Bas,
tandis qu’Amsterdam est la métropole, capitale et |
|
|
|
commerciale. |
|
|
|
|
|
|
|
119 |
|
|
|
sonnes de la
haute société de La Haye. Il plut aussitôt |
|
|
|
et il fut
considéré par toutes et par tous comme un |
|
|
|
homme de
naissance. |
|
|
|
|
|
|
|
Après avoir
assisté au bal donné au palais du Sta- |
|
|
|
thouder, le
comte voulut repartir le lendemain pour |
|
|
|
Amsterdam,
mais il fut obligé de différer son départ |
|
|
|
sur les
instances de ses amis. Durant ce temps, il fut |
|
|
|
journellement
en la compagnie de M. d’Affry ; non |
|
|
|
seulement
celui-ci l’invita à dîner, le conduisit dans |
|
|
|
sa loge au
théâtre, mais lui fit même porter à deux |
|
|
|
reprises des
provisions pour son voyage de retour271. |
|
|
|
Durant une
partie de son séjour à La Haye, le comte |
|
|
|
logea à
l’auberge du « Prince d’Orange ». |
|
|
|
|
|
|
|
Par une
coïncidence imprévue, le célèbre Casanova |
|
|
|
se trouvait
au même endroit. Du reste, ce n’était pas |
|
|
|
la première
fois que ce chevalier d’industrie venait |
|
|
|
à La Haye.
Son premier voyage datait de fin 1758. Il |
|
|
|
avait obtenu,
grâce l’obligeance de Mme de Rumain, |
|
|
|
une lettre de
recommandation du vicomte de Choi- |
|
|
|
seul au duc
de Choiseul dont le début a une saveur |
|
|
|
particulière
: « Le sieur de Casanova, vénitien, homme |
|
|
|
de lettres,
voyage pour s’instruire dans la littérature |
|
|
|
et le
commerce depuis quelque temps. Ayant le projet |
|
|
|
de partir
tout à l’heure pour la Hollande, malgré les |
|
|
|
bontés que
lui a marquées l’année dernière M. d’Af- |
|
|
|
fry, il
désirerait avoir une lettre de recommandation |
|
|
|
de M. le duc
de Choiseul auprès de ce ministre comme |
|
|
|
un titre sûr
pour en être bien traité. Le vicomte de |
|
|
|
|
|
|
|
271 Arch. de Hollande. Papiers de Bentinck, 18 avril 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
120 |
|
|
|
Choiseul prie
M. de Choiseul de vouloir bien rendre |
|
|
|
ce service à
M. de Casanova, et d’avoir la bonté de lui |
|
|
|
faire
remettre sa lettre pour ce ministre272. » |
|
|
|
|
|
|
|
Casanova
obtint sa lettre de créance auprès de |
|
|
|
M. d’Affry,
mais ce dernier fit connaître au duc de |
|
|
|
Choiseul : «
que Casanova n’est pas du tout ce qu’il |
|
|
|
croit ; qu’il
joue gros jeu ; qu’il est venu [à La Haye] |
|
|
|
pour une
affaire d’intérêt — vendre des valeurs |
|
|
|
françaises273. » |
|
|
|
|
|
|
|
En effet,
notre homme avait reçu la mission de |
|
|
|
négocier sur
l’ordre du contrôleur général, M. de |
|
|
|
Boullongne,
vingt millions de papiers-monnaies de |
|
|
|
France. Cette
négociation fut rapidement menée |
|
|
|
par le sieur
Casanova et le trésor français récupé- |
|
|
|
rait
18.200.000 livres, partie liquide, partie valeurs |
|
|
|
excellentes274. |
|
|
|
|
|
|
|
Casanova se
trouvait donc une seconde fois à La |
|
|
|
Haye pour
traiter une affaire d’emprunt à 5 %, mais, |
|
|
|
cette fois,
il fut « brûlé » par M. d’Affry ; celui-ci avait |
|
|
|
écrit au duc
de Choiseul : « que Casanova avait une |
|
|
|
tenue
déplorable et a bavardé à tort et à travers sur |
|
|
|
|
|
|
|
272 Aff. étrang.
Hollande, 502, fo 159. Les termes de cette |
|
|
|
lettre
diffèrent dans l’ouvrage de Capon. Casanova à Paris, |
|
|
|
Paris, J.
Schmit, 1912, p. 430 et dans J. Le Gras.
L’extravagante |
|
|
|
personnalité
de Casanova. Paris, Grasset, 1922, p. 105. |
|
|
|
|
|
|
|
273 Aff. étrang.
Hollande, 502, fo 202. |
|
|
|
|
|
|
|
274 D’après Casanova lui-même, « cette
opération avait dis- |
|
|
|
crédité la
France et l’on s’attendait à une banqueroute ». |
|
|
|
Mémoires, t.
III, p. 458. Et pourtant J. Le Gras,
ouvr. cité, p. 63 |
|
|
|
écrit : «
Casanova ne prétend pas aux entreprises grandioses |
|
|
|
d’un
Saint-Germain » !! |
|
|
|
|
|
|
|
121 |
|
|
|
ses aventures
personnelles et sur la cour de France, |
|
|
|
c’est-à-dire
indiscret en ses propos ». Ce à quoi notre |
|
|
|
ministre
répondit : « qu’il ne connaissait pas directe- |
|
|
|
ment Casanova
et que d’Affry ferait bien de fermer sa |
|
|
|
porte à cet
intrigant275. » |
|
|
|
|
|
|
|
Le comte de
Saint-Germain reçut la visite de l’aven- |
|
|
|
turier ; ce
dernier nous en a laissé le récit suivant : |
|
|
|
|
|
|
|
« Je me fis
annoncer au comte qui avait deux hei- |
|
|
|
duques dans
son antichambre. |
|
|
|
|
|
|
|
— Vous m’avez
prévenu, me dit-il, en me voyant |
|
|
|
entrer ;
j’allais me faire annoncer chez vous. J’ima- |
|
|
|
gine, mon
cher monsieur Casanova, que vous êtes |
|
|
|
venu ici pour
tâcher de faire quelque chose en faveur |
|
|
|
de notre cour
; mais cela vous sera difficile, car la |
|
|
|
bourse est
scandalisée de l’opération que ce fou de |
|
|
|
Silhouette
vient de faire. J’espère cependant que ce |
|
|
|
contre-temps
ne m’empêchera pas de trouver cent |
|
|
|
|
|
|
|
275 Aff. étrang. Hollande, 502. Ce qui n’empêche pas Casanova |
|
|
|
de prétendre
avoir été reçu par notre envoyé : « M. d’Affri me |
|
|
|
demanda si je
connaissais un certain comte de Saint-Germain |
|
|
|
arrivé à La
Haye depuis peu. Je ne l’ai jamais vu chez moi, |
|
|
|
ajouta-t-il,
quoiqu’il se dise chargé par le roi d’un emprunt de |
|
|
|
cent
millions. Quand on vient me demander des renseigne- |
|
|
|
ments sur cet
homme, je suis obligé de répondre que je ne le |
|
|
|
connais pas,
car je crains de me compromettre. Vous sentez |
|
|
|
que ma
réponse ne peut que nuire à ses négociations ; mais |
|
|
|
c’est sa
faute et non la mienne. Pourquoi ne m’a-t-il pas porté |
|
|
|
une lettre du
duc de Choiseul ou de Mme la marquise ? Je crois |
|
|
|
que cet homme
est un imposteur ; mais, dans tous les cas, dans |
|
|
|
une dizaine
de jours j’en saurai quelque chose. » Mémoires, |
|
|
|
t. III, p.
459. |
|
|
|
|
|
|
|
122 |
|
|
|
millions.
J’en ai donné ma parole à Louis XV, que je |
|
|
|
puis appeler
mon ami, et je ne le tromperai pas ; dans |
|
|
|
trois ou
quatre semaines, mon affaire sera faite. |
|
|
|
|
|
|
|
— Je pense que M. d’Affry vous aidera à
réussir. |
|
|
|
|
|
|
|
— Je n’ai nul besoin de lui. Je ne le
verrai même |
|
|
|
pas
probablement, car il pourrait se vanter de m’avoir |
|
|
|
aidé, et je
ne le veux pas. Puisque j’en aurai toute la |
|
|
|
peine, je
prétends en avoir toute la gloire. |
|
|
|
|
|
|
|
— Vous allez à la cour, je pense, et le duc
de |
|
|
|
Brunswick
pourra vous être utile. |
|
|
|
|
|
|
|
— Qu’irai-je y faire, à cette cour ? Quant
au duc |
|
|
|
de Brunswick,
je n’ai que faire de lui et je ne veux |
|
|
|
pas faire sa
connaissance. Je n’ai besoin que d’aller |
|
|
|
à Amsterdam.
Mon crédit me suffit. J’aime le roi de |
|
|
|
France, car
il n’y a pas dans tout le royaume un plus |
|
|
|
honnête homme
que lui276. » |
|
|
|
|
|
|
|
Le ton
arrogant et familier des réponses prêtées |
|
|
|
à
Saint-Germain est bien invraisemblable et cette |
|
|
|
conversation
a été inventée de toutes pièces comme |
|
|
|
nous le
verrons par la suite. |
|
|
|
|
|
|
|
Le 6 mars
1760, le comte de Saint-Germain se |
|
|
|
rendit chez
M. d’Affry avec lequel il eut une longue |
|
|
|
conversation
touchant l’état de la trésorerie en |
|
|
|
France,
disant : « qu’il avait un certain projet pour |
|
|
|
rétablir les
finances, qu’il voulait en un mot sau- |
|
|
|
ver le
royaume en tâchant de ménager le crédit des |
|
|
|
|
|
|
|
276 Casanova, ouvr. cité, t. III, pp. 459-460. |
|
|
|
|
|
|
|
123 |
|
|
|
plus gros
banquiers hollandais en notre faveur277. » |
|
|
|
M. d’Affry
lui demanda si M. Bertin, notre contrô- |
|
|
|
leur général
des finances, se trouvait au courant de |
|
|
|
ses
démarches. La réponse du comte fut négative. |
|
|
|
Toutefois M.
d’Affry prétend avoir vu, le lendemain, |
|
|
|
le projet
financier apostillé par ce même M. Ber- |
|
|
|
tin278 ! Ce projet
comportait l’indication d’une caisse |
|
|
|
d’escompte,
laquelle caisse, fit remarquer M. d’Affry, |
|
|
|
pourrait
devenir un trésor immense pour les gens qui |
|
|
|
la gérerait.
Le comte répondit qu’il n’était venu en |
|
|
|
Hollande que
pour achever de former une compagnie |
|
|
|
suffisante
pour répondre de cette caisse, sans cepen- |
|
|
|
dant la
collaboration des frères Pâris279. |
|
|
|
|
|
|
|
M. d’Affry
demanda au comte de lui montrer les |
|
|
|
pouvoirs
l’accréditant pour cette démarche. Ce der- |
|
|
|
nier lui fit
voir deux lettres de M. de Belle-Isle, datées |
|
|
|
l’une du 14
et l’autre du 26 février 1760. La première |
|
|
|
contenait le
blanc-seing signé du roi Louis XV, et la |
|
|
|
seconde
exprimait la grande impatience du maréchal |
|
|
|
à avoir des
nouvelles du comte de Saint-Germain et |
|
|
|
toutes deux
étaient pleines d’éloges sur son zèle, son |
|
|
|
|
|
|
|
277 Aff. étrang.
Hollande, 503, ff. 212-213. Casanova réitère ses |
|
|
|
mensonges en
disant : que le comte de Saint-Germain est venu |
|
|
|
à La Haye
pour mettre en gage les diamants de la couronne de |
|
|
|
France, et
que lui Casanova dévoila l’intrigue au moyen d’un |
|
|
|
oracle
chiffré. Mémoires, t. III, p. 493. |
|
|
|
|
|
|
|
278 Aff. étrang.
Hollande, 503. ff. 212-213. |
|
|
|
|
|
|
|
279 Aff. étrang.
Hollande, 503, fo 217. Si Pâris-Montmartel |
|
|
|
était le
financier, Pâris-Duverney était l’administrateur mili- |
|
|
|
taire, tous
deux contribuaient largement à la pénurie des |
|
|
|
caisses
publiques et distribuaient à leur gré. |
|
|
|
|
|
|
|
124 |
|
|
|
habileté et
les espoirs qui sont fondés sur ce pour- |
|
|
|
quoi il est à
La Haye et dont M. de Belle-Isle attendait |
|
|
|
l’heureux
résultat280. |
|
|
|
|
|
|
|
Lorsque le
comte de Saint-Germain eut quitté |
|
|
|
M. d’Affry,
celui-ci envoya un courrier à M. de Choi- |
|
|
|
seul lui
faisant part de la visite reçue et lui deman- |
|
|
|
dant des
instructions sur la mission financière du |
|
|
|
comte. Durant
ce temps ce dernier se présentait chez |
|
|
|
son ami, le
ministre anglais, Sir Joseph Yorke. |
|
|
|
|
|
|
|
L’entrevue
des deux personnages fut très cordiale |
|
|
|
et le soir
même, M. Yorke rendait au comte sa visite, |
|
|
|
à la suite de
quoi une nouvelle rencontre fut décidée |
|
|
|
entre eux. |
|
|
|
|
|
|
|
Ne pouvant
garder plus longtemps le silence, le |
|
|
|
comte fit
part alors à son ami le diplomate de sa véri- |
|
|
|
table mission
: « Il commença à parler du mauvais état |
|
|
|
de la France,
de son besoin de la paix, son désir de |
|
|
|
la conclure
et son ambition particulière de contri- |
|
|
|
buer à un
événement si désirable pour l’humanité en |
|
|
|
général281. » À ces mots, M.
Yorke lui répondit d’un air |
|
|
|
grave : « Que
ces affaires étaient trop délicates pour |
|
|
|
être traitées
par des personnes non qualifiées. » Sur |
|
|
|
quoi le comte
lui montra les deux lettres de M. de |
|
|
|
Belle-Isle et
le blanc-seing du roi. Le ministre anglais |
|
|
|
se trouva
fort embarrassé. S’il ne doutait pas de la |
|
|
|
qualité du
comte, rien toutefois ne l’autorisait à le |
|
|
|
|
|
|
|
280 Mitchell Papers.
Vol. XV. Ld Holdernesse’s Despatches, |
|
|
|
etc., 1760 ;
6818. Plut. P. L. 168. I (12). 20 mars 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
281 Ms. Brit. Mus.
6818, 24 mars 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
125 |
|
|
|
croire
effectivement, et pour ne pas s’engager, ne |
|
|
|
lui répondit
qu’en termes généraux sur le désir de |
|
|
|
paix qu’avait
l’Angleterre. Avant de prendre congé, |
|
|
|
le comte
demanda à M. Yorke de tenir secrète leur |
|
|
|
conversation
et de lui transmettre dès que possible |
|
|
|
une réponse à
sa proposition282. |
|
|
|
|
|
|
|
On était au 9
mars 1760. Le comte de Saint-Ger- |
|
|
|
main fit
connaissance, ce jour-là, avec M. de Bentinck |
|
|
|
van Rhoon,
résident du conseil des députés commis- |
|
|
|
saires de la
Hollande283,
dont la famille était originaire |
|
|
|
de Arnheim,
et qui habitait Leyde, à mi-chemin entre |
|
|
|
Amsterdam et
La Haye. |
|
|
|
|
|
|
|
Tout de suite
les deux hommes sympathisèrent et |
|
|
|
dès leur
premier entretien, qui eut lieu à La Haye, le |
|
|
|
comte mit M.
de Bentinck au courant de sa mission : |
|
|
|
la paix
nécessaire entre la France et l’Angleterre. Le |
|
|
|
comte eut le
soir même une conversation analogue |
|
|
|
avec le
résident du roi de Pologne, électeur de Saxe, |
|
|
|
M. de
Kauderbach, avec lequel il dîna. Durant le sou- |
|
|
|
per, auquel
assistait le chevalier de Bruhl, le comte, |
|
|
|
à son
habitude, ne prit pas de viande, excepté un |
|
|
|
blanc de
poulet, et borna sa nourriture aux gruaux, |
|
|
|
|
|
|
|
282 Ms. Brit. Mus.
6818, 24 mars 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
283 M. Guillaume de
Bentinck van Rhoon, diplomate hollan- |
|
|
|
dais était un
ami du duc de Newcastle. Son attachement pour |
|
|
|
l’Angleterre
était très connu des milieux diplomatiques et |
|
|
|
déjà, en
1752, le comte de Kaunitz, ambassadeur d’Autriche |
|
|
|
à Paris,
avait une certaine méfiance contre lui. Cf. Correspon- |
|
|
|
dance secrète
entre le comte de Kaunitz et le baron de Koch. |
|
|
|
Publ. par H.
Schlitter. Paris, Plon, 1899. |
|
|
|
|
|
|
|
126 |
|
|
|
aux légumes
et aux poissons. « Il parla savamment, |
|
|
|
sans affecter
aucun mystère, des plus beaux secrets |
|
|
|
de la nature
et tâcha de convaincre, par ses démons- |
|
|
|
trations, les
plus incrédules [de ses auditeurs], sans |
|
|
|
qu’il parût
avoir aucun dessein. Il montra des pier- |
|
|
|
reries d’un
prix inestimable, surtout une opale d’une |
|
|
|
beauté
remarquable et se déclara indifférent pour |
|
|
|
toutes les
grandeurs du monde et n’aspirer qu’au titre |
|
|
|
de citoyen284. » Puis,
changeant de thème, le comte en |
|
|
|
vint à sa
commission qu’il exposa ainsi : « Le mal radi- |
|
|
|
cal de la
France est le manque de fermeté de Louis XV. |
|
|
|
Ceux qui
l’entourent connaissent l’excès de sa bonté, |
|
|
|
en abusent et
il n’est entouré que de créatures placées |
|
|
|
par les
frères Pâris, qui seuls font tout le malheur de |
|
|
|
la France. Ce
sont eux qui ont tout corrompu et tra- |
|
|
|
versé les
dispositions du meilleur citoyen qui soit en |
|
|
|
France, le
maréchal de Belle-Isle. De là, la jalousie |
|
|
|
et la
désunion parmi les ministres qui semblent tous |
|
|
|
servir un
monarque différent. Malheureusement, |
|
|
|
le roi n’a
pas autant de sagacité que de bonté pour |
|
|
|
apercevoir la
malice des gens dont ils [les frères Pâris] |
|
|
|
l’environnent,
et qui connaissent son peu de fermeté, |
|
|
|
ne sont
occupés qu’à flatter son faible, et par là même |
|
|
|
sont écoutés
de préférence. Le même défaut se trouve |
|
|
|
dans la
favorite. Elle connaît le mal et n’a pas le cou- |
|
|
|
rage d’y
remédier285. » |
|
|
|
|
|
|
|
284 Lettre de M. de
Kauderbach au comte Wackerbarth, |
|
|
|
ministre du
roi de Pologne, Auguste III. Cf. Ch. de Weber.
Aus |
|
|
|
wier
Iahranderten. Leipzig, 1857, t. 1er, pp. 306-323. |
|
|
|
|
|
|
|
285 Lettre de M. de
Kauderbach, 14 mars 1760. Nous avons |
|
|
|
|
|
|
|
127 |
|
|
|
À la suite de
ces divers entretiens, le comte crut |
|
|
|
devoir mettre
Mme de
Pompadour au courant de ses |
|
|
|
relations
avec M. de Bentinck van Rhoon, le person- |
|
|
|
nage, à ses
yeux, le plus qualifié pour l’aider dans sa |
|
|
|
mission de
paix, et voici cette lettre : |
|
|
|
|
|
|
|
« La Haye, le
11 mars 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
« Madame, |
|
|
|
|
|
|
|
« Mon
attachement pur et sincère pour le roi, pour |
|
|
|
le bien de
votre aimable nation et pour vous, non seu- |
|
|
|
lement ne
changera jamais dans quelque endroit de |
|
|
|
l’Europe que
je me trouve ; mais je n’y demeurerai pas |
|
|
|
un instant
sans vous le prouver dans toute sa pureté, |
|
|
|
dans toute sa
sincérité, dans toute sa force. |
|
|
|
|
|
|
|
« Je suis
actuellement à La Haye chez M. le comte |
|
|
|
de Bentinck,
seigneur de Rhoon avec qui je suis entiè- |
|
|
|
rement lié.
J’ay si bien fait que je ne crois pas que la |
|
|
|
France ait
d’ami plus sage, plus sincère et plus solide. |
|
|
|
Comptez
là-dessus, Madame, quelques informations |
|
|
|
que vous
puissiez avoir du contraire. |
|
|
|
|
|
|
|
« Ce seigneur
est tout puissant tant ici qu’en Angle- |
|
|
|
terre, grand
homme d’état et très parfaitement hon- |
|
|
|
nête homme.
Il s’est entièrement ouvert à moi. Je |
|
|
|
|
|
|
|
relevé dans
la lettre de ce personnage une phrase qui nous |
|
|
|
parait pou
vraisemblable étant donné qu’il est le seul à faire |
|
|
|
cette
remarque : « On fait assaut à sa maison [du comte], |
|
|
|
comme on
ferait pour voir un animal miraculeux et de fait il |
|
|
|
est un homme
de société très agréable. » Ceci nous incite à |
|
|
|
faire des
réserves sur ses affirmations, d’autant plus que le |
|
|
|
comte
n’habitait l’auberge que pour dormir et passait sa jour- |
|
|
|
née chez ses
amis. |
|
|
|
|
|
|
|
128 |
|
|
|
lui parlai de
l’adorable marquise de Pompadour dans |
|
|
|
toute
l’abondance d’un cœur dont les sentiments pour |
|
|
|
vous, Madame,
vous sont connus depuis longtemps, |
|
|
|
et sont très
sûrement dignes de la bonté du cœur et |
|
|
|
de la beauté
de l’âme qui les a fait naître. Il en a été |
|
|
|
charmé qu’il
en est tout transporté, en un mot vous |
|
|
|
pouvez
compter sur lui comme sur moi-même. |
|
|
|
|
|
|
|
« Je crois
que le roi peut en attendre de grands ser- |
|
|
|
vices, vu sa
puissance, sa sincérité, sa droiture, etc. Si |
|
|
|
le roi pense
que mes liaisons avec ce seigneur puissent |
|
|
|
lui être de
quelque service, je ne m’épargnerai en rien |
|
|
|
mon zèle pour
son service et mon attachement volon- |
|
|
|
taire et
désintéressé pour sa personne sacrée doivent |
|
|
|
lui être
connus. |
|
|
|
|
|
|
|
« Vous
connaissez la fidélité que je vous ai vouée, |
|
|
|
Madame,
ordonnez et vous serez obéie. Vous pouvez |
|
|
|
donner la
paix à l’Europe sans les longueurs et les |
|
|
|
embarras d’un
congrès. Vos ordres me parviendront |
|
|
|
en toute
sûreté si vous les adressez chez M. le comte |
|
|
|
de Rhoon à La
Haye ou si vous le jugez plus à propos |
|
|
|
chez MM.
Thomas et Adrien Hope chez qui je loge à |
|
|
|
Amsterdam. |
|
|
|
|
|
|
|
« Ce que j’ai
l’honneur de vous écrire m’a paru si |
|
|
|
intéressant
que je me reprocherais très fort de gar- |
|
|
|
|
|
|
|
129 |
|
|
|
der le
silence vis-à-vis de vous, Madame, à qui je n’ai |
|
|
|
jamais caché
ni ne cacherai jamais rien. |
|
|
|
|
|
|
|
« Si vous
n’avez pas le temps de me faire réponse |
|
|
|
vous-même, je
vous supplie de me la faire faire par |
|
|
|
quelqu’un de
sûr et de confiance. Mais ne tardez pas |
|
|
|
un moment, je
vous en conjure pour tout l’attache- |
|
|
|
ment, pour
tout l’amour que vous avez pour le meil- |
|
|
|
leur et le
plus aimable des rois. |
|
|
|
|
|
|
|
« Je suis,
etc286. » |
|
|
|
|
|
|
|
Le comte de
Saint-Germain ajouta à sa lettre le |
|
|
|
post-scriptum
suivant : |
|
|
|
|
|
|
|
« Je vous
supplie, Madame, de vouloir bien vous |
|
|
|
intéresser au
jugement de la prise de l’Ackermann, |
|
|
|
la plus
injuste et la plus scandaleuse qu’on ait jamais |
|
|
|
faite sur mer
; j’y suis intéressé pour 50.000 écus, |
|
|
|
et M. Emery
et Cie de
Dunkerque ont la commission |
|
|
|
de se faire
restituer le vaisseau. Je vous en supplie |
|
|
|
encore une
fois de faire rendre justice au Conseil |
|
|
|
royal où
cette cause inique doit être bientôt rappor- |
|
|
|
tée. Il vous
plaira de vous souvenir que vous m’avez |
|
|
|
promis de ne
point souffrir qu’on nous fît injustice |
|
|
|
l’été dernier287. » |
|
|
|
|
|
|
|
En même
temps, le comte écrivit à M. de Choiseul, |
|
|
|
et lorsque M.
de Bentinck lui demanda de quelle façon |
|
|
|
le ministre
des Affaires étrangères recevrait les nou- |
|
|
|
velles, il
lui répondit d’un air assuré et souriant qu’il |
|
|
|
|
|
|
|
286 Aff. Etrang.
Hollande, 503, fo 215. Cette lettre n’est qu’une |
|
|
|
copie dans
les archives. |
|
|
|
|
|
|
|
287 Nous ignorons
quelle fut la suite du jugement. |
|
|
|
|
|
|
|
130 |
|
|
|
y aurait
bientôt des changements à Versailles, faisant |
|
|
|
comprendre à
M. de Bentinck qu’il n’était pas au pou- |
|
|
|
voir de M. de
Choiseul d’empêcher longtemps encore |
|
|
|
la paix de se
conclure288. |
|
|
|
|
|
|
|
Malheureusement
pour le comte de Saint-Germain, |
|
|
|
la lettre
qu’il envoya à Mme de Pompadour ne parvint |
|
|
|
pas à cette
dernière. Depuis le début de 1760, le duc de |
|
|
|
Choiseul
ayant été nommé par Louis XV surintendant |
|
|
|
des postes,
disposait du mystère infidèle de la poste289 ; |
|
|
|
aussi lorsque
la lettre du comte parvint à Paris, le duc |
|
|
|
s’en empara
tout de suite et envoya le message suivant |
|
|
|
à M. d’Affry
: |
|
|
|
|
|
|
|
« Versailles,
19 mars 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
« Je vous
envoie une lettre de M. de Saint-Germain |
|
|
|
à Mme la marquise de
Pompadour qui suffit seule pour |
|
|
|
faire
connaître l’absurdité du personnage ; c’est un |
|
|
|
aventurier de
premier ordre, qui de plus par ce que |
|
|
|
j’en ai vu
est fort bête. |
|
|
|
|
|
|
|
288 Arch. de Hollande.
Papiers de Bentinck, 11 mars 1760. |
|
|
|
D’après la
même source, lettre du 31 mars 1760, le comte de |
|
|
|
Saint-Germain
aurait dit à M. de Bentinck « qu’il possédait des |
|
|
|
lettres de M.
Yorke qui feront tomber M. de Choiseul dans un |
|
|
|
tricorne, que
tous les honnêtes gens en France étaient pour |
|
|
|
la paix, et
que seul M. de Choiseul voulait la continuation de |
|
|
|
la guerre. »
Nous sommes obligé, devant cette affirmation, de |
|
|
|
reconnaître
que le comte de Saint-Germain, n’était pas au cou- |
|
|
|
rant de la
politique internationale, et que sa disgrâce provient |
|
|
|
de sa propre
indiscrétion. |
|
|
|
|
|
|
|
289 « Le roi avait fait
communiquer à M. de Choiseul le secret |
|
|
|
de la poste,
c’est-à-dire l’extrait des lettres qu’on ouvrait et |
|
|
|
M. de
Choiseul en abusait. » Mme du Hausset, ouvr. cité, p. 35. |
|
|
|
|
|
|
|
131 |
|
|
|
« Je vous
prie, aussitôt ma lettre reçue de le faire |
|
|
|
venir chez
vous, et de lui dire de ma part que j’ignore |
|
|
|
de quel œil
les ministres du Roy chargés du départe- |
|
|
|
ment des
finances envisageront sa conduite ridicule |
|
|
|
en Hollande
relativement à cet objet mais que quant à |
|
|
|
moi, vous
avez ordre de le prévenir que si j’apprends |
|
|
|
que près ni
de loin, en petit ou en grand, il s’avise |
|
|
|
de se mêler
de politique, je l’assure que j’obtiendrai |
|
|
|
l’ordre du
roi pour qu’à sa rentrée en France, il soit |
|
|
|
mis le reste
de ses jours dans un cul de basse-fosse. |
|
|
|
|
|
|
|
« Vous lui
ajouterez qu’il peut être certain que ces |
|
|
|
dispositions
de ma part à son égard sont aussi sin- |
|
|
|
cères
qu’elles seront exécutées, s’il me met dans le |
|
|
|
cas de tenir
ma parole. |
|
|
|
|
|
|
|
« Après cette
déclaration vous le prierez de ne plus |
|
|
|
remettre les
pieds chez vous, et il ne sera pas mal que |
|
|
|
vous lassiez
publier et connaître à tous les ministres |
|
|
|
étrangers,
ainsi qu’aux banquiers d’Amsterdam le |
|
|
|
compliment
que vous avez été chargé de faire de cet |
|
|
|
aventurier
insupportable...290. » |
|
|
|
|
|
|
|
Avant que
cette lettre ne parvint à son destinataire |
|
|
|
à La Haye,
une scène s’y déroula entre M. Yorke et le |
|
|
|
comte de
Saint-Germain. Celui-ci n’ayant pas reçu de |
|
|
|
réponse du
ministre anglais, lui avait demandé une |
|
|
|
entrevue pour
la matinée du 23 mars 1760. M. Yorke |
|
|
|
montra au
comte la lettre qu’il venait de recevoir du |
|
|
|
ministre
d’État, Robert d’Arcy, Lord Holdemesse, |
|
|
|
|
|
|
|
290 Aff. étrang. Hollande, 503, fo 239. Copie, d’après les |
|
|
|
archives. |
|
|
|
|
|
|
|
132 |
|
|
|
dans laquelle
le roi Georges II émettait des doutes |
|
|
|
sur
l’authenticité de sa mission concernant la paix : |
|
|
|
« Sa Majesté
ne pense pas impossible que le comte de |
|
|
|
Saint-Germain
ait été réellement autorisé (peut-être |
|
|
|
même à la
connaissance de S. M. très chrétiennes) |
|
|
|
par quelques
personnes de poids au Conseil, de par- |
|
|
|
ler comme il
l’a fait, et si le but désiré est atteint, il |
|
|
|
importe peu
par quelle voie. Mais il ne doit pas y avoir |
|
|
|
d’autres
conversations entre un ministre accrédité du |
|
|
|
Roi et une
personne telle que le comte de Saint-Ger- |
|
|
|
main paraît
être. Ce que vous dites est officiel taudis |
|
|
|
que
Saint-Germain peut être désavoué sans cérémo- |
|
|
|
nie si la
cour de France le juge nécessaire, et, d’après |
|
|
|
ses propres
paroles, sa mission n’est pas seulement |
|
|
|
inconnue de
l’ambassadeur de France à La Haye, mais |
|
|
|
encore du
ministre des Affaires étrangères à Ver- |
|
|
|
sailles qui,
bien qu’il soit menacé du même sort que le |
|
|
|
cardinal de
Bernis, est encore le ministre apparent... |
|
|
|
C’est donc le
désir de Sa Majesté que vous infor- |
|
|
|
miez le comte
de Saint-Germain. vous ne pouvez |
|
|
|
vous
entretenir avec lui de sujets aussi intéressants à |
|
|
|
moins qu’il
ne vous fournisse quelque preuve authen- |
|
|
|
tique que S.
M. très chrétienne connaît et approuve sa |
|
|
|
mission291. » |
|
|
|
|
|
|
|
Comme le
comte de Saint-Germain ne pouvait |
|
|
|
montrer à
l’ambassadeur d’Angleterre aucune lettre |
|
|
|
de créance,
sauf les lettres de M. de Belle-Isle et le |
|
|
|
|
|
|
|
291 Ms. Brit. Mus. 6818, 28 mars 1860. |
|
|
|
|
|
|
|
133 |
|
|
|
blanc-seing
signé du roi Louis XV, ce qui n’était pas |
|
|
|
suffisant
pour l’accréditer, il fut obligé de se retirer. |
|
|
|
|
|
|
|
Le lendemain,
il vint chez M. d’Affry, accompa- |
|
|
|
gné de M. de
Kauderbach et du chevalier de Bruhl, |
|
|
|
et devait, en
leur compagnie, aller à Ryswick, chez |
|
|
|
le comte A.
Golowkin292,
chez qui M. d’Affry était lui- |
|
|
|
même invité à
souper. |
|
|
|
|
|
|
|
M. d’Affry
prit à part le comte de Saint-Germain et |
|
|
|
lui fit
connaître en termes mesurés les instructions |
|
|
|
de M. de
Choiseul. Le comte, un instant stupéfait, |
|
|
|
demanda à ses
amis de l’excuser auprès de M. Golow- |
|
|
|
kin et ayant
pris congé de M. d’Affry, il se rendit chez |
|
|
|
M. de
Bentinck. Là, chez son ami, le comte exhala son |
|
|
|
courroux, en
disant : « Ce pauvre d’Affry qui pense me |
|
|
|
terroriser
par ses menaces ! mais il s’adresse mal, car |
|
|
|
j’ai foulé
aux pieds tout à la fois l’éloge et le blâme, la |
|
|
|
crainte et
l’espérance. Moi qui n’ai pas d’autre objec- |
|
|
|
tif que de
suivre l’impulsion de mes bons sentiments |
|
|
|
envers
l’humanité et de lui faire autant de bien qu’il |
|
|
|
sera en mon
pouvoir. Le roi sait très bien que je ne |
|
|
|
crains ni
d’Affry ni M. de Choiseul293. » |
|
|
|
|
|
|
|
Ce ne fut
qu’une dizaine de jours après, le 5 avril |
|
|
|
1760, non
sans avoir été sollicité à plusieurs reprises |
|
|
|
par M.
d’Affry, que le comte accepta une entrevue. |
|
|
|
|
|
|
|
292 Le comte Alexandre
Golowkin était l’ambassadeur de Rus- |
|
|
|
sie en
Hollande, Son fils aîné Iwan, qui était son secrétaire, |
|
|
|
servit en
1758 l’espion du gouvernement français en Angle- |
|
|
|
terre. Cf.
Interm. des chercheurs et des curieux, no 286, 20 |
|
|
|
déc. 1902, p.
900. |
|
|
|
|
|
|
|
293 Arch. de Hollande.
Papiers de Bentick, 26 mars 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
134 |
|
|
|
L’ambassadeur
lui fit comprendre qu’il était tombé |
|
|
|
dans un
piège, un très fâcheux piège à la cour en |
|
|
|
écrivant au
sujet de M. de Bentinck294 à Mme de Pom- |
|
|
|
padour ; que
s’étant immiscé dans une transaction |
|
|
|
qui ne le
regardait pas, il doit avoir dorénavant, au |
|
|
|
nom du roi,
l’obligeance de s’occuper de ses propres |
|
|
|
affaires, et
que désormais sa porte lui sera fermée. |
|
|
|
|
|
|
|
Le comte de
Saint-Germain écouta M. d’Affry sans |
|
|
|
rien dire,
mais quand celui-ci eut terminé son réqui- |
|
|
|
sitoire, il
lui fit remarquer que, quant à ce qui lui |
|
|
|
était enjoint
« au nom du roi », on ne pouvait rien lui |
|
|
|
ordonner
n’étant pas sujet du roi de France. Il ajouta |
|
|
|
qu’il se
doutait bien « que M. de Choiseul avait écrit |
|
|
|
tout cela
d’après sa propre initiative et que le roi n’en |
|
|
|
savait rien,
mais que si on lui présentait un ordre écrit |
|
|
|
du roi, il y
croirait mais pas autrement295. » |
|
|
|
|
|
|
|
Un autre des
motifs qui avaient fait dicter à M. de |
|
|
|
Choiseul ses
dispositions agressives envers le comte |
|
|
|
était
plusieurs phrases soulignées dans une de ses |
|
|
|
dernières
lettres à Mme
de Pompadour, et que voici : |
|
|
|
« Je n’ai à
rendre compte de ma conduite qu’à Dieu |
|
|
|
|
|
|
|
294 À propos de M. de
Bentinck, M. d’Affry écrit à M. de Choi- |
|
|
|
seul. «
N’ayant pas eu de liaisons jusqu’à présent avec lui, il me |
|
|
|
paraissait
inutile de les commencer ; qu’il n’était pas un ami de |
|
|
|
la France, et
que s’il se rapprochait de nous ce n’était que pour |
|
|
|
renouveler
son crédit à La Haye et à Londres vers qui il tombait |
|
|
|
de plus en
plus. » Étant donné que le comte de Saint-Germain |
|
|
|
était intime
avec M. de Bentinck, les remarques de M. d’Affry |
|
|
|
ne firent que
doubler le ressentiment de M. de Choiseul pour |
|
|
|
le comte.
Aff. Etrang., Hollande, 503, fo 245. |
|
|
|
|
|
|
|
295 Arch. de Hollande,
Papiers de Bentinck, avril 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
135 |
|
|
|
et à mon
Souverain » et plus loin : « Depuis trente |
|
|
|
ans, je suis
membre de la noblesse et je suis connu |
|
|
|
pour n’avoir
jamais fréquenté des aventuriers ni des |
|
|
|
imposteurs ni
jamais reçu de coquins296. » |
|
|
|
|
|
|
|
Durant ce
temps, à Versailles, le duc de Choiseul |
|
|
|
agissait
devant le Conseil royal. Après avoir produit la |
|
|
|
dépêche de M.
d’Affry, « il lut ensuite la réponse qu’il |
|
|
|
lui avait
faite, puis, promenant ses regards avec fierté |
|
|
|
autour de ses
collègues, et fixant alternativement le |
|
|
|
roi et M. de
Belle-Isle297,
il ajouta : « Si je ne me suis |
|
|
|
pas donné le
temps de prendre les ordres du roi, c’est |
|
|
|
parce que je
suis persuadé que personne ici ne serait |
|
|
|
assez osé de
vouloir négocier une paix à l’insu du |
|
|
|
ministre des
Affaires étrangères de Votre Majesté298. » |
|
|
|
|
|
|
|
296 Arch. de Hollande,
Papiers de Bentinck, avril 1760. D’après |
|
|
|
Ms. Brit.
Mus. 6818, 28 mars 1760, le comte de Saint-Germain |
|
|
|
aurait envoyé
à Paris un de ses serviteurs avec trois lettres : |
|
|
|
une pour le
maréchal de Belle-Isle, l’autre pour madame de |
|
|
|
Pompadour, et
la troisième pour le comte de Clermont, un de |
|
|
|
ses amis
intimes. |
|
|
|
|
|
|
|
297 D’après M. d’Affry
et sur sa demande, ses dépêches furent |
|
|
|
communiquées
à M. de Belle-Isle « afin qu’il cesse sa corres- |
|
|
|
pondance avec
un homme dont la conduite est désavouée ». |
|
|
|
Aff. étrang.,
Hollande, 503, fo
306. D’Affry retourna même à |
|
|
|
M. de
Belle-Isle deux lettres que celui-ci avaient écrites pour le |
|
|
|
comte de
Saint-Germain. Idem. |
|
|
|
|
|
|
|
298 Dans l’ouvrage de
P. Calmette, ouvr.
cité, p. 78, nous avons |
|
|
|
relevé le
passage suivant, dans une lettre de M. Choiseul à Vol- |
|
|
|
taire, datée
du 8 mai 1760. « Il y a quelque temps que, par les |
|
|
|
intrigues des
ennemis, ou d’après leur caractère assez soupçon- |
|
|
|
neux, les
ambassadeurs de Vienne, et de Russie, qui sont ici me |
|
|
|
marquèrent
des soupçons ; d’abord j’y fis peu d’attention ; ils |
|
|
|
revinrent à
la charge, et alors séparément et ensemble je leur |
|
|
|
|
|
|
|
136 |
|
|
|
Il savait que
ce prince avait établi et toujours sou- |
|
|
|
tenu le
principe que le ministre d’un département ne |
|
|
|
devait pas se
mêler des affaires d’un autre. Il arriva |
|
|
|
de là ce
qu’il avait prévu : le roi baissa les yeux comme |
|
|
|
un coupable,
le maréchal n’osa pas dire le mot, et la |
|
|
|
demande de M.
de Choiseul fut approuvée »299. |
|
|
|
|
|
|
|
Fort de son
droit, le duc de Choiseul, fit parvenir |
|
|
|
aussitôt à M.
d’Affry les instructions suivantes : |
|
|
|
|
|
|
|
« À
Versailles, 11 avril 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
« ... Le roi
m’a ordonné de vous mander expressé- |
|
|
|
ment, non
seulement de décrier avec les termes les |
|
|
|
plus
humiliants et les plus expressifs par vos propos |
|
|
|
et par vos
actions ce prétendu comte de Saint-Ger- |
|
|
|
main,
vis-à-vis de tous ceux que vous pourrez soup- |
|
|
|
|
|
|
|
déclarai que
S. M. lorsqu’elle voudrait faire la paix, ne la leur |
|
|
|
cacherait
pas, parce qu’elle savait prendre un parti pour le bien |
|
|
|
de ses
affaires hautement, mais qu’il était au-dessous d’elle de |
|
|
|
tromper ; en
conséquence le Roi a communiqué à ses alliés qu’il |
|
|
|
avait une
espèce de négociation de commencée entre l’Angle- |
|
|
|
terre et la
France qui pouvait devoir entraîner le rétablisse- |
|
|
|
ment de la
paix générale ; cette négociation est rompue, mais la |
|
|
|
démarche de
la part du roi n’en est pas moins certaine. » Nous |
|
|
|
avons ici la
preuve que la mission du comte de Saint-Germain |
|
|
|
relevait eu
quelque sorte du « secret du roi ». |
|
|
|
|
|
|
|
299 Baron de Gleichen, ouvr. cité, p. 131. Ce récit n’a pu venir à |
|
|
|
M. de Gleichen
que du duc de Choiseul dont il se vante d’avoir |
|
|
|
été l’ami ; à
moins qu’il soit de pure invention, ce qui serait |
|
|
|
après tout
fort possible. Toutefois en ce qui concerne l’attitude |
|
|
|
de Louis XV,
la description est exacte ; témoin ce que dit l’abbé |
|
|
|
de Véri dans
son Journal, t. I, p. 242 : « Louis XV sentit assez |
|
|
|
la justesse
de ces réflexions pour rougir, baisser la tête et se |
|
|
|
taire. C’est
son geste quand on le fait s’apercevoir qu’il a tort. » |
|
|
|
|
|
|
|
137 |
|
|
|
çonner de
connaître ce fripon dans l’étendue de la |
|
|
|
domination
des Provinces-Unies, mais S. M. dési- |
|
|
|
rerait de
plus que vous puissiez obtenir de l’amitié |
|
|
|
des
États-Généraux pour elle, qu’ils fissent arrêter |
|
|
|
cet homme300, pour qu’il
puisse être transporté en |
|
|
|
France, et
puni suivant la grièveté de sa faute. Il est |
|
|
|
de l’intérêt
de tous les souverains et de la loi publique |
|
|
|
que l’on
réprime l’insolence d’une espèce pareille, |
|
|
|
qui s’avise
de traiter sans mission les affaires d’une |
|
|
|
puissance
telle que la France. Je crois que le cas dont |
|
|
|
il s’agit
doit être regardé comme étant au moins |
|
|
|
aussi
privilégié que ceux qui exigent ordinairement |
|
|
|
la
réclamation et l’extradition d’un malfaiteur, ainsi |
|
|
|
le roi a lieu
d’espérer que sur votre exposition et en |
|
|
|
conséquence
de [quoi]301 le
sieur Saint-Germain sera |
|
|
|
arrêté et
conduit sous bonne escorte jusqu’à Lille302. » |
|
|
|
|
|
|
|
M. d’Affry
suivit aussitôt les instructions de |
|
|
|
|
|
|
|
300 M. de Lamberg, qui ne connait pas le comte de Saint-Ger- |
|
|
|
main, a
imaginé une scène qu’il fait raconter par le comte |
|
|
|
lui-même : «
Lorsque j’y fus arrêté j’insistais avant de donner |
|
|
|
mon épée, que
l’on me fit parler à M. d’Affry, ambassadeur |
|
|
|
de France
près de leurs H. P., j’y fus conduit dans ma voiture |
|
|
|
avec
l’officier chargé de veiller sur ma personne ; M. l’ambas- |
|
|
|
sadeur me
reçut comme s’il était surpris de me voir, mais bien- |
|
|
|
tôt après il
dit au garde de se retirer, d’avertir surtout MM. les |
|
|
|
Bourguemaîtres,
que jouissant de la protection du roi, j’étais |
|
|
|
sous la
sauvegarde de S. M. aussi longtemps que je resterais en |
|
|
|
Hollande. »
Mémorial d’un mondain, p. 83. |
|
|
|
|
|
|
|
301 Barré dans le
texte. |
|
|
|
|
|
|
|
302 Aff. étrang.,
Hollande, 503, fo 320. M. d’Affry reçut le mes- |
|
|
|
sage express
par l’entremise de l’ambassadeur de France à |
|
|
|
Bruxelles, M.
Martin de Lesseps. |
|
|
|
|
|
|
|
138 |
|
|
|
M. Choiseul.
Il prévint les principaux ministres de la |
|
|
|
République et
les quelques ministres étrangers qui se |
|
|
|
trouvaient à
La Haye, ainsi que M. Astier, à Amster- |
|
|
|
dam, en
priant ce dernier d’avertir les banquiers de |
|
|
|
cette ville
d’être en garde contre les propositions du |
|
|
|
comte de
Saint-Germain303. |
|
|
|
|
|
|
|
Le lendemain,
une scène se jouait à Ryswick, chez |
|
|
|
le comte
Golowkin. Le duc de Brunswick s’y trouvait |
|
|
|
ainsi que M.
d’Affry et un autre personnage, M. de |
|
|
|
Reischach304. Le duc fit
connaître à notre ambassa- |
|
|
|
deur que le
comte de Saint-Germain avait fait tout |
|
|
|
son possible
pour le voir mais qu’il s’y était refusé ; |
|
|
|
toutefois il
avait appris que le comte avait vu d’autres |
|
|
|
personnes,
mais qu’il ne pouvait donner aucun nom. |
|
|
|
M. d’Affry
fit alors savoir au duc de Brunswick que |
|
|
|
le comte
était un homme désavoué par M. de Choi- |
|
|
|
seul et qu’on
ne devait ajouter ni foi ni confiance à |
|
|
|
tout ce qu’il
s’aviserait de dire sur les affaires de |
|
|
|
France ou sur
le gouvernement. Il demanda au duc de |
|
|
|
faire la même
déclaration à l’ambassadeur d’Angle- |
|
|
|
terre, M.
Yorke, tandis que lui-même l’avait déjà fait |
|
|
|
auprès du
Grand-pensionnaire, M. Stein, et du Gref- |
|
|
|
|
|
|
|
303 On lit dans
Personnages énigmatiques de F. Bulau, t. 1er, |
|
|
|
p. 343, « que
les États-Généraux se montrèrent disposés à |
|
|
|
être
agréables au roi — complaisance qu’ils surent faire son- |
|
|
|
ner bien haut
— et envoyèrent un nombreux détachement de |
|
|
|
force armée
arrêter le comte de Saint-Germain ». Affirmation |
|
|
|
inexacte sans
plus. |
|
|
|
|
|
|
|
304 Le baron Thadée de Reischach demeure, jusqu’en
octobre |
|
|
|
1782,
ministre plénipotentiaire de l’Autriche à La Haye. |
|
|
|
|
|
|
|
139 |
|
|
|
fier, M.
Henri Fagel305.
Le duc de Brunswick répon- |
|
|
|
dit qu’il
irait au devant de tout ce qui pourrait aider |
|
|
|
M. d’Affry,
mais qu’il désirait ne pas être mêlé à cette |
|
|
|
affaire306. |
|
|
|
|
|
|
|
Rentré chez
lui, à La Haye, M. d’Affry écrivit à |
|
|
|
M. Astier les
lignes que voici : |
|
|
|
|
|
|
|
« La Haye, 17
avril 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
« Le Prétendu
comte de Saint-Germain, Monsieur, |
|
|
|
que vous avez
vu à Amsterdam, et qui de là est venu |
|
|
|
ici, est un
aventurier et un imposteur. Il a eu l’impu- |
|
|
|
dence de
s’insérer sans aucun aveu ni mission de sa |
|
|
|
Majesté ni de
son ministre, à travailler et à négocier |
|
|
|
sur les
intérêts les plus essentiels de sa Majesté et du |
|
|
|
royaume. Sur
le compte que j’en ai rendu au roi, et |
|
|
|
sur les
lettres qu’il a écrites lui-même à Versailles, sa |
|
|
|
Majesté m’a
fait donner l’ordre de réclamer cet impos- |
|
|
|
teur effronté
et d’en demander l’extradition pour |
|
|
|
nous être
remis. Comme il est parti subitement hier |
|
|
|
de La Haye et
qu’il est peut-être à Amsterdam, je vous |
|
|
|
autorise dans
ce cas et vous commande au nom de sa |
|
|
|
Majesté de
demander sur-le-champ à la magistrature |
|
|
|
d’Amsterdam
l’arrêt de cet imposteur et sa détention |
|
|
|
sous bonne et
sûre garde jusqu’à ce que nous soyons |
|
|
|
convenus de
la manière de le traduire jusqu’aux Pays- |
|
|
|
|
|
|
|
305 Chaque grande ville
des Provinces-Unies à sous le nom |
|
|
|
de
pensionnaire une sorte de ministre qui est son conseiller ; |
|
|
|
celui de La
Haye prend le titre de Grand-pensionnaire. Quant |
|
|
|
au Greffier,
c’est en quelque sorte le ministre des Affaires |
|
|
|
étrangères. |
|
|
|
|
|
|
|
306 Aff. Etrang.,
Hollande, 503, fo 357. |
|
|
|
|
|
|
|
140 |
|
|
|
Bas
autrichiens pour être ensuite conduit jusqu’à la |
|
|
|
première de
nos places307.
» |
|
|
|
|
|
|
|
Les allées et
venues ainsi que les mesures prises |
|
|
|
par M.
d’Affry, lesquelles avaient duré quelques jours, |
|
|
|
permirent au
comte de Saint-Germain de déjouer le |
|
|
|
complot de M.
de Choiseul, et cela grâce au seul ami, |
|
|
|
resté fidèle,
M. de Bentinck van Rhoon. |
|
|
|
|
|
|
|
Aussitôt
qu’il eut connaissance de la dépêche de |
|
|
|
M. de
Choiseul, M. de Bentinck se rendit, chez le |
|
|
|
Grand-pensionnaire,
M. Stein et lui exposa « que le |
|
|
|
comte était
venu en Hollande comme tous les autres |
|
|
|
étrangers,
confiant en la protection de la loi, et sûr de |
|
|
|
sa sécurité
comme faisant partie de la chose publique. |
|
|
|
Qu’on ne
pouvait donc accuser le comte d’un crime |
|
|
|
de nature tel
qu’aucun souverain dût lui retirer sa |
|
|
|
protection,
et que le droit d’asile était tenu comme |
|
|
|
très sacré en
Hollande. » Le Grand-pensionnaire en |
|
|
|
convint mais
parut très inquiet quant aux sentiments |
|
|
|
réels de M.
de Choiseul308. |
|
|
|
|
|
|
|
M. de
Bentinck se rendit ensuite chez le Greffier, |
|
|
|
M. Fagel,
accompagné par M. Stein. Le Greffier lui fit |
|
|
|
connaître
qu’il avait conseillé à M. d’Affry de s’adres- |
|
|
|
ser
directement aux États-Généraux ; toutefois il ne |
|
|
|
pensait pas
que ces Messieurs livreraient le comte de |
|
|
|
Saint-Germain309. |
|
|
|
|
|
|
|
307 Aff. Etrang.,
Hollande, 503, fo 354. Ce document n’est |
|
|
|
qu’une copie. |
|
|
|
|
|
|
|
308 Arch. de Hollande,
Papiers de Bentinck, 15 avril 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
309 Arch. de Hollande,
Papiers de Bentinck, 15 avril 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
A AA |
|
|
|
D’autre part,
M. de Bentinck ayant appris, de |
|
|
|
source sûre,
que M. d’Affry et le ministre d’Angle- |
|
|
|
terre, M.
Yorke, s’étaient rencontrés à deux reprises |
|
|
|
résolut de
voir ce dernier, bien que prévenu. En effet, |
|
|
|
au seul nom
du comte, M. Yorke prit un air hautain |
|
|
|
et sévère, et
d’une voix rude répondit « qu’il serait |
|
|
|
très heureux
de voir le comte remis aux mains de |
|
|
|
la police ».
Bien qu’un peu étonné de cette sortie de |
|
|
|
la part d’un
ancien ami du comte de Saint-Germain |
|
|
|
et qui
l’avait même encouragé dans ses démarches, |
|
|
|
M. de
Bentinck répéta à M. Yorke, tout en prenant |
|
|
|
soin de ne
pas l’offenser, sa manière de voir quant à |
|
|
|
l’arrestation
du comte. M. Yorke persista en disant |
|
|
|
qu’il s’en
lavait les mains et refusa de lui remettre un |
|
|
|
passeport
pour le comte. M. de Bentinck insistant, |
|
|
|
M. Yorke
finit par lui dire que si lui-même demandait |
|
|
|
ce passeport
à titre personnel, il ne le refuserait pas à |
|
|
|
cause de la
situation officielle de M. de Bentinck van |
|
|
|
Rhoon.
Toutefois, celui-ci fit remarquer à M. Yorke |
|
|
|
que M.
d’Affry pourrait leur causer une foule d’em- |
|
|
|
barras
lesquels seraient écartés s’il était donné au |
|
|
|
comte de
Saint-Germain le moyen de quitter la Hol- |
|
|
|
lande. Devant
cet argument310,
M. Yorke appela son |
|
|
|
|
|
|
|
310 Le comte de Saint-Germain possédait des lettres que |
|
|
|
M. Yorke lui
avaient écrites, il fallut donc céder. (Arch. de |
|
|
|
Hollande,
Papiers de Bentinck, 31 mars 1760),car ces lettres |
|
|
|
étaient
compromettantes pour M. Yorke. Ainsi dans l’une, il |
|
|
|
exprimait au
comte « le désir de lui parler et lui signalait ce |
|
|
|
qu’il devait
faire de façon à ce qu’ils puissent s’entretenir sans |
|
|
|
risque d’être
désavoués dans leurs situations publiques ou |
|
|
|
privées... » |
|
|
|
|
|
|
|
142 |
|
|
|
secrétaire et
lui ordonna d’apporter une feuille de |
|
|
|
passeport. |
|
|
|
|
|
|
|
Il la signa
et la remit en blanc à M. de Bentinck. |
|
|
|
Ainsi, le
comte pouvait quitter la Hollande sous son |
|
|
|
nom ou sous
tel autre qu’il lui plairait de prendre et |
|
|
|
éviter ainsi
les poursuites de M. de Choiseul311. |
|
|
|
|
|
|
|
M. de
Bentinck emporta le passeport non sans être |
|
|
|
choqué et
révolté par la scène précédente, et se ren- |
|
|
|
dit chez le
comte de Saint-Germain, lequel habitait |
|
|
|
depuis peu à
l’auberge : « Le maréchal de Turenne ». |
|
|
|
Ce dernier
parut extrêmement surpris, « non pas tant |
|
|
|
que M. de
Choiseul ait donné l’ordre de l’arrêter, mais |
|
|
|
que M.
d’Affry l’exécutât 312. » Le comte fit à son ami |
|
|
|
plusieurs
objections, ce dernier les éluda en disant |
|
|
|
que le temps
pressait, qu’il devait partir immédiate- |
|
|
|
ment, sa
sécurité en dépendant ; cependant, il avait |
|
|
|
jusqu’au
lendemain pour se préparer, puisqu’au cas |
|
|
|
même où M.
d’Affry aurait eu l’intention de prendre |
|
|
|
des mesures,
il ne pouvait le faire avant dix heures du |
|
|
|
matin. |
|
|
|
|
|
|
|
Le comte de
Saint-Germain se rendant compte de |
|
|
|
la gravité
des circonstances alla aussitôt chez le juif |
|
|
|
Boas auquel
il emprunta deux mille florins sur garan- |
|
|
|
tie de trois
opales313, et
revint trouver M. de Bentinck. |
|
|
|
|
|
|
|
311 M. d’Affry ayant
demandé à M. Yorke pourquoi il avait agit |
|
|
|
ainsi,
celui-ci lui répondit : « qu’il ne devait pas douter que ce |
|
|
|
fut par envie
de nous obliger ». Aff. Etrang., Hollande, 304, |
|
|
|
cot. 47. |
|
|
|
|
|
|
|
312 Arch. de Hollande.
Papiers de Bentinck, 15 avril 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
313 Aff. étrang.,
Hollande, 503, fo 357. |
|
|
|
|
|
|
|
143 |
|
|
|
Tous deux
discutèrent des moyens de sortir de Hol- |
|
|
|
lande et de
l’endroit où le comte pouvait se rendre. Ils |
|
|
|
convinrent de
l’Angleterre. |
|
|
|
|
|
|
|
Justement un
bateau partait le lendemain d’Helle- |
|
|
|
voetsluis314 pour Harwich.
Comme aucun des domes- |
|
|
|
tiques du
comte ne connaissaient ni la langue hollan- |
|
|
|
daise, ni les
routes à suivre pour se rendre au quai |
|
|
|
d’embarquement,
M. de Bentinck lui offrit l’un des |
|
|
|
siens315, et afin de
dépister les curieux, loua à Leyde |
|
|
|
un carrosse à
quatre chevaux. À cinq heures du matin |
|
|
|
le véhicule
stationna devant l’auberge du comte ; |
|
|
|
celui-ci «
dans sa hâte à partir oublia son épée et |
|
|
|
son
ceinturon, un paquet de cœpeaux (sic) d’argent |
|
|
|
ou d’étain et
deux bouteilles de liqueurs qu’on ne |
|
|
|
connaît pas316. » |
|
|
|
|
|
|
|
En arrivant à
Hellevoetsluis, le comte de Saint-Ger- |
|
|
|
main n’osant
se loger dans la ville, monta immédiate- |
|
|
|
ment à bord
du bateau-poste « Le Prince d’Orange » |
|
|
|
et y resta
jusqu’au moment du départ. On était le 16 |
|
|
|
avril 1760317. |
|
|
|
|
|
|
|
314 Le port
d’embarquement d’Hellevoetsluis est situé sur la |
|
|
|
Meuse, au sud
de l’île de Voorne, sur le Haring-Vlict. |
|
|
|
|
|
|
|
315 Arch. de Hollande.
Papiers de Bentinck, 16 avril 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
316 Aff. étrang.,
Hollande, 503, fo 357. D’après les guides de |
|
|
|
l’époque, le
comte de Saint-Germain pris la route de Delft, |
|
|
|
laissa son
carrosse à Rotterdam et s’embarqua pour Helle- |
|
|
|
voetsluis à
bord d’un navire qu’on nomme « la chaloupe de |
|
|
|
passage ». |
|
|
|
|
|
|
|
317 Aff. étrang.,
Hollande, 503, fo 383. |
|
|
|
|
|
|
|
144 |
|
|
|
Le 2 mai
suivant, M. d’Affry remit au comte de |
|
|
|
Steiden-Hompesh
le mémoire suivant : |
|
|
|
|
|
|
|
« Hauts et
Puissants Seigneurs, |
|
|
|
|
|
|
|
« Un inconnu
qui se fait appeler le comte de Saint- |
|
|
|
Germain et
auquel le roi, mon maître, a bien voulu |
|
|
|
accorder un
asyle dans le royaume, en a abusé. |
|
|
|
|
|
|
|
« Il s’est
rendu il y a quelque temps en Hollande et |
|
|
|
depuis peu à
La Haye, où sans aveu de la part de sa |
|
|
|
Majesté ni de
son ministre, et sans aucune mission, |
|
|
|
cet impudent
s’est avisé de débiter qu’il était autorisé |
|
|
|
à traiter des
affaires de sa Majesté. |
|
|
|
|
|
|
|
« Le roi, mon
maître, m’ordonne expressément d’en |
|
|
|
faire part à
vos Hautes Puissances et publiquement, |
|
|
|
pour que
personne dans l’étendue de leur domination |
|
|
|
ne soit
trompé par cet imposteur. |
|
|
|
|
|
|
|
« S. M.
m’ordonne de plus, de réclamer cet aven- |
|
|
|
|
|
|
|
145 |
|
|
|
LE LUMIE DE
SAINI-GERMAIN |
|
|
|
|
|
|
|
turier comme
un homme sans aveu, qui a abusé au |
|
|
|
premier chef
de l’asyle, qu’on lui avait accordé, en |
|
|
|
s’ingérant à
parler du gouvernement du royaume, |
|
|
|
avec autant
d’indécence que d’ignorance, et en débi- |
|
|
|
tant
faussement et témérairement qu’il était autorisé |
|
|
|
à traiter des
intérêts les plus essentiels du roi, mon |
|
|
|
maître. |
|
|
|
|
|
|
|
« S. M. ne
doute pas que vos H. P. ne lui rendent le |
|
|
|
service
qu’elle a droit d’attendre de leur amitié, et de |
|
|
|
leur équité,
et qu’elles n’ordonnent que le prétendu |
|
|
|
comte de
Saint-Germain soit arrêté et traduit sous |
|
|
|
bonne escorte
à Anvers pour être conduit de là en |
|
|
|
France318. » |
|
|
|
|
|
|
|
Ce mémoire
fut pris ad referendum par toutes les |
|
|
|
Provinces-Unies,
étant donné que le comte n’étant |
|
|
|
plus dans la
République, il suffisait que chaque Pro- |
|
|
|
vince fut
instruite de la demande du roi de France, |
|
|
|
dans le cas
où celui-là reparaîtrait319. « Ayant déli- |
|
|
|
béré, MM. les
députés des Provinces respectives ont |
|
|
|
pris copie du
susdit-mémoire pour y être commu- |
|
|
|
niqué plus
amplement. Il est convenu que le susdit- |
|
|
|
mémoire sera
remis à MM. Pieck van Soelen et autres |
|
|
|
députés des
affaires étrangères afin d’être examiné et |
|
|
|
en faire un
rapport en vue du conseil réuni320. » |
|
|
|
|
|
|
|
Comme il
fallait s’y attendre, l’affaire fut classée. |
|
|
|
|
|
|
|
318 Aff.étrang.,
Hollande, 304, cot. 8. |
|
|
|
|
|
|
|
319 Aff. étrang.,
Hollande, 304, cot. 8. |
|
|
|
|
|
|
|
320 Arch. de Hollande.
Papiers de Bentinck, ff. 100-101, texte |
|
|
|
français. |
|
|
|
|
|
|
|
146 |
|
|
|
M. d’Affry
partit en congé pour Paris321, et M. de |
|
|
|
Bentinck van
Rhoon put dire à son entourage : « Si |
|
|
|
le comte de
Saint-Germain revenait à La Haye, je le |
|
|
|
verrais à
nouveau, à moins que les États de Hollande |
|
|
|
ne me
l’interdisent, ou bien que je sois convaincu |
|
|
|
que le comte
ne soit pas digne d’être admis dans ma |
|
|
|
maison322. » |
|
|
|
|
|
|
|
Le comte
était parti si précipitamment de La Haye |
|
|
|
|
|
|
|
321 Dans une
conversation particulière que M. de Bentinck eut, |
|
|
|
après le
départ du comte de Saint-Germain, avec M. d’Affry, |
|
|
|
celui-ci
convint « que le comte était décidément un homme |
|
|
|
très
remarquable malgré toutes sortes d’histoires extraordi- |
|
|
|
naires qui
ont circulé sur son compte, histoires plus absurdes |
|
|
|
les unes que
les autres, sans que cependant, soit à Londres ou à |
|
|
|
Paris, la
moindre imputation malveillante se soit élevée contre |
|
|
|
lui. » Arch.
de Hollande. Papiers de Bentinck, 18 avril 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
322 M. de Bentinck
avait raison en disant qu’il conservait |
|
|
|
toute son
estime au comte de Saint-Germain. Toute la res- |
|
|
|
ponsabilité
de l’aventure aurait dû retomber sur M. de Belle- |
|
|
|
Isle. Lorsque
ce dernier envoya le comte à La Haye, il ignorait |
|
|
|
qu’une
convention secrète avait été engagée entre l’Angleterre |
|
|
|
et la Prusse
à la date du 9 novembre l759, par laquelle les deux |
|
|
|
alliés
convenaient « de ne pas conclure de paix, de trêve ou de |
|
|
|
neutralité,
ou quelqu’autre convention ou accord qu’il soit, |
|
|
|
avec les
puissances qui ont pris part à la présente guerre, que |
|
|
|
de concert et
du consentement mutuel, et en s’y comprenant |
|
|
|
l’un l’autre
expressément. » Cf. Mercure Historique et poli- |
|
|
|
tique des
Pays-Bas. Bruxelles, no 6, février 1760, pp. 19-21. Et |
|
|
|
quand cette
convention fut dénoncée en février 1760, il était |
|
|
|
trop tard
pour faire revenir le comte de Saint-Germain, et ce |
|
|
|
fut lui qui
subit les conséquences malheureuses de ce faux- |
|
|
|
pas.
Toutefois ce dernier n’ignorait pas que sa mission devait |
|
|
|
rester
secrète et que si elle venait à être connue, il serait désa- |
|
|
|
voué
hautement et même compromis. |
|
|
|
|
|
|
|
147 |
|
|
|
qu’il n’avait
pu prévenir aucun de ses amis d’Ams- |
|
|
|
terdam, et
c’est ainsi que l’un d’eux lui écrivait : « Si |
|
|
|
la foudre
m’avait frappé, je n’aurais pas pu être plus |
|
|
|
abasourdi que
je ne l’ai été quand j’ai su que vous en |
|
|
|
étiez parti.
Je vais jouer mon dernier atout et faire |
|
|
|
tous les
efforts possibles dans l’espoir d’être à même |
|
|
|
de vous
présenter mes respects en personne, car je |
|
|
|
sais bien,
Monsieur, que vous êtes le plus grand gen- |
|
|
|
tilhomme qui
soit. Je suis seulement peiné que des |
|
|
|
gens de rien
osent vous causer des soucis ; on dit que |
|
|
|
l’or et les
intrigues de toutes sortes sont mis en jeu |
|
|
|
pour entraver
vos efforts pacifiques. Quant à présent, |
|
|
|
je puis
respirer un peu, car on m’assure que M. d’Affry |
|
|
|
est parti
soudainement, jeudi dernier, pour se rendre |
|
|
|
à sa cour, et
j’en conclus, et espère qu’il recevra ce |
|
|
|
qu’il mérite
pour avoir manqué à ce qui vous est dû. |
|
|
|
Je le tiens
pour être cause de votre longue absence |
|
|
|
et, par
suite, de mon chagrin. Si vous pensez que le |
|
|
|
puisse, vous
être utile, comptez sur ma fidélité : je ne |
|
|
|
|
|
|
|
148 |
|
|
|
possède que
mon bras et mon sang : je les mets joyeu- |
|
|
|
sement à
voire disposition ». Le Comte de La Watu323. |
|
|
|
|
|
|
|
En somme
toute cette affaire pouvait passer pour |
|
|
|
ce qui
s’appelle en langage diplomatique « faire des |
|
|
|
sondages »,
puisque le comte de Saint-Germain n’était |
|
|
|
en aucune
façon autorisé ni à conclure ni à négocier |
|
|
|
un accord
quelconque. |
|
|
|
|
|
|
|
323 Bureau de l’Enregistrement anglais, 27 avril 1760. Cf. |
|
|
|
I. Cooper Oakley, ouvr. cité, p. 268.
Extrait. Le comte de Saint- |
|
|
|
Germain étant
en Angleterre lorsque cette lettre parvint à La |
|
|
|
Haye ignora
sans doute toujours les dispositions un peu trop |
|
|
|
belliqueuses
de son admirateur. |
|
|
|
|
|
|
|
149 |
|
|
|
Aventure en
Angleterre |
|
|
|
|
|
|
|
Venant
d’Hellevoetsluis par le « paquet-boot »324, |
|
|
|
le comte de
Saint-Germain toucha terre à Harwich, |
|
|
|
petit port
anglais situé sur la rive gauche de la large |
|
|
|
embouchure de
la Stour, dans le comté d’Essex. Après |
|
|
|
quelques
jours de repos, il prit place dans une des voi- |
|
|
|
tures à six
chevaux, appelées « machines volantes »», |
|
|
|
qui faisaient
en un peu plus d’un jour les vingt-huit |
|
|
|
lieues qui
séparent Harwich de Londres. |
|
|
|
|
|
|
|
Le comte
arriva dans la capitale anglaise entre le |
|
|
|
26 et le 27
avril 17 6 0 325,
hors d’atteinte, il est vrai, |
|
|
|
de l’acte de
force du duc de Choiseul, mais non pas |
|
|
|
au terme de
ses aventures. La Chancellerie de l’Em- |
|
|
|
pire crut
tout d’abord qu’on l’avait laissé partir de |
|
|
|
La Haye afin
de lui donner un prétexte de se rendre |
|
|
|
à Londres326. Toutefois «
comme il est évident qu’il |
|
|
|
n’était pas
autorisé par la section du ministre français |
|
|
|
|
|
|
|
324 Le bateau faisant
le service entre Harwich et Hellevoetsluis |
|
|
|
s’appelle «
Le Prince d’Orange » ; capitaines : Isaac Cron et |
|
|
|
Hunter. Aff.
étrang., Hollande, 505, fo 133. |
|
|
|
|
|
|
|
325 Aff. Etrang.,
Hollande, 505, fo 17. |
|
|
|
|
|
|
|
326 Casanova dans ses Mémoires, t. V,
p. 80, écrit : « Le duc de |
|
|
|
Choiseul
avait fait semblant de disgracier Saint-Germain en |
|
|
|
France pour
l’avoir à Londres en qualité d’espion ; mais lord |
|
|
|
Halifax n’en
fut pas la dupe, il trouva même la ruse grossière. » |
|
|
|
D’après T. P.
Barnum, ouvr. cité, p. 366 : « M. de Choiseul avait |
|
|
|
écrit à M.
Pitt en le priant de faire arrêter ce personnage qui |
|
|
|
n’était autre
qu’un espion russe. Mais Saint-Germain prévenu |
|
|
|
|
|
|
|
150 |
|
|
|
[M. de
Choiseul] au nom duquel il prétend parler327, |
|
|
|
et que son
séjour ici ne pouvait être d’aucune utilité |
|
|
|
et pouvait
entraîner des conséquences désagréables |
|
|
|
—on parlait
de tractations secrètes — il fut jugé préfé- |
|
|
|
rable de se
saisir de sa personne dès son arrivée 328. » |
|
|
|
C’est ainsi
qu’à sa descente de voiture, le comte fut |
|
|
|
prié par un
messager d’État, sur l’ordre du secrétaire |
|
|
|
d’État au
ministère des Affaires étrangères, William |
|
|
|
Pitt, de se
tenir à la disposition du gouvernement. Ce |
|
|
|
fut dans son
appartement qu’il fut interrogé par un |
|
|
|
commis au
ministère. Cet entretien n’apporta rien |
|
|
|
qui puisse
être interprété contre lui sauf « que sa |
|
|
|
conduite et
son langage sont étudiés et comportent |
|
|
|
un mélange
étrange qu’il est malaisé de définir »329. |
|
|
|
Bien que le
rapport fût favorable, le ministre jugea |
|
|
|
préférable de
ne pas laisser le comte séjourner ni à |
|
|
|
Londres ni en
Angleterre et l’invita à quitter le terri- |
|
|
|
toire dans
les plus brefs délais330. |
|
|
|
|
|
|
|
à temps par
les esprits qu’il avait à son service, s’échappa sur |
|
|
|
le continent.
» |
|
|
|
|
|
|
|
327 Le comte de
Saint-Germain n’est jamais venu en Hollande |
|
|
|
pour négocier
la paix mais simplement tâcher de renouer |
|
|
|
les
pourparlers interrompus par l’intransigeance de M. de |
|
|
|
Choiseul. |
|
|
|
|
|
|
|
328 Mitchell Papers, 6
mai 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
329 Mitchell Papers, 6
mai 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
330 On lit dans les
Mémoires de Casanova,
t.V, p. 77 : « Le mes- |
|
|
|
sager d’État
qui lui ordonna de partir de Londres l’a convaincu |
|
|
|
que le
ministre anglais n’a pas été la dupe de la demande |
|
|
|
que le comte
d’Affry fit de sa personne au nom du roi aux |
|
|
|
États-Généraux.
» |
|
|
|
|
|
|
|
151 |
|
|
|
Dans son
embarras, le comte de Saint-Germain se |
|
|
|
décida à
s’adresser à M. de Knyphausen, ambassa- |
|
|
|
deur du roi
de Prusse à Londres331, et fit demander |
|
|
|
au ministre
des Affaires étrangères de l’Angleterre de |
|
|
|
bien vouloir
l’autoriser à s’entretenir avec cet ambas- |
|
|
|
sadeur332. M. Pitt ayant
accédé à cette demande, le |
|
|
|
baron de
Knyphausen se rendit chez le comte. Celui- |
|
|
|
ci lui
déclara « qu’il ne pouvait, pour la raison de sa |
|
|
|
sécurité,
retourner en Hollande, et avait décidé de |
|
|
|
se rendre
auprès de Frédéric II, afin d’obtenir l’hos- |
|
|
|
pitalité dans
ses états et d’être protégé ainsi contre |
|
|
|
les actes de
violence de M. de Choiseul. Le comte |
|
|
|
ajouta que
telle avait été sa première intention lors |
|
|
|
de son départ
de Hollande, mais que le comte de Ben- |
|
|
|
tinck lui
avait conseillé de se rendre au préalable en |
|
|
|
Angleterre 333. » |
|
|
|
|
|
|
|
M. de
Knyphausen fit connaître au comte, et en |
|
|
|
cela d’accord
avec M. Pitt, qu’il devra se rendre à |
|
|
|
Aurich près
d’Emden, sous le nom de comte Cea et |
|
|
|
attendre les
dispositions de Frédéric II334. |
|
|
|
|
|
|
|
331 Dodo-Henri, baron
de Knyphausen fut, de 1758 à 1776, |
|
|
|
ministre
plénipotentiaire de Frédéric II, à Londres. Il était |
|
|
|
ami d’un
parent de M. de Bentinck. Cf. Kurze biographie des |
|
|
|
Reichsgrafen
W. F. Bentinck Erb und landershernn der freien |
|
|
|
Herrschaft
Knyphausen. Oldenbourg, 1836. |
|
|
|
|
|
|
|
332 Lord Holdernesse,
ami du comte de Saint-Germain, venait |
|
|
|
d’être
remplacé, en mars 1760, au poste de secrétaire d’État, |
|
|
|
par le comte
de Bute et le duc de Newcastle s’était retiré de la |
|
|
|
politique.
Aff. étrang., Angleterre, 443. |
|
|
|
|
|
|
|
333 Arch. secrètes de
Berlin, 6 mai 1760. Cf. G. B. Volz, ouvr. |
|
|
|
cité, p. 192. |
|
|
|
|
|
|
|
334 Selon P. J. Grosley, ouvr. cité, p. 325 : «
Le comte de Saint- |
|
|
|
|
|
|
|
152 |
|
|
|
Muni cette
fois d’un passeport en bonne et due |
|
|
|
forme, le
comte prit le coche pour Harwich, à l’au- |
|
|
|
berge « Aux
armes du Roi » dans Leadenhall-Street, et |
|
|
|
arrivé au
port monta dans le bateau-poste qui se ren- |
|
|
|
dait à
Hellevoetsluis. « Il s’y arrêta le moins qu’il fut |
|
|
|
possible,
parce qu’au sortir de l’Angleterre la bourse |
|
|
|
des voyageurs
est rarement assez garnie, pour résister |
|
|
|
aux sorties
que font les cabaretiers de cette ville335. » |
|
|
|
Il gagna en
diligence La Haye et reprit son ancien |
|
|
|
logement au «
Maréchal de Turenne ». |
|
|
|
|
|
|
|
Le comte de
Saint-Germain eut d’abord l’intention |
|
|
|
de suivre à
la lettre les prescriptions de M. de Kny- |
|
|
|
phausen «
craignant de n’être pas en sûreté en Hol- |
|
|
|
lande336, » mais il
changea d’avis comme nous le ver- |
|
|
|
rons bientôt. |
|
|
|
|
|
|
|
Son aventure
de Londres eut quelques échos dans |
|
|
|
la presse
anglaise ; trois surtout parurent dans le Lon- |
|
|
|
don
Chronicle, et sont à différents points de vue exces- |
|
|
|
sivement
curieux. |
|
|
|
|
|
|
|
Dans le
numéro du 24 au 27 mai 1760, on lisait |
|
|
|
l’entrefilet
suivant d’après une dépêche de Rotter- |
|
|
|
dam, datée du
18 mai : « Le comte de Saint-Germain |
|
|
|
étant relevé
de ses fonctions d’envoyé est arrivé ici. |
|
|
|
Pendant qu’il
était en charge, il a eu plusieurs confé- |
|
|
|
|
|
|
|
Germain
devint mi objet de la curiosité publique, qui s’occupa |
|
|
|
longtemps de
lui et qu’il ne dérouta qu’en fuyant dans les états |
|
|
|
du Nord, où
l’on perdit sa trace ». On verra qu’il n’en était rien. |
|
|
|
|
|
|
|
335 Baron de Bielfeld, Lettres familières. La
Haye, Gosse, 1763, |
|
|
|
t. II, p.
402. |
|
|
|
|
|
|
|
336 Mitchell Papers, 6
mai 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
153 |
|
|
|
rences avec
quelques-uns des lords du Conseil privé, |
|
|
|
ce qui ouvre
un plus large champ aux conjectures337. » |
|
|
|
|
|
|
|
Dans celui du
31 mai au 3 juin, on pouvait lire sous |
|
|
|
le titre : Anecdotes sur un mystérieux étranger, et sous |
|
|
|
la signature
de Lady’s Magazine, les
lignes suivantes : |
|
|
|
« J’espère
que ce gentilhomme (au sujet duquel on |
|
|
|
n’a jamais pu
découvrir la moindre chose déshono- |
|
|
|
rante, et
dont je respecte sincèrement la science et le |
|
|
|
génie) ne
prendra pas ombrage de mes observations |
|
|
|
au sujet du
titre qu’il a pris et que je ne crois pas être |
|
|
|
le sien par
droit de lignée ou par faveur royale ; son |
|
|
|
nom véritable
est peut-être l’un des mystères qui, à sa |
|
|
|
mort,
surprendra le monde plus que tous les étranges |
|
|
|
incidents de
sa vie. Mais lui-même ne niera pas, je le |
|
|
|
suppose, que
le nom qu’il porte maintenant ne soit |
|
|
|
un nom
d’emprunt. |
|
|
|
|
|
|
|
« La patrie
de cet étranger est aussi totalement |
|
|
|
inconnue que
son nom ; mais au sujet des deux, ainsi |
|
|
|
que de sa
jeunesse, de nombreuses suppositions ont |
|
|
|
toujours
remplacé la connaissance et, comme il était |
|
|
|
facile
d’inventer n’importe quoi, la perversité de la |
|
|
|
|
|
|
|
337 Ce même entrefilet est rédigé ainsi dans la Gazette de |
|
|
|
Bruxelles : «
Le comte de Saint-Germain a été mis en liberté à |
|
|
|
Londres et
est arrivé ici [à Rotterdam]. Même durant sa cap- |
|
|
|
tivité, il
eut de nombreux entretiens avec plusieurs membres |
|
|
|
du Conseil
privé ce qui donne lieu à de nouvelles supposi- |
|
|
|
tions. »
Cette rédaction quoique plus près de la vérité est assez |
|
|
|
curieuse.
Voulait-on dire que la conversation du comte de |
|
|
|
Saint-Germain
avec M. de Knyphausen avait un but politique, |
|
|
|
peut-être !
Toutefois le rédacteur se trompait comme il nous |
|
|
|
l’avons vu. |
|
|
|
|
|
|
|
154 |
|
|
|
nature
humaine et peut-être aussi l’envie que ressen- |
|
|
|
taient les
curieux leur a fait choisir des passages sans |
|
|
|
doute moins
favorables que ceux qui auraient été |
|
|
|
fournis par
la vérité. |
|
|
|
|
|
|
|
« Jusqu’à ce
que des renseignements plus précis |
|
|
|
puissent être
fournis, il serait juste que le monde sus- |
|
|
|
pendit sa
curiosité et la charité demande qu’on ne |
|
|
|
croie pas
certains détails qui n’ont pas de raisons338. » |
|
|
|
|
|
|
|
Enfin dans le
numéro du 30 juin au 3 juillet fut |
|
|
|
publiée la
note suivante : « Nous apprenons de Paris |
|
|
|
que plusieurs
personnes de distinction ont fait des |
|
|
|
démarches
auprès du roi en faveur du comte de Saint- |
|
|
|
Germain dont
il est tant question. Sa Majesté était |
|
|
|
sur le point
de lui pardonner lorsqu’on découvrit qu’il |
|
|
|
était un
espion du roi de Prusse à la cour de France et |
|
|
|
son
représentant auprès de Mme de Pompadour339. » |
|
|
|
|
|
|
|
338 On croirait que cet
article a été inspiré par le comte de |
|
|
|
Saint-Germain
; en tout cas l’auteur a connu le comte. |
|
|
|
|
|
|
|
339 Cette affirmation
tendancieuse est contredite par les pro- |
|
|
|
pos mêmes de
Frédéric II dans une lettre à sa nièce, la femme |
|
|
|
du Stathouder
de Hollande, Guillaume V : « Je n’aime pas ces |
|
|
|
gens dont on
raconte des choses merveilleuses » (Potsdam, 17 |
|
|
|
mars 1778) ;
et dans une autre lettre à son envoyé à Dresde, |
|
|
|
M.
d’Alvensleben, il dira : « Je m’intéresse à Saint-Germain |
|
|
|
uniquement
par curiosité » (id., 29 mars 1777). Et quand le 25 |
|
|
|
juin de la
même année, le comte de Saint-Germain demandera |
|
|
|
audience, le
roi de Prusse ne lui répondra que par l’intermé- |
|
|
|
diaire de M.
d’Alvensleben. À cette dernière remarque se rap- |
|
|
|
portent les
dires du baron de Gleichen (ouvr. cité, p. 133) qui |
|
|
|
montre le
comte traitant le margrave de Bayreuth comme un |
|
|
|
écolier en
lui refusant de lui faire voir des lettres de Frédé- |
|
|
|
ric II, qu’il
tenait dans ses mains. Nous sommes donc certain |
|
|
|
|
|
|
|
155 |
|
|
|
Le comte ne
fut certainement pas sans ignorer les |
|
|
|
contradictions
du journal londonien. Il y répondit |
|
|
|
implicitement
en restant en Hollande. |
|
|
|
|
|
|
|
que le comte
ne pouvait avoir de telles lettres, et que dans |
|
|
|
cette scène
le personnage dont il est question, est le lieute- |
|
|
|
nant-général
Claude-Louis de Saint-Germain. |
|
|
|
|
|
|
|
156 |
|
|
|
Retour en
Hollande |
|
|
|
|
|
|
|
Le comte de
Saint-Germain ne s’était pas rendu |
|
|
|
en Allemagne
; « il errait depuis son retour d’Angle- |
|
|
|
terre, dans
les provinces de la République et ses envi- |
|
|
|
rons, sous
des noms supposés et en se cachant avec |
|
|
|
soin340. » Cette dernière
information de l’ambassadeur |
|
|
|
de France, M.
d’Affry, n’était rien moins qu’exacte. Le |
|
|
|
comte se
cachait si peu qu’il habitait La Haye, rendait |
|
|
|
souvent
visite à son ami, M. de Bentinck van Rhoon, |
|
|
|
dans sa
propriété de Leyde, et allait chaque semaine |
|
|
|
à Amsterdam,
voir le bourgmestre, M. Hasselaar. Il |
|
|
|
est vrai,
cependant, que le comte se rendit à Altona, |
|
|
|
près de
Hambourg dans le courant d’août 1760341. Ce |
|
|
|
voyage fut de
courte durée, puisque nous trouvons |
|
|
|
dans la
Gazette des Pays-Bas, à la date du 12 jan- |
|
|
|
vier 1761, la
note que voici : « Le soi-disant comte de |
|
|
|
Saint-Germain,
cet homme indéchiffrable, dont on ne |
|
|
|
sait au juste
ni le nom, ni l’origine, ni l’état, qui a des |
|
|
|
revenus sans
qu’on sache d’où ils proviennent, des |
|
|
|
connaissances
sans qu’on sache où il les a acquises, |
|
|
|
des entrées
dans les cabinets des Princes, sans qu’au- |
|
|
|
cun l’avoue
et le réclame, cet homme venu sur terre |
|
|
|
sans qu’on
devine par où, est actuellement ici [La |
|
|
|
|
|
|
|
340 Aff. étrang.,
Hollande, 509, fo 301. |
|
|
|
|
|
|
|
341 London Chronicle,
22 août 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
157 |
|
|
|
Haye], ne
sachant où poser le pied et comme exilé de |
|
|
|
tous les
pays. |
|
|
|
|
|
|
|
« Il s’est
adressé dernièrement à M. d’Affry pour |
|
|
|
obtenir, par
sa médiation la liberté d’exister quelque |
|
|
|
part. |
|
|
|
|
|
|
|
« M. d’Affry
a écrit en conséquence au maréchal |
|
|
|
de Belle-Isle342 dont la réponse
porte que si le roi |
|
|
|
[Louis XV]
voulait faire justice en rigueur à M. de |
|
|
|
Saint-Germain,
il lui ferait faire son procès, comme à |
|
|
|
un criminel
d’État ; mais que sa majesté voulant user |
|
|
|
d’indulgence,
se contentait d’ordonner à M. d’Affry, |
|
|
|
« de n’avoir
aucun commerce ni liaison avec lui, de |
|
|
|
quelque
manière que ce puisse être c’est-à-dire, de ne |
|
|
|
point lui
écrire, ni répondre à ses lettres, ni lui per- |
|
|
|
mettre
l’accès auprès de lui ». |
|
|
|
|
|
|
|
Donc le comte
de Saint-Germain est bien à La Haye, |
|
|
|
à Leyde ou
Amsterdam, suivant les circonstances ; |
|
|
|
or
l’ineffable Casanova, lui, l’a vu à Paris, et voici la |
|
|
|
scène qu’il
imagina s’étant rendu au bois de Boulogne |
|
|
|
avec Mme d’Urfé, avec
laquelle il eut une conversation |
|
|
|
sur les anges
des planètes, « nous nous acheminions, |
|
|
|
dit-il, vers
la voiture quand tout à coup Saint-Ger- |
|
|
|
main s’offrit
à nos regards ; mais dès qu’il nous eut |
|
|
|
aperçus, il
rebroussa chemin et alla se perdre dans |
|
|
|
une autre
allée. L’avez-vous vu ? lui dis-je. Il travaille |
|
|
|
contre nous,
mais nos génies l’ont fait trembler. — Je |
|
|
|
suis
stupéfaite. J’irai demain à Versailles pour donner |
|
|
|
|
|
|
|
342 Ce fait a dû se passer à la fin de 1760, le maréchal étant |
|
|
|
mort le 26
janvier 1761. |
|
|
|
|
|
|
|
158 |
|
|
|
cette
nouvelle au duc de Choiseul. Je suis curieuse de |
|
|
|
voir ce qu’il
dira... Le lendemain, je sus de Mme d’Urfé |
|
|
|
la plaisante
réponse que lui avait faite M. le duc de |
|
|
|
Choiseul
lorsqu’elle lui avait annoncé la rencontre |
|
|
|
qu’elle avait
faite du comte de Saint-Germain dans le |
|
|
|
bois de
Boulogne. Je n’en suis pas surpris, lui avait dit |
|
|
|
ce ministre,
puisqu’il a passé la nuit dans mon cabi- |
|
|
|
net343. » La réponse
prêtée à M. de Choiseul par Casa- |
|
|
|
nova est
peut-être spirituelle mais ne rend pas véri- |
|
|
|
dique son
anecdote. |
|
|
|
|
|
|
|
Un autre
incident, mais celui-ci incontestable, se |
|
|
|
passa à La
Haye, vers la fin de 1761. Un nommé Jaco- |
|
|
|
tet vint
trouver M. d’Affry « Prétendant que le comte |
|
|
|
de
[Saint-Germain] se cache dans Amsterdam et qu’il |
|
|
|
s’engageait à
le faire découvrir344. » Tout d’abord l’am- |
|
|
|
bassadeur de
France crût sur parole ce Jacotet, mais |
|
|
|
ayant appris
à ses dépens que le renseignement ne |
|
|
|
valait rien,
puisque le comte était à La Haye, il consi- |
|
|
|
déra ce
Jacotet comme un aventurier, d’autant plus |
|
|
|
que ce
dernier était poursuivi par deux honorables |
|
|
|
commerçants
d’Amsterdam, les sieurs Coq et Van- |
|
|
|
giens, à la
requête de la veuve du chevalier Lambert, |
|
|
|
de Paris.
C’était en quelque sorte une vengeance de ce |
|
|
|
Jacotet
contre les amis du comte de Saint-Germain. |
|
|
|
|
|
|
|
Six mois
après, le 22 mars 1762, M. d’Affry infor- |
|
|
|
mait M. de
Choiseul que « sous le nom d’un négociant |
|
|
|
d’Amsterdam
nommé Noblet ; le comte avait acquis |
|
|
|
|
|
|
|
343 Casanova, ouvr. cité, t. V, pp.
79-80. |
|
|
|
|
|
|
|
344 Aff. étrang.,
Hollande, 50l, fo 301. |
|
|
|
|
|
|
|
159 |
|
|
|
une terre en
Gueldre nommée Huberg, que M. le |
|
|
|
comte de
Welderen a vendue, et sur laquelle il n’a |
|
|
|
pourtant
encore payé, qu’à peu près 30.000 francs, |
|
|
|
argent de
France345. » |
|
|
|
|
|
|
|
M. d’Affry
demanda à notre ministre des Affaires |
|
|
|
étrangères
s’il devait poursuivre le comte ou bien |
|
|
|
le laisser
tranquille ? La réponse de M. de Choiseul |
|
|
|
ne nous est
pas connue, mais il est probable que le |
|
|
|
ministre opta
pour la seconde solution. |
|
|
|
|
|
|
|
Le comte de
Saint-Germain habitait Ubbergen, |
|
|
|
petite ville
hollandaise à proximité de la frontière |
|
|
|
allemande, à
très peu de distance de Nimègue. « Il |
|
|
|
avait établi
dans sa maison un vaste laboratoire dans |
|
|
|
lequel il
s’enfermait des jours entiers, absorbé par |
|
|
|
ses
recherches sur les matières colorantes. On assure |
|
|
|
même que la
ville d’Amsterdam manifesta le désir de |
|
|
|
lui acheter
le droit exclusif d’utiliser ses découvertes, |
|
|
|
mais il
refusa, ne voulant pas favoriser plus spéciale- |
|
|
|
ment une
ville ou une province de la République. Il a |
|
|
|
rendu de
grands services à Gronsveld en l’aidant dans |
|
|
|
la
préparation des couleurs pour sa manufacture de |
|
|
|
porcelaines à
Weesp, près d’Amsterdam346. » |
|
|
|
|
|
|
|
D’autre part,
le comte avait acquis quelques |
|
|
|
domaines
ruraux près de Zutphen, on pouvait croire |
|
|
|
que sa vie
d’aventures était terminée et qu’il se fixe- |
|
|
|
rait dans les
Provinces-Unies. |
|
|
|
|
|
|
|
345 Aff. Etrang.,
Hollande, 509, fo 503. |
|
|
|
|
|
|
|
346 Mémoires de Hardenbrock, Cf. I. Cooper-Oakley, ouvr. cité, |
|
|
|
p. 215. |
|
|
|
|
|
|
|
160 |
|
|
|
Si absorbé
qu’il fût par ses expériences, il entre- |
|
|
|
tenait une
importante correspondance avec tous les |
|
|
|
pays
d’Europe, mais la France était toujours privi- |
|
|
|
légiée, car
il avait conservé dans notre pays ses plus |
|
|
|
chers amis. |
|
|
|
|
|
|
|
Est-ce par
humour ou pour avoir le dernier mot |
|
|
|
dans
l’aventure de La Haye, que M. de Choiseul écri- |
|
|
|
vit à M.
d’Affry le 4 août 1762 : « Nous avons puni le |
|
|
|
prétendu
comte de Saint-Germain de l’insolence et de |
|
|
|
l’imposture
des propos qu’il avait tenus, et il faut lais- |
|
|
|
ser à cet
aventurier le soin de perfectionner le discré- |
|
|
|
dit général
dans lequel nous l’avons fait tomber347. » |
|
|
|
Cette
satisfaction morale n’était pour M. de Choi- |
|
|
|
seul qu’une
sorte de « chant du cygne » ; l’année sui- |
|
|
|
vante, il
n’était déjà plus ministre des Affaires étran- |
|
|
|
gères, tandis
que le comte de Saint-Germain reprenait |
|
|
|
à travers
l’Europe le cours de ses pérégrinations, et |
|
|
|
était partout
reçu avec honneur et distinction. |
|
|
|
|
|
|
|
347 Aff. étrang., Hollande, 509, fo 327. |
|
|
|
|
|
|
|
161 |
|
|
|
Chapitre IX : |
|
|
|
|
|
|
|
Apparition en
Russie |
|
|
|
|
|
|
|
Il est
probable que ce fut au printemps de l’année |
|
|
|
1762 que le
comte de Saint-Germain se rendit en |
|
|
|
Russie. |
|
|
|
|
|
|
|
Depuis le 5
janvier de la même année, à la mort de |
|
|
|
l’impératrice
Elisabeth, l’empire russe était gouverné |
|
|
|
par
Charles-Pierre Ulrich, duc de Holstein-Gottorp, |
|
|
|
sous le nom
de Pierre III. Ce prince, qui réunissait en |
|
|
|
lui le sang
de Pierre Ier
et de Charles XII, avait épousé |
|
|
|
en 1745,
Sophie-Auguste Frédérique d’Anhalt-Zerbst. |
|
|
|
|
|
|
|
Dès le début
de son règne, Pierre III s’était aliéné |
|
|
|
le clergé en
préférant le luthéranisme à la religion |
|
|
|
grecque ;
puis, suivant le projet de Pierre Ier, il avait |
|
|
|
réuni les
terres de l’Église au domaine ; ensuite il |
|
|
|
contraignit
les prêtres à prendre le costume des pas- |
|
|
|
teurs
luthériens, fit enlever des églises les images des |
|
|
|
saints, et
enfin s’était abstenu de se faire couronner à |
|
|
|
|
|
|
|
162 |
|
|
|
Moscou, selon
les rites consacrés348. De plus, il se fit |
|
|
|
des ennemis
dans l’armée, par des innovations dan- |
|
|
|
gereuses, à
la manière de Frédéric II qu’il admirait. |
|
|
|
C’est alors
que, par des propos semés avec art, on le |
|
|
|
rendit
suspect au peuple. |
|
|
|
|
|
|
|
Au contraire,
sa femme, princesse allemande, qui |
|
|
|
avait pris le
nom de Catherine, en embrassant la reli- |
|
|
|
gion grecque
lors de son mariage, s’identifiait à sa |
|
|
|
patrie
d’adoption. Avec beaucoup d’adresse et de cir- |
|
|
|
conspection,
armée d’une grande intelligence, elle |
|
|
|
résolut de
prendre le pouvoir, et pour cela se fit bien |
|
|
|
voir des
popes, sut attirer chez elle les gens qui pou- |
|
|
|
vaient lui
être utiles pour l’accomplissement de son |
|
|
|
œuvre. Ainsi
pas à pas, Catherine organisa la conjura- |
|
|
|
tion qui
devait l’amener sur le trône des tzars349. |
|
|
|
|
|
|
|
Ce qu’il y a
d’étonnant dans cette révolution russe, |
|
|
|
c’est qu’elle
se soit faite sans la moindre opposition et |
|
|
|
sans qu’on
ait été obligé d’employer la force. |
|
|
|
|
|
|
|
Disons tout
de suite pour couper court aux histoires |
|
|
|
|
|
|
|
348 Flassan, Histoire générale et
raisonnée de la diplomatie |
|
|
|
française.
Paris, 1811, t. IV, p. 339. |
|
|
|
|
|
|
|
349 D’après E. Boutaric, Correspondance secrète
inédite de |
|
|
|
Louis XV.
Paris, Plon, 1866, t. 1er, p. 109, Catherine avait fait |
|
|
|
sonder M. de
Breteuil, notre ambassadeur, et lui avait demandé |
|
|
|
de l’argent.
Celui-ci répondit qu’il n’en n’avait pas ; et voyant |
|
|
|
la
conjuration prête à éclater, quitta la Russie pour y revenir |
|
|
|
peu après.
Nous nous demandons pourquoi M. de Breteuil |
|
|
|
eut-il besoin
de fouiller dans les archives de son ministère de |
|
|
|
la maison du
roi, pour savoir qui était le comte de Saint-Ger- |
|
|
|
main,
puisqu’il fut à même de se renseigner sur lui, à Saint- |
|
|
|
Pétersbourg.
Cf. C. de Courchamps, ouvr. cité, t. II, p.
269. |
|
|
|
|
|
|
|
163 |
|
|
|
relatives à
la participation du comte de Saint-Germain |
|
|
|
aux faits qui
marquèrent la fin tragique de Pierre III, |
|
|
|
que le comte
ne se trouvait plus à Saint-Pétersbourg |
|
|
|
« qu’il avait
quitté avant cette époque350, » et qu’au |
|
|
|
surplus, il
n’eut aucun rapport ni de près ni de loin |
|
|
|
avec
Catherine II ; ajoutons que, après recherches |
|
|
|
faites dans
le journal officiel de la cour du temps, |
|
|
|
« son nom
n’est pas cité parmi les autres351 ». |
|
|
|
|
|
|
|
Le comte
était venu à Saint-Pétersbourg sur les |
|
|
|
instances de
son ami, le célèbre peintre italien, comte |
|
|
|
Pierre Rotari352. Le peintre
habitait la Grafsky pereont- |
|
|
|
lok (ce qui signifie petite rue), près du pont Anitchkoff, |
|
|
|
sur la
Newsky, où se trouve le palais impérial. Pierre |
|
|
|
Rotari, que
le comte connaissait depuis longtemps, |
|
|
|
était
originaire de Vérone. Après avoir parcouru |
|
|
|
l’Europe et
acquis une fortune considérable, il vint à |
|
|
|
Saint-Pétersbourg,
appelé par l’impératrice Elisabeth |
|
|
|
pour être le
peintre de la cour. Aidé de ses élèves, |
|
|
|
|
|
|
|
350 D’après le récit de
M. Pyliaeff, autour du « Vieux Peters- |
|
|
|
bourg ». Cf.
I. Cooper-Oakley, ouvr. cité, p. 30.
Nous-même, |
|
|
|
après maintes
recherches aux archives du ministère des Aff. |
|
|
|
étrangères,
nous n’avons rien trouvé. |
|
|
|
|
|
|
|
351 Renseignement
fourni par le Directeur de la librairie |
|
|
|
«
Mezrdunarodnaya Kniga » à Saint-Pétersbourg (1932). |
|
|
|
|
|
|
|
352 Le comte Rotari
(1707-1764), élève d’Antoine Balestra |
|
|
|
et d’Ange
Trévisani, a laissé plusieurs tableaux de grande |
|
|
|
dimension
dont les sujets se rapportent à la religion (Musées |
|
|
|
de Munich et
de Dresde). On lui doit un certain nombre de |
|
|
|
gravure à
l’eau forte. Le peintre russe Rokotov semble s’être |
|
|
|
formé sous
son influence. Cf. Siret,
Dictionnaire histor. des |
|
|
|
peintres.
Paris, Lacroix,1866. |
|
|
|
|
|
|
|
164 |
|
|
|
Pierre Rotari
peignit de 1757 à 1762, environ trois |
|
|
|
cents
portraits des plus jolies femmes de la cour353. |
|
|
|
|
|
|
|
Passionné
pour son art, le comte Rotari n’avait |
|
|
|
qu’une idée :
atteindre la perfection des maîtres, mais |
|
|
|
il doutait
d’y arriver. « Un jour, dans le grand parc de |
|
|
|
Berlin,
voyant un aveugle qui jouait supérieurement |
|
|
|
de deux
giumbardes à la fois, dont il tirait des sons |
|
|
|
d’autant plus
harmonieux qu’ils ne sont pas dans |
|
|
|
l’instrument
même, le peintre s’écria : cet homme fait |
|
|
|
plus que moi,
il est le seul de son art, et malheureuse- |
|
|
|
ment il y a
des Carraches et des Guidis avant de par- |
|
|
|
venir à la
perfection354.
» |
|
|
|
|
|
|
|
Accompagné de
l’artiste, le comte de Saint-Ger- |
|
|
|
main
fréquenta le salon des plus illustres familles de |
|
|
|
Saint-Pétersbourg
: les Razoumowsky et les Youssou- |
|
|
|
poff ; de
même qu’à Londres, il enchanta ses audi- |
|
|
|
teurs par sa
virtuosité sur le violon « dont il se servait |
|
|
|
comme d’un
orchestre ». On assure que le comte dédia |
|
|
|
à la comtesse
Ostermann un morceau de musique de |
|
|
|
harpe dont il
était l’auteur355. |
|
|
|
|
|
|
|
Le comte
connut aussi durant le peu de temps qu’il |
|
|
|
resta dans la
capitale russe, un avocat de Genève, |
|
|
|
|
|
|
|
353 Les tableaux du
comte Rotari décorent au palais de Pete- |
|
|
|
rhof le
cabinet des Modes et des Grâces. |
|
|
|
|
|
|
|
354 Comte de Lamberg, ouvr. cité, p. 50. |
|
|
|
|
|
|
|
355 Cette partition,
magnifiquement reliée en maroquin rouge, |
|
|
|
fut donnée
plus tard par M. Pyliaeff au grand compositeur |
|
|
|
Chaïkowsky.
La famille Youssoupoff devait être aussi en pos- |
|
|
|
session de
manuscrits musicaux du comte de Saint-Germain. |
|
|
|
Cf. I. Cooper-Oakley, ouvr. cité, p. 31. |
|
|
|
|
|
|
|
165 |
|
|
|
LE COMTE DE
SAINT-GERMAIN |
|
|
|
|
|
|
|
M. Pictet,
qui lui-même était reçu dans beaucoup de |
|
|
|
maisons.
D’origine genevoise et magistrat de police, |
|
|
|
M. Pictet,
n’ayant pu être du conseil des Cent, à cause |
|
|
|
de son jeune
âge, vint à Paris, et de là s’engagea avec |
|
|
|
un Russe pour
voyager durant trois années. Étant |
|
|
|
à Vienne, il
rencontra Grégoire Orlof et alla avec |
|
|
|
lui à
Saint-Pétersbourg. Dans cette ville, il trouva |
|
|
|
M. Magnan,
négociant, dont il épousa la sœur, et s’as- |
|
|
|
socia avec
lui. Une affaire louche à laquelle il fut mêlé, |
|
|
|
lui valut
bien qu’innocent, une médiocre réputation. |
|
|
|
Il avait
cependant de l’esprit et des connaissances. |
|
|
|
|
|
|
|
Ce n’était
pas surtout M. Pictet que le comte fré- |
|
|
|
quentait,
mais son beau-frère, M. Magnan, lequel |
|
|
|
s’occupait
d’achat et de vente de pierreries. Ce der- |
|
|
|
nier mettait
à part toutes les pierres auxquelles il |
|
|
|
manquait
quelque qualité et les remettait au comte |
|
|
|
afin que
celui-ci puisse leur donner l’éclat voulu356. |
|
|
|
|
|
|
|
Au bout de
trois mois357,
le comte regagna Ubber- |
|
|
|
gen et reprit
ses travaux, après avoir fait ses adieux à |
|
|
|
son ami
Pierre Rotari qu’il ne devait plus revoir. |
|
|
|
|
|
|
|
Avant de
poursuivre les incidents de la vie du comte |
|
|
|
de
Saint-Germain, ouvrons ici une parenthèse. |
|
|
|
|
|
|
|
Deux
écrivains de nos jours358 ont voulu identifier |
|
|
|
|
|
|
|
356 Chevalier de Corberon, Journal intime. Paris,
Plon, 1901, |
|
|
|
t. II, pp.
193-195. |
|
|
|
|
|
|
|
357 D’après I. Cooper-Oakley, ouvr. cité, p. 30, le
comte de |
|
|
|
Saint-Germain
se serait trouvé à la cour d’Arkhangel, le 3 |
|
|
|
mars 1762,
avec la princesse Marie Galitzine. Or cette ville est |
|
|
|
située à 737
km. de Saint-Pétersbourg ! |
|
|
|
|
|
|
|
358 Pierre Lhermier, Le mystérieux comte de
Saint-Germain. |
|
|
|
|
|
|
|
166 |
|
|
|
notre
personnage avec le nommé Odard, qui joua un |
|
|
|
rôle connu à
Saint-Pétersbourg, à la même époque. |
|
|
|
|
|
|
|
D’après les Mémoires de la Princesse Daschkol,
dame |
|
|
|
d’honneur de
Catherine II et troisième fille du chan- |
|
|
|
celier
Voronzof, considérée surtout comme l’âme de |
|
|
|
la révolution
de 1762, nous apprenons que « parmi |
|
|
|
les étrangers
qui vinrent chercher fortune à Saint- |
|
|
|
Pétersbourg
était un Piémontais du nom de Odard |
|
|
|
qui, sur la
recommandation du gouverneur du grand- |
|
|
|
duc Paul,
Nikita Panine, d’origine italienne, obtint |
|
|
|
d’être nommé
avocat près la chambre de commerce de |
|
|
|
la ville.
C’était un homme d’un certain âge, à l’aspect |
|
|
|
maladif, mais
l’air rusé. Toutefois, l’ignorance de la |
|
|
|
langue russe
le rendit incapable de tenir son emploi. |
|
|
|
Odard essaya
par la suite de se faire admettre comme |
|
|
|
secrétaire
auprès de l’impératrice, avec l’appui de la |
|
|
|
princesse
Daschkof, mais la tentative échoua. Enfin, |
|
|
|
par
l’intermédiaire du grand chambellan, comte Stro- |
|
|
|
gonof, il
parvint à une place peu rémunérée d’inten- |
|
|
|
dant, dans la
maison de plaisance de Pierre III, à Ora- |
|
|
|
nienbaum. La
princesse Daschkof ajoute qu’elle n’a |
|
|
|
été qu’une
seule fois en rapport avec Odart et que |
|
|
|
durant les
trois semaines qui précédèrent la révolu- |
|
|
|
tion, elle
n’eut aucun contact avec lui359. » |
|
|
|
|
|
|
|
Ces quelques
renseignements nous semblent suffi- |
|
|
|
|
|
|
|
Paris, édit.
Colbert, 1943, pp. 167-205. Jean de Kerdeland, De |
|
|
|
Nostradamus à
Cagliostro. Paris, édit. Self, 1945, pp. 191-201. |
|
|
|
359 Mémoirs of the princess Daschkaw, lady of honour to |
|
|
|
Catherine II,
written by herself, edited from the original by |
|
|
|
Mrs W. Bradford. London, Colburn, 1840,
t. 161, pp. 62-63. |
|
|
|
|
|
|
|
167 |
|
|
|
sants pour
que l’intrigant Odard ne soit pas confondu |
|
|
|
avec notre
personnage. |
|
|
|
|
|
|
|
168 |
|
|
|
M. de
Surmont, industriel |
|
|
|
|
|
|
|
L’année 1763
marque pour le comte de Saint-Ger- |
|
|
|
main la
cessation des poursuites intentées contre |
|
|
|
lui par le
duc de Choiseul, au titre de ministre des |
|
|
|
Affaires
étrangères de France, celui-ci n’étant plus |
|
|
|
que ministre
de la Guerre. La raison en est la sui- |
|
|
|
vante : Si la
paix signée à Hubersbourg, le 15 février, |
|
|
|
entre
l’Autriche, la Prusse et la Saxe finissait la guerre |
|
|
|
de Sept ans,
le traité paraphé, le 10 du même mois, |
|
|
|
à Paris,
entre la France et l’Angleterre mettait fin à |
|
|
|
la guerre
maritime. On se souvient que c’est à cause |
|
|
|
de
pourparlers concernant ce traité que le comte de |
|
|
|
Saint-Germain
fut poursuivi par M. de Choiseul. |
|
|
|
|
|
|
|
Le comte
pouvait donc reprendre en toute sûreté |
|
|
|
sa liberté
d’aller et venir en Europe, ce qu’il fit mais |
|
|
|
en changeant
de nom. Comme il avait acheté, en Hol- |
|
|
|
lande, près
de Nimègue, le domaine de Ubbergen, il en |
|
|
|
|
|
|
|
169 |
|
|
|
francisa le
nom pour son usage et devint ainsi M. de |
|
|
|
Surmont. |
|
|
|
|
|
|
|
C’est dans
les premiers jours de mars qu’il se diri- |
|
|
|
gea vers la
Belgique appelée à cette époque les Pays- |
|
|
|
Bas
catholiques, et sous la domination de la maison |
|
|
|
de Habsbourg. |
|
|
|
|
|
|
|
En passant à
Bruxelles360,
M. de Surmont alla |
|
|
|
rendre
visite, un soir, très tard, car il ne sortait jamais |
|
|
|
la journée361, à M. de Cobenzl362, ministre
plénipoten- |
|
|
|
tiaire de
l’impératrice-reine Marie-Thérèse, près le |
|
|
|
gouverneur
général, le prince Charles de Lorraine. |
|
|
|
Il n’ignorait
pas qu’en 1746, M. de Cobenzl avait été |
|
|
|
le
correspondent bénévole du prince de Galles, Fré- |
|
|
|
déric-Louis,
fils aîné de Georges II d’Angleterre363, |
|
|
|
|
|
|
|
360 Tout ce chapitre
est rédigé d’après les Archives de la Secré- |
|
|
|
tairerie de
Guerre et d’État de Bruxelles, vol. 1053 à 1303. |
|
|
|
|
|
|
|
361 A. R. Von Arneth, Graf Philipp Cobenzl und seine Memoiren. |
|
|
|
Vienne, 1885,
pp. 84 et suiv. |
|
|
|
|
|
|
|
362
Charles-Jean-Philippe, comte de Cobenzl, né à Vienne le 21 |
|
|
|
juillet 1712,
était le fils du comte Jean-Gaspar et de Catherine, |
|
|
|
comtesse de
Rindsmaul, sa seconde femme. Après avoir fait |
|
|
|
ses études
supérieures à Leyde, il voyagea. En 1734, il épousa |
|
|
|
la fille du
général Palffi. Après avoir parcouru l’Allemagne, il |
|
|
|
revint à
Vienne, et fut nommé ministre à Bruxelles, le 19 août |
|
|
|
1753, en
remplacement du marquis de Botta-Adorno. « En |
|
|
|
dépit des
apparences de son titre, il est l’espion officiel que |
|
|
|
Charles VI a
mis à côté de sa sœur, l’archiduchesse Elisabeth |
|
|
|
et que
Marie-Thérèse maintiendra auprès de son beau-frère, le |
|
|
|
prince
Charles de Lorraine. » Cf. C. de Villermont, Le comte de |
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Cobenzl.
Paris, Desclée, 1925, p. 25. |
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363 Archives de Vienne.
Correspondance de Marie-Thérèse, |
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vol. 271. |
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170 |
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et comme nous
l’avons dit, M. de Surmont ayant été |
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l’ami du
prince, il fut facile pour lui de se présenter |
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à l’hôtel
Mastaing, et d’être admis chez le ministre. |
|
|
|
Ce qui
n’empêchera pas le neveu de M. de Cobenzl |
|
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|
d’écrire plus
tard : « Il s’introduisit auprès de mon |
|
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|
oncle d’une
façon très mystérieuse, grâce à des lettres |
|
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|
de
recommandation, je ne sais pas de qui364. » |
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M. de Cobenzl
reçut M. de Surmont dans son grand |
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|
cabinet. Les
murs étaient ornés de quatre grandes |
|
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|
pièces de
savonnerie, représentant l’histoire de Psy- |
|
|
|
ché. Au
milieu de la pièce trônait une magnifique |
|
|
|
table-bureau
à pied de biche, incrustée de porcelaine |
|
|
|
de Sèvres,
avec écritoires d’argent et de Sèvres. Dans |
|
|
|
les
encoignures, des meubles précieux surmontés de |
|
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|
porcelaines
les plus rares. |
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M. de Surmont
se rendit compte qu’il avait devant |
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|
lui un
amateur d’art et quand il apprit que celui-ci |
|
|
|
possédait une
collection de tableaux remarquables, il |
|
|
|
lui exprima
son admiration, « et comme je suis très |
|
|
|
susceptible
pour l’amitié, dira M. de Cobenzl, je lui ai |
|
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|
témoigné la
mienne365. » |
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« Un jour que
le ministre disait que peu de parti- |
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|
culiers
pouvaient se vanter de posséder un Raphaël |
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|
authentique
M. de Surmont répondit que c’était peut- |
|
|
|
être juste,
mais que dans sa collection il en avait et, |
|
|
|
comme preuve,
quinze jours ou trois semaines après, |
|
|
|
arriva un
tableau dont il fit cadeau à M. de Cobenzl |
|
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|
364 A. R. von Arneth, ouvr. cité, p. 86. |
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365 Cobenzl à Kaunitz,
28 avril 1763. |
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171 |
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|
comme
provenant de sa collection, et quelques artistes |
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|
de Bruxelles
à qui ce dernier montra ce tableau, décla- |
|
|
|
rèrent que
c’était un Raphaël authentique. |
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M. de Surmont
ne voulut pas le reprendre et le pria |
|
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|
de l’accepter
en signe d’amitié. |
|
|
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|
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|
|
« Une autre
fois, il montra à M. de Cobenzl un |
|
|
|
gros
solitaire, qui avait des taches et dit qu’en peu |
|
|
|
de jours il
le rendrait sans défaut. Et effectivement, |
|
|
|
quelques
jours après, il apporta un solitaire, taillé de |
|
|
|
la même
manière, qui était impeccable et sans taches, |
|
|
|
en assurant
que c’était la même pierre. Après que |
|
|
|
M. de Cobenzl
l’eut admiré et examiné, il voulut lui |
|
|
|
rendre la
pierre, mais M. de Surmont ne voulut pas |
|
|
|
la reprendre
et dit qu’il avait assez de diamants des- |
|
|
|
quels il ne
savait que faire, et pria le ministre de gar- |
|
|
|
der celui-ci
comme souvenir. Ce dernier qui ne vou- |
|
|
|
lait accepter
aucun cadeau, se débattit longtemps, |
|
|
|
mais devant
l’insistance de son hôte finit par se lais- |
|
|
|
ser
convaincre366.
» Les premières impressions lais- |
|
|
|
sées par M.
de Surmont sur M. de Cobenzl furent les |
|
|
|
suivantes : «
J’ai trouvé en lui l’homme le plus étrange |
|
|
|
que j’ai
connu dans ma vie. Il possède de grandes |
|
|
|
richesses et
vit très simplement ; il est d’une probité |
|
|
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|
|
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|
366 Ces deux anecdotes sont tirées de A. R. von Arneth, ouvr. |
|
|
|
cité. Sans
mettre en doute la véracité de la première anecdote, |
|
|
|
il nous
semble guerre possible, les tableaux de Raphaël étant |
|
|
|
tous
catalogués, qu’un tableau inconnu de ce peintre fasse |
|
|
|
partie d’une
collection privée. Quant à la seconde historiette, |
|
|
|
nous sommes
étonné du soi-disant refus de M. de Cobenzl, |
|
|
|
après
l’acceptation du tableau de Raphaël. |
|
|
|
|
|
|
|
172 |
|
|
|
étonnante et
possède une bonté digne d’admiration. |
|
|
|
Il a une
connaissance approfondie de tous les arts. |
|
|
|
Il est poète,
musicien, écrivain, médecin, physicien, |
|
|
|
chimiste,
mécanicien peintre, bref il a une culture |
|
|
|
générale,
comme je n’en ai pas trouvé chez aucun |
|
|
|
homme367. Et comme il
était intéressant avec toutes |
|
|
|
ses
connaissances, j’ai passé des heures agréables |
|
|
|
avec lui. Une
seule chose que je peux lui reprocher, |
|
|
|
c’est de se
vanter trop souvent de ses talents et de ses |
|
|
|
origines368 » |
|
|
|
|
|
|
|
Leur point de
contact étaient les connaissances de |
|
|
|
M. de Surmont
en peinture et en dessin. La conversa- |
|
|
|
tion, un soir
s’engagea un peu plus loin et celui-ci vint |
|
|
|
à parler de
ses découvertes. M. de Cobenzl lui ayant |
|
|
|
témoigné son
incrédulité, il fit devant lui et quelques |
|
|
|
amis «
Plusieurs expériences, dont l’une consistait |
|
|
|
à transformer
un morceau de fer en un métal aussi |
|
|
|
beau que l’or369 et les autres, en
divers procédés de |
|
|
|
teinture et
de tannage du cuir370. » |
|
|
|
|
|
|
|
Ces
expériences eurent lieu à Tournai chez l’ex- |
|
|
|
pert-fabricant
Rasse, homme de confiance de M. de |
|
|
|
Cobenzl. M.
de Surmont voulut bien les renouveler |
|
|
|
|
|
|
|
367 « Toutes les
sciences dont on parlait il les possédait à l’ex- |
|
|
|
trême.
Était-il question de musique, il en parlait en maître, |
|
|
|
se mettait au
piano et exécutait des morceaux de sa composi- |
|
|
|
tion ». A. R.
Von Arneth, ouvr. cité. |
|
|
|
|
|
|
|
368 Cobenzl à Kaunitz,
8 avril 1763. |
|
|
|
|
|
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|
369 Sans doute le «
Similor » dont parle M. de Gleichen, ouvr. |
|
|
|
cité, p. 127. |
|
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|
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|
370 Cobenzl à Kaunitz,
8 avril 1763. |
|
|
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|
|
|
|
173 |
|
|
|
quelques
jours après, en procédant cette fois en ce qui |
|
|
|
concerne la
teinture, sur la laine, la soie et le bois. « Il |
|
|
|
teignit
entièrement du bois, de couleurs si vivantes, |
|
|
|
sans indigo
ni cochenille, puis passant aux couleurs |
|
|
|
elles-mêmes,
fit de l’outremer aussi irréprochable |
|
|
|
que celui qui
est extrait du lapis-lazuli. Finalement il |
|
|
|
prit de
l’huile ordinaire, de noix ou de lin, que l’on |
|
|
|
emploie pour
la peinture, lui enleva l’odeur et le goût, |
|
|
|
et en fit la
meilleure huile comestible qui soit371 » |
|
|
|
|
|
|
|
M. de
Cobenzl, en protecteur éclairé du commerce |
|
|
|
des Pays-Bas,
s’enthousiasma devant un tel résul- |
|
|
|
tat, et comme
le sens des affaires était inné en lui, il |
|
|
|
résolut d’en
tirer des subsides pour le trésor impérial. |
|
|
|
Après avoir
fait examiner soigneusement et rigoureu- |
|
|
|
sement tous
les procédés de M. de Surmont, il mit ce |
|
|
|
dernier en
rapport avec Mme
de Nettine, trésorière de |
|
|
|
la cour. |
|
|
|
|
|
|
|
Mme de Nettine372 ne fut « pas
moins enthousiaste |
|
|
|
que moi de
ses talents » dira M. de Cobenzl. De son |
|
|
|
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|
|
371 Cobenzl à Kaunitz,
8 avril 1763. |
|
|
|
|
|
|
|
372
Barbe-Joséphine-Louise Stoupy, née le 22 novembre 1706, |
|
|
|
avait épousé
le 30 septembre 1735, le banquier Mathias Net- |
|
|
|
tine. Sous
son impulsion la « Banque Nettine » devint très vite |
|
|
|
la première
des Pays-Bas. Son mari étant mort le 28 juin 1749, |
|
|
|
sa veuve
obtint pour son fils aîné la survivance de la charge de |
|
|
|
trésorier de
la cour, et lorsque M. de Cobenzl vint à Bruxelles, |
|
|
|
elle devint
l’amie et la conseillère ultime du ministre pléni- |
|
|
|
potentiaire.
Madame de Nettine sera désormais la véritable |
|
|
|
maîtresse des
intérêts économiques et financiers des Pays- |
|
|
|
Bas. Elle fut
anoblie le 1er
avril 1758. Cf. Yves de Fontobbia, La |
|
|
|
vicomtesse de
Nettine dans L’Insurgé, no 1, 1936, pp. 15-22. |
|
|
|
|
|
|
|
174 |
|
|
|
côté, M. de
Surmont « lui a témoigné la plus grande |
|
|
|
amitié ainsi
qu’à sa famille ; de ces faits, nous avons |
|
|
|
conclu qu’il
dépendait que de nous, de nous appro- |
|
|
|
prier tous
ses procédés secrets. Aussi nous sommes |
|
|
|
nous mis avec
ardeur à examiner leur utilité, et nous |
|
|
|
avons trouvé
que plus d’un de ses échantillons étaient |
|
|
|
remarquables.
Son métal, la teinture du bois qui |
|
|
|
est plus beau
que ce qui se fait en France, ses cuirs |
|
|
|
peuvent être
d’une grande valeur, ainsi que ses cha- |
|
|
|
peaux peuvent
être un article très important. » |
|
|
|
|
|
|
|
Et M. de
Cobenzl ajoute avec quelque cynisme : « Il |
|
|
|
n’y a pas
d’autres moyens de s’approprier ces procé- |
|
|
|
dés que de
consentir à l’installation d’une usine, mais |
|
|
|
cela
nécessite des dépenses373. » |
|
|
|
|
|
|
|
Mme de Nettine avec
son empressement habituel se |
|
|
|
lança dans
l’affaire, en avançant les fonds nécessaires, |
|
|
|
et en
principe, la manufacture fut fondée à Tournai |
|
|
|
dans le local
du négociant Rasse, chez qui M. de Sur- |
|
|
|
mont logeait
quand il venait pour ses travaux. C’est |
|
|
|
durant un de
ses séjours à cet atelier que se déroula |
|
|
|
la scène «
fantaisiste » que Casanova a narrée dans ses |
|
|
|
Mémoires : |
|
|
|
|
|
|
|
« Sur la
route de Tournai, dit Casanova, j’aperçois |
|
|
|
deux
palefreniers qui conduisaient de superbes che- |
|
|
|
vaux. Ils me
dirent que cet attelage appartenait à |
|
|
|
M. le comte
de Saint-Germain. |
|
|
|
|
|
|
|
— Je
désirerais être présenté à votre maître. |
|
|
|
|
|
|
|
373 Cobenzl à Kaunitz, 8 avril 1763. |
|
|
|
|
|
|
|
175 |
|
|
|
— Il ne reçoit personne. |
|
|
|
|
|
|
|
Cette réponse
me décida à tenter l’aventure. J’écri- |
|
|
|
vis au comte
en lui exprimant le vif désir que j’éprou- |
|
|
|
vais de le
voir. Sa réponse, écrite en langue italienne, |
|
|
|
et que j’ai
encore sous les yeux, était ainsi conçue : |
|
|
|
« Mes
occupations me mettent dans la nécessité de |
|
|
|
refuser toute
espèce de visite, mais vous faites excep- |
|
|
|
tion à la
règle. Venez donc, vous serez introduit sur- |
|
|
|
le-champ.
Seulement, ne vous nommez pas à mes |
|
|
|
gens. Je ne
vous invite pas à partager ma table : elle ne |
|
|
|
vous
conviendrait pas, surtout si vous avez conservé |
|
|
|
votre ancien
appétit. » |
|
|
|
|
|
|
|
Je me
trouvais à huit heures à la porte du comte. |
|
|
|
Il était en
robe d’Arménien374, en bonnet pointu ; |
|
|
|
une barbe
épaisse et longue lui descendait jusqu’à |
|
|
|
la ceinture,
et il tenait en main une petite baguette |
|
|
|
d’ivoire.
Autour de lui, j’aperçus une vingtaine de |
|
|
|
bouteilles
méthodiquement rangées, toutes remplies |
|
|
|
de différents
élixirs. Je cherchais quelle pouvait être |
|
|
|
son
occupation avec ce costume et au milieu de cette |
|
|
|
pharmacie,
lorsqu’il me dit avec un grand sérieux : |
|
|
|
|
|
|
|
— C’est le comte de Cobenzl, premier
ministre d’Au- |
|
|
|
triche375, qui me donne de
l’occupation. Je travaille, |
|
|
|
pour lui
plaire, à l’établissement d’une fabrique. |
|
|
|
|
|
|
|
374 Casanova, en
faisant cette remarque, se souvenait, sans |
|
|
|
doute, du
costume qu’avait adopté Jean-Jacques Rousseau, |
|
|
|
lorsqu’en
décembre l765, il traversa Paris pour aller à Londres. |
|
|
|
Cf. Bachaumont, Mémoires, Paris,
Garnier, 1874. |
|
|
|
|
|
|
|
375 Casanova montre ici
son ignorance des cours de l’Europe. |
|
|
|
Que devient
M. de Kaunitz ? |
|
|
|
|
|
|
|
176 |
|
|
|
— De verres ? |
|
|
|
|
|
|
|
— De chapeaux. Son Excellence n’a encore
daigné |
|
|
|
m’accorder
que mille florins pour cette gigantesque |
|
|
|
entreprise,
mais je comble le déficit au moyen de mes |
|
|
|
propres
deniers. |
|
|
|
|
|
|
|
— Vous attendez beaucoup de cette fabrique
? |
|
|
|
|
|
|
|
— Encore deux ou trois ans, et pas une tête
en |
|
|
|
Europe qui ne
soit coiffée de mes mains. |
|
|
|
|
|
|
|
— Ce sera un grand résultat. |
|
|
|
|
|
|
|
— Immense ! |
|
|
|
|
|
|
|
— Et il se mit à parcourir la salle en se
frottant les |
|
|
|
mains avec
une vivacité de jeune homme. |
|
|
|
|
|
|
|
— Il est fou, pensais-je. |
|
|
|
|
|
|
|
— À propos, dit-il, avez-vous des nouvelles
de la |
|
|
|
marquise
d’Urfé ? |
|
|
|
|
|
|
|
— Elle est morte. |
|
|
|
|
|
|
|
— Morte ! Je savais bien qu’elle devait
finir ainsi376. |
|
|
|
Et dans quel
état est-elle morte ? |
|
|
|
|
|
|
|
— Elle prétendait être enceinte. |
|
|
|
|
|
|
|
— J’espère que vous n’en croyez rien. |
|
|
|
|
|
|
|
— Je suis convaincu de son erreur. |
|
|
|
|
|
|
|
— À la bonne heure ; mais, me consultant,
elle l’eût |
|
|
|
été en effet.
Seulement, il m’eût été impossible de |
|
|
|
|
|
|
|
376 Casanova est ici surpris en flagrant délit d’erreur, voire
de |
|
|
|
mensonge. La
marquise d’Urfé est décédée le 13 novembre |
|
|
|
1775. Quant à
la réflexion attribuée au comte de Saint-Ger- |
|
|
|
main, elle
est d’un comique achevé. |
|
|
|
|
|
|
|
177 |
|
|
|
prédire le
sexe de l’enfant. J’avoue humblement que |
|
|
|
ma divination
ne va pas jusque-là. |
|
|
|
|
|
|
|
— M. le comte conseille les femmes en
couches ? |
|
|
|
|
|
|
|
— Je donne des consultations pour toute
espèce de |
|
|
|
maladie...
Seriez-vous malade, par hasard ? Effective- |
|
|
|
ment, vous
avez la langue sèche, le pouls dur et les |
|
|
|
yeux gonflés
; c’est une pituite. |
|
|
|
|
|
|
|
— Hélas ! non, c’est. Et je lui nommai ma
vilaine |
|
|
|
maladie. |
|
|
|
|
|
|
|
— Bagatelle ! reprit-il en me mettant dans
les mains |
|
|
|
une petite
bouteille pleine d’une liqueur blanche qu’il |
|
|
|
appelait l’archée universelle. |
|
|
|
|
|
|
|
— Que ferai-je de cette liqueur ? |
|
|
|
|
|
|
|
— Ceci vous semble une liqueur et n’en est
pas une. |
|
|
|
C’est le
simulacre du virus qui infecte vos veines. Pre- |
|
|
|
nez cette
aiguille et percez le cachet de cire qui ferme |
|
|
|
la bouteille. |
|
|
|
|
|
|
|
J’exécutai ce
qu’il me prescrivait. |
|
|
|
|
|
|
|
— Eh bien, reprit-il, en se rengorgeant,
qu’en |
|
|
|
pensez-vous ? |
|
|
|
|
|
|
|
Je ne savais
que penser. |
|
|
|
|
|
|
|
— Regardez ce qui reste dans la bouteille.
Il n’y a |
|
|
|
plus rien,
n’est-ce pas ? La substance blanchâtre s’est |
|
|
|
|
|
|
|
178 |
|
|
|
évaporée. De
même, en vous piquant à un certain |
|
|
|
endroit, tout
votre mal s’évaporera.. |
|
|
|
|
|
|
|
On pense bien
que je me refusai à l’opération. |
|
|
|
L’opérateur
en parut contrarié. |
|
|
|
|
|
|
|
— Vous êtes le premier homme qui doute de
moi. Je |
|
|
|
pourrais vous
en faire repentir, mais je suis humain. |
|
|
|
Je suis,
comme le Père éternel, tout puissant et tout |
|
|
|
miséricordieux.
Il est fâcheux pour vous de m’avoir |
|
|
|
témoigné si
peu de confiance. Votre fortune était |
|
|
|
assurée.
Avez-vous quelque argent en poche ? |
|
|
|
|
|
|
|
Je vidai mon
gousset dans sa main. Il ne prit qu’une |
|
|
|
pièce de
douze sous ; puis, la posant sur un charbon |
|
|
|
ardent, il la
couvrit d’une fève noire. Pendant qu’il |
|
|
|
attisait le
feu en soufflant à. travers un tube en verre, |
|
|
|
je vis la
pièce rougir, s’enflammer, entrer en fusion. |
|
|
|
Puis, quand
elle fut refroidie il me dit en riant : |
|
|
|
|
|
|
|
— Voici votre pièce, prenez là : la
reconnaissez-vous ? |
|
|
|
|
|
|
|
— Comment, c’est de l’or ! m’écriai-je. |
|
|
|
|
|
|
|
— Du plus pur377. |
|
|
|
|
|
|
|
377 Une même histoire de transmutation faite par le comte de |
|
|
|
Saint-Germain
a été racontée par Lamothe-Langon, dans les |
|
|
|
Souvenirs sur
Marie-Antoinette par la comtesse d’Adhémar, |
|
|
|
t. Ier, p. 297 : « Le
marquis de Valbelle (premier-mari de la com- |
|
|
|
tesse) allant
le voir [le comte], le trouve occupé à souffler ; il |
|
|
|
demande de
lui confier un écu de six livres ; celui-ci en tire un |
|
|
|
de sa bourse,
le remit à M. de Saint-Germain, qui le pose sur un |
|
|
|
matras et le
couvre d’une matière noire ; puis, avec cet appa- |
|
|
|
reil,
l’expose à un feu de réverbère. M. de Valbelle voit la pièce |
|
|
|
changée de
couleur, devenir rousse, et au bout de quelques |
|
|
|
minutes,
l’adepte la retire du brasier, la laisse refroidir et la |
|
|
|
tend au
marquis. Elle n’était plus d’argent, mais de l’or le plus |
|
|
|
|
|
|
|
179 |
|
|
|
Ma raison ne
me permettait de croire au prétendu |
|
|
|
miracle, et
je considérai cette transmutation comme |
|
|
|
le tour
d’adresse d’un joueur de gobelets, mais sans |
|
|
|
lui en rien
dire. Cet homme était si heureux de sa |
|
|
|
folie. |
|
|
|
|
|
|
|
— Cela est si extraordinaire, monsieur le
comte, |
|
|
|
que, s’il
vous est arrivé de répéter souvent le miracle, |
|
|
|
vous aurez dû
trouver souvent des incrédules. |
|
|
|
|
|
|
|
— Qui doute de ma science et de mon pouvoir
n’est |
|
|
|
pas digne de
me regarder en face. |
|
|
|
|
|
|
|
Je le
regardai fixement. |
|
|
|
|
|
|
|
— Vous êtes un digne homme ; revenez me
voir |
|
|
|
dans quelques
années. Et il me congédia en me ser- |
|
|
|
rant la main378. » |
|
|
|
|
|
|
|
Laissons
l’astucieux mémorialiste Casanova pour- |
|
|
|
suivre sa
route vers Bruxelles et revenons à Tournai. |
|
|
|
|
|
|
|
Comme à point
nommé, la fabrique de porcelaine |
|
|
|
de Péterinck
passait par de nouveaux embarras. L’un |
|
|
|
des associés
avait mal géré ses affaires, et sa part, dans |
|
|
|
|
|
|
|
pur. La
transmutation fut complète. J’ai conservé cette pièce |
|
|
|
jusqu’en
1786, époque où elle me fut volée dans mon secré- |
|
|
|
taire avec
plusieurs autres monnaies étrangères ou de France |
|
|
|
antiques... »
La première traduction française des Mémoires |
|
|
|
de Casanova parue à Paris de 1826 à
1829 et Lamothe-Langon |
|
|
|
a publié ses
Souvenirs en 1836 : l’emprunt est donc manifeste. |
|
|
|
378 Casanova, ouvr. cité, t. VI, pp. 76-79. Bien que l’on ait qua- |
|
|
|
lifié cette
entrevue « de piquante » il n’en est pas moins vrai, à |
|
|
|
notre avis,
que le récit en est inventé de toutes pièces par son |
|
|
|
auteur. Quant
à la pièce d’or, Casanova en fit cadeau, dira-t-il, |
|
|
|
à William
Keith dit milord maréchal, gouverneur de Neuchâ- |
|
|
|
tel, qu’il
rencontrera à Berlin, la même année. |
|
|
|
|
|
|
|
180 |
|
|
|
la fabrique
était à reprendre, M. de Cobenzl résolut |
|
|
|
de remanier
l’établissement379. Il demanda au prince |
|
|
|
Charles de
Lorraine le droit d’utiliser une partie de la |
|
|
|
fabrique pour
le peignage de la soie et la teinturerie |
|
|
|
en général,
et obtint une concession de terrain380 afin |
|
|
|
d’adjoindre
de nouveaux bâtiments à la fabrique, en |
|
|
|
fait une
tannerie et une manufacture de chapeaux. |
|
|
|
|
|
|
|
« Le fils
cadet de Mme de
Nettine âgé de 15 ans381, |
|
|
|
et son gendre
M. Walckiers382,
vont diriger celle entre- |
|
|
|
prise qui
s’annonce des plus intéressantes et sans |
|
|
|
grands
risques. La direction du personnel sera assu- |
|
|
|
rée par M.
Rasse ; ma sous-direction, par M. de Lan- |
|
|
|
noy et le
secrétariat, par le fils de ce dernier »383. |
|
|
|
|
|
|
|
D’ores et
déjà, M. de Cobenzl prévoyait « un gain |
|
|
|
de un million
étant donné que deux des plus impor- |
|
|
|
tants
commerçants de Tournai, Barbieri et Francolet, |
|
|
|
désirent lui
confier toutes leurs soieries à teindre, |
|
|
|
c’est dire
que celle affaire va être d’une très grande |
|
|
|
importance
pour la prospérité de la monarchie384. » |
|
|
|
Mais que
devenait l’inventeur dans ces futurs béné- |
|
|
|
fices ? M. de
Cobenzl avait profité de l’amitié que lui |
|
|
|
témoignait M.
de Surmont pour lui soutirer tous ses |
|
|
|
|
|
|
|
379 C. de Villermont, ouvr. cité, p. 136. |
|
|
|
|
|
|
|
380 Bibl. Royale, Ms
II, 897, fo 47. |
|
|
|
|
|
|
|
381 D’après M. Yves de
Fontobbia, le jeune de Nettine est |
|
|
|
décédé en
1768, à l’âge de 20 ans. |
|
|
|
|
|
|
|
382 Le vicomte
Walckiers de Tronchiennes était conseiller |
|
|
|
d’État et
administrateur de loteries. |
|
|
|
|
|
|
|
383 Cobenzl à Kaunitz,
8 avril 1763. |
|
|
|
|
|
|
|
384 Cobenzl à Kaunitz,
8 avril 1763. |
|
|
|
|
|
|
|
181 |
|
|
|
secrets, et
bien mieux, « ces secrets, on les lui aban- |
|
|
|
donne sauf à
prétendre à une part proportionnée du |
|
|
|
bénéfice385. » |
|
|
|
|
|
|
|
C’est alors
que le ministre plénipotentiaire écri- |
|
|
|
vit au
ministre de la cour à Vienne, M. de Kaunitz, |
|
|
|
afin de
l’intéresser dans l’affaire et obtenir, par son |
|
|
|
intermédiaire,
la participation de l’État aux frais |
|
|
|
nécessités
par les achats de maisons et d’outillage. Si |
|
|
|
celui-ci se
déclara satisfait d’apprendre l’appui ban- |
|
|
|
caire de Mme de Nettine et le
rôle administratif de |
|
|
|
M. Walckiers,
il se montra réticent quant à l’affaire |
|
|
|
elle-même : «
un modèle n’est pas une machine et une |
|
|
|
expérience en
petit ne prouve rien en faveur d’une |
|
|
|
usine dont
l’installation est très coûteuse et les capi- |
|
|
|
taux investis
très incertains386, » puis il s’étonna du |
|
|
|
choix de la
ville de Tournai, trop ville-frontière pour |
|
|
|
l’établissement
d’une usine ; ce à quoi M. de Cobenzl |
|
|
|
répondit : «
que le coût de la vie à Tournai était très |
|
|
|
bon marché et
que loin de Bruxelles on n’a pas à |
|
|
|
craindre les
difficultés qui pourraient naître avec les |
|
|
|
diverses
corporations de cette ville387. » |
|
|
|
|
|
|
|
M. de Kaunitz
ne s’en tint pas à ses observations |
|
|
|
techniques,
il informa M. de Cobenzl de tous les |
|
|
|
bruits qui
couraient sur M. de Saint-Germain, entre |
|
|
|
autres
l’anecdote suivante : « En 1759, à Paris, un |
|
|
|
homme qui
était, paraît-il, un proche parent d’un des |
|
|
|
|
|
|
|
385 Cobenzl à Kaunitz,
8 avril 1763. |
|
|
|
|
|
|
|
386 Kaunitz à Cobenzl,
19 avril 1763. |
|
|
|
|
|
|
|
387 Cobenzl à Kaunitz,
28 avril 1763. |
|
|
|
|
|
|
|
182 |
|
|
|
admirateurs
du comte, obtint, par sa ténacité, l’auto- |
|
|
|
risation de
le surprendre chez lui. Il lui rendit visite |
|
|
|
et le trouva
dans un logis bien sale et quand il l’eut |
|
|
|
questionné
sur ses inventions, le comte lui montra |
|
|
|
quelques
échantillons de couleurs et un vieux bou- |
|
|
|
quin de magie
dans lequel il y avait des formules |
|
|
|
absolument
sans valeur388
; » ce qui était manifeste- |
|
|
|
ment faux
quant au logis, le comte de Saint-Germain |
|
|
|
ayant habité
à Paris dans l’hôtel de la veuve du che- |
|
|
|
valier
Lambert, visité maintes fois par M. de Gleichen, |
|
|
|
à qui ces
particularités n’auraient pas échappé. On |
|
|
|
disait aussi
que le comte avait acheté à M. de Saint- |
|
|
|
Florentin une
propriété d’une valeur de 1.800.000 fr. |
|
|
|
qu’il ne put
payer et finalement quitta la France. |
|
|
|
|
|
|
|
En réponse,
M. de Cobenzl fit valoir que M. de Sur- |
|
|
|
mont « avait
des valeurs engagées chez un armateur |
|
|
|
de
Copenhague, pour plus d’un million et qu’en outre |
|
|
|
où il a été
il a distribué des cadeaux magnifiques, |
|
|
|
dépensé
énormément, n’a jamais rien demandé à per- |
|
|
|
sonne, ni
laissé de dettes389. » |
|
|
|
|
|
|
|
Le 27 mai, le
ministre fit parvenir à M. de Kaunitz, |
|
|
|
tous les
échantillons : métal et teintures sur soie, |
|
|
|
laine, cuir
et bois. « J’ai fait les petits paquets, en lais- |
|
|
|
sant dessus
les inscriptions faites par l’inventeur et |
|
|
|
les
explications qu’il a données390. » |
|
|
|
|
|
|
|
Deux jours
plus tard, le 29 mai, M. de Surmont par- |
|
|
|
|
|
|
|
388 Kaunitz à Cobenzl,
19 avril 1763. |
|
|
|
|
|
|
|
389 Cobenzl à Kaunitz,
28 avril 1763. |
|
|
|
|
|
|
|
390 Cobenzl à Kaunitz,
27 mai 1763. |
|
|
|
|
|
|
|
183 |
|
|
|
tit pour
Tournai avec le jeune vicomte de Nettine afin |
|
|
|
que ce
dernier soit mis en possession de tous les pro- |
|
|
|
cédés
secrets, et à son retour un projet de contrat fut |
|
|
|
rédigé entre
lui et son commettant, M. de Cobenzl : |
|
|
|
|
|
|
|
« Le comte de
Surmont, durant toute sa vie, sera |
|
|
|
intéressé à
la manufacture de Tournai, érigée actuel- |
|
|
|
lement par
moitié. |
|
|
|
|
|
|
|
« Des
bénéfices qui lui reviennent seront soustraits |
|
|
|
les sommes
qui lui ont été avancées et les dépenses |
|
|
|
qui ont été
faites pour lui. Après le remboursement de |
|
|
|
ces sommes,
il disposera librement de ses bénéfices. |
|
|
|
|
|
|
|
« Le comte
s’engage envers M. de Cobenzl de lui |
|
|
|
remettre les
données pour la fabrication du bleu et |
|
|
|
vert, pour
raffiner les huiles, le plissage du cuir pour |
|
|
|
fabriquer les
chapeaux ou autres modes d’emplois |
|
|
|
qu’il
connaît, ainsi que tout autre procédé secret ou |
|
|
|
moyen
approprié pour amener la manufacture au |
|
|
|
plus haut
degré de perfection »391. |
|
|
|
|
|
|
|
Toutefois
avant que ce contrat fût signé, Mme de |
|
|
|
Nettine
s’était rendue à Paris pour consulter deux de |
|
|
|
ses gendres :
le marquis de Laborde392 et M. de Lalive |
|
|
|
de Jully393 ; dans ses
démarches, « elle n’apprit rien de |
|
|
|
défavorable
sur le comte de Saint-Germain et acquit |
|
|
|
|
|
|
|
391 Cobenzl à Kaunitz,
21 juillet l763. |
|
|
|
|
|
|
|
392 Jean-Joseph,
marquis de Laborde, né à Jacca (Aragon) |
|
|
|
en 1724, fut
îe premier industriel dont le gouvernement ait |
|
|
|
recherché
l’assistance pour les finances. Devenu banquier de |
|
|
|
la cour, il
était chargé, en 1763, de l’établissement de la caisse |
|
|
|
d’escompte.
Fut guillotiné en 1794. |
|
|
|
|
|
|
|
393 Ange-Laurent de
Lalive de Jully (1725-775), fut introduc- |
|
|
|
|
|
|
|
184 |
|
|
|
l’assurance
que l’on avait nulle crainte, à avoir de la |
|
|
|
part d’aucune
entreprise394.
» |
|
|
|
|
|
|
|
Rien ne
s’opposait donc à la validation de l’ac- |
|
|
|
cord lorsque
parvint le 8 juin, datée de Vienne, une |
|
|
|
dépêche
adressée à M. de Cobenzl par M. de Dorn395, |
|
|
|
par laquelle
il était fait part que M. de Kaunitz pris de |
|
|
|
« violentes
coliques » (en l’espèce, maladie diploma- |
|
|
|
tique) avait
chargé le susdit, conseiller à la cour, de |
|
|
|
communiquer à
son excellence « que tous les travaux |
|
|
|
préliminaires,
qui devraient être déjà en cours pour |
|
|
|
la production
en gros, doivent être arrêtés et qu’il n’y |
|
|
|
a pas de
possibilité de conclure quoique ce soit avec |
|
|
|
M. de
Surmont, tant que nous ne sommes pas en état |
|
|
|
de vous
transmettre l’ordre exprès de Sa Majesté à ce |
|
|
|
sujet ». |
|
|
|
|
|
|
|
C’était
l’éviction pure et simple de M. de Surmont. |
|
|
|
À cette mise
en demeure, M. de Cobenzl changea |
|
|
|
complètement
de ton vis-à-vis de l’inventeur, et bien |
|
|
|
que le
bourgmestre Hasselaar soit venu en personne |
|
|
|
d’Amsterdam à
Bruxelles pour répondre de son ami, |
|
|
|
rien ne le
fit revenir sur sa décision396. Bien plus, |
|
|
|
M. de Surmont
ayant fait venir de Hollande divers |
|
|
|
objets
précieux en garantie de l’argent avancé par |
|
|
|
|
|
|
|
teur des
ambassadeurs, et membre de l’académie royale de |
|
|
|
peinture et
sculpture. |
|
|
|
|
|
|
|
394 Cobenzl à Kaunitz,
19 mai 1763. |
|
|
|
|
|
|
|
395 Jean-Jacob de Dorn,
conseiller de cour et référendaire |
|
|
|
pour les
affaires néerlandaises dans la chancellerie secrète de |
|
|
|
Vienne. |
|
|
|
|
|
|
|
396 Cobenzl à Kaunitz,
22 juillet 1763. |
|
|
|
|
|
|
|
185 |
|
|
|
Mme de Nettine, M. de
Cobenzl prétendit : « que ces |
|
|
|
objets
n’avaient qu’une valeur insignifiante, et ceux |
|
|
|
qui restent
en Hollande se composent de tableaux |
|
|
|
que lui [M.
de Surmont] estime très cher, mais en réa- |
|
|
|
lité n’ont
pas grande valeur397 ; » et ajouta, montrant |
|
|
|
ainsi son
manque de bonne foi : « de sorte que nous |
|
|
|
ne pouvions
que souhaiter de nous débarrasser de lui |
|
|
|
et nous
emparer de ses inventions le moins cher pos- |
|
|
|
sible, et
d’éviter toutes autres dépenses et lui enlever |
|
|
|
la direction
de l’entreprise398. » |
|
|
|
|
|
|
|
Pour arriver
à ce but, M. de Cobenzl rédigea un |
|
|
|
« mémoire »
des dépenses engagées : |
|
|
|
|
|
|
|
Dépenses pour
la teinturerie et le dépôt.....56.135 |
|
|
|
|
|
|
|
la
tannerie..........................19.300 |
|
|
|
|
|
|
|
l’usine de
chapeaux...................5.700 |
|
|
|
|
|
|
|
Maison pour
le comte....................13.500 |
|
|
|
|
|
|
|
Dépenses
diverses........................5.300 |
|
|
|
|
|
|
|
Total général
en Gulden.............. 99.935 |
|
|
|
|
|
|
|
À ces
dépenses vint se joindre le compte |
|
|
|
spécial de M.
de Surmont : |
|
|
|
|
|
|
|
Avances
diverses de Mme
de Nettine399 ....... 81.7 2 0 |
|
|
|
|
|
|
|
397 Cobenzl à Kaunitz,
25 juin 1763. Ce n’était pas l’avis de |
|
|
|
M. de
Gleichen qui lui avait vu ces tableaux, ouvr. cité, p. 122. |
|
|
|
|
|
|
|
398 Cobenzl à Kaunitz,
25 juin 1763. |
|
|
|
|
|
|
|
399 Cette somme fut
donnée à M. de Surmont par Madame de |
|
|
|
Nettine en
connaissance de cause et le neveu de M. de Cobenzl |
|
|
|
le confirme
dans ses Souvenirs : « Il devait mener à bien la |
|
|
|
|
|
|
|
186 |
|
|
|
Débours de M.
Rasse et de Mme
de Nettine |
|
|
|
pour
l’entretien du comte, ainsi que pour |
|
|
|
|
|
|
|
ses voyages à
Tournai, etc.................12.280 |
|
|
|
|
|
|
|
Soit :
Gulden........................ 94.000 |
|
|
|
|
|
|
|
soit au total
près de 200.000 Gulden400, et M. de |
|
|
|
Kaunitz,
devant cette dépense exagérée, refusa le |
|
|
|
concours du
gouvernement. M. de Cobenzl suggéra |
|
|
|
alors que Mme de Nettine
pourrait reprendre l’af- |
|
|
|
faire à son
compte, ce qui fut tout de suite accepté |
|
|
|
et approuvé
par l’impératrice Marie-Thérèse sur |
|
|
|
les
conclusions de son chancelier, conclusions que |
|
|
|
voici : « Il
résulte comme évident et absolument |
|
|
|
indispensables,
que ces entreprises téméraires 401 ne |
|
|
|
répondent
point aux exigences de l’État, ni par leur |
|
|
|
nature même,
ni par la gérance qu’elles nécessitent, |
|
|
|
ni par leur
activité. Mais comme Mme de Nettine a, de |
|
|
|
sa poche,
fait les folles avances de 200.000 Gulden402 |
|
|
|
|
|
|
|
réalisation
de cette entreprise, moyennant une somme qu’on |
|
|
|
devait lui
avancer dans ce but. » Cf. A. R. von Arneth, ouvr. cité. |
|
|
|
|
|
|
|
400 Kaunitz à Cobenzl,
5 juillet 1763. Ce mémoire ne fut pas |
|
|
|
communiqué à
M. de Surmont. |
|
|
|
|
|
|
|
401 M. de Kaunitz, dans
son rapport, émet l’opinion suivante : |
|
|
|
« Dans le cas
le plus favorable, c’est-à-dire si l’on pouvait |
|
|
|
approvisionner
tout le marché éxtérieur , cette entreprise |
|
|
|
serait
injuste du point de vue moral et contraire de celui de la |
|
|
|
politique.
Injuste car on amènerait toutes les teintureries pri- |
|
|
|
vées, de gré
ou de force, à la ruine ». Kaunitz à Marie-Thérèse, |
|
|
|
21 juillet
1763. |
|
|
|
|
|
|
|
402 M. de Kaunitz
prétend que les 94.000 Gulden versés à M. de |
|
|
|
Surmont ont
été par lui extorqués à Madame de Netinne, parce |
|
|
|
que le
remboursement de cet argent était basé sur des reve- |
|
|
|
|
|
|
|
187 |
|
|
|
et qu’elle
désire reprendre ces usines à son compte 403, |
|
|
|
il serait
juste et équitable que Votre Majesté les lui |
|
|
|
abandonne et
charge, en même temps, son gouver- |
|
|
|
nement de lui
donner toutes les facilités et l’aide qui |
|
|
|
sont
compatibles avec les intérêts des finances de |
|
|
|
l’État et
conciliant ceux du pays en général 404. » |
|
|
|
L’Impératrice
Marie-Thérèse écrivit aussitôt au |
|
|
|
gouverneur
général des Pays-Bas, le prince Charles |
|
|
|
de Lorraine :
« Mon chancelier de cour et d’État m’a |
|
|
|
fait un
rapport sur toute sa correspondance avec le |
|
|
|
comte de
Cobenzl au sujet des soi-disant procédés |
|
|
|
secrets pour
fabriquer et manufacturer qu’un certain |
|
|
|
Surmont dit
posséder, ainsi qu’au sujet de la manu- |
|
|
|
facture que
le comte de Cobenzl a en conséquence |
|
|
|
déjà montée à
Tournai, avec l’assentiment de votre |
|
|
|
altesse..,
j’autorise votre altesse à accorder à Mme de |
|
|
|
Nettine les
autorisations voulues et de lui donner |
|
|
|
toutes les
facilités et l’aide qui peuvent s’allier avec |
|
|
|
|
|
|
|
nus
problématiques, ce qui est faux, attendu que les procédés |
|
|
|
secrets
n’étaient pas imaginaires, mais une réalité concrétisée |
|
|
|
par des
résultats probants, puisque M. de Cobenzl avoue « que |
|
|
|
les tissus
teints sont réellement merveilleux » et ce aux dires |
|
|
|
d’experts.
Cobenzl à Kaunitz, 21 juillet 1763. |
|
|
|
|
|
|
|
403 Ces usines ne
devaient exister que sur le papier, témoin les |
|
|
|
lignes
suivantes : « Notre fabricant de tresses et soieries Bar- |
|
|
|
bieri, notre
fabricant de camelottes Francolet, et notre fabri- |
|
|
|
cant de
tissus J. Kint nous supplient d’accélérer l’installation |
|
|
|
de la
teinturerie. » Cobenzl à Kaunitz, 2 juillet 1763. Donc rien |
|
|
|
n’était fait
et le mémoire « un ballon d’essai » au détriment du |
|
|
|
gouvernement
de Vienne. |
|
|
|
|
|
|
|
404 Kaunitz à
Marie-Thérèse, 21 juillet 1763. |
|
|
|
|
|
|
|
188 |
|
|
|
les intérêts
de mes finances et le bien de mes pro- |
|
|
|
vinces belges405. » |
|
|
|
|
|
|
|
On voit que
M. de Cobenzl avait agi le plus adroi- |
|
|
|
tement du
monde, en cela aidé par M. de Kaunitz, |
|
|
|
en présentant
cette « affaire excellente » comme une |
|
|
|
escroquerie «
industrielle406,
» montée par M. de Sur- |
|
|
|
mont. Il en
résulta que ce dernier dut quitter Tournai |
|
|
|
le plus
rapidement possible : |
|
|
|
|
|
|
|
« J’attends,
écrit M. de Cobenzl, la nouvelle du |
|
|
|
départ de M.
de Surmont et espère que Mme de Net- |
|
|
|
tine pourra
récupérer les grandes avances qu’elle a |
|
|
|
faites.
Certainement dans les procédés secrets, il y a |
|
|
|
du bon ; du
moins, on l’a déjà constaté dans la fabri- |
|
|
|
cation des
chapeaux et dans la tannerie, et tous nos |
|
|
|
marchands en
soieries et toiles de lin trouvent les tis- |
|
|
|
sus teints
merveilleux407.
» |
|
|
|
|
|
|
|
Alors
pourquoi toute cette mise en scène ? Mystère. |
|
|
|
Nous sommes
comme M. de Kaunitz : « Je ne com- |
|
|
|
prends pas
très bien ce que la phrase de votre rap- |
|
|
|
port du 2
courant, signifie : “J’attends aujourd’hui la |
|
|
|
nouvelle du
départ de M. de Surmont”. Part-il volon- |
|
|
|
tairement ou
le chasse-t-on enfin ? Dans le premier |
|
|
|
cas, il
pourrait bien non seulement emporter avec lui |
|
|
|
l’argent de
Madame de Nettine, que je plains sincè- |
|
|
|
|
|
|
|
405 Marie-Thérèse au
prince Charles de Lorraine, 24 juillet |
|
|
|
1763. |
|
|
|
|
|
|
|
406 Ch. Maroy, Le comte de Saint-Germain à Tournai. Une |
|
|
|
escroquerie «
industrielle » en 1763 dans L’Indépendance |
|
|
|
Belge, 15
janvier 1935. |
|
|
|
|
|
|
|
407 Cobenzl à Kaunitz,
2 août 1763. |
|
|
|
|
|
|
|
189 |
|
|
|
rement, mais
garder aussi par-devers lui, la libre dis- |
|
|
|
position de
ses beaux procédés secrets. Dans le deu- |
|
|
|
xième cas, il
est à espérer qu’on a pu encore lui avoir |
|
|
|
arraché le
secret sur le raffinage des huiles408. » |
|
|
|
|
|
|
|
« M. de
Surmont n’a pas été chassé, répond M. de |
|
|
|
Cobenzl, mais
en attendant la décision, si S. M. pren- |
|
|
|
drait
elle-même la manufacture ou la laisserait à |
|
|
|
Mme de Nettine, cette
dernière avait gardé son fils à |
|
|
|
Tournai pour
apprendre tous les procédés secrets de |
|
|
|
M. de
Surmont. Comme on avait tout appris de lui de |
|
|
|
ce qu’il
savait et que sa présence n’était plus néces- |
|
|
|
saire, je lui
ai écrit au reçu des très hauts ordres, que |
|
|
|
S. M. ne
voulait rien entendre quant aux procédés |
|
|
|
secrets. En
même temps, le jeune Nettine lui a fait |
|
|
|
savoir, que
sa mère gardait la manufacture pour se |
|
|
|
couvrir de
ses avances, mais qu’elle n’en ferait plus. Il |
|
|
|
s’est alors
décidé à partir en déclarant, toutefois, qu’il |
|
|
|
rembourserait
le tout au courant des quelques mois à |
|
|
|
venir409. » |
|
|
|
|
|
|
|
408 Kaunitz à Cobenzl,
14 août 1763 : Ce « secret » était celui |
|
|
|
qui
intéressait le plm le chancelier : « Cet article serait le seul |
|
|
|
que les
finances de l’État pourrait s’approprier avec de grands |
|
|
|
profits sans
causer de dommage à l’industrie nationale ou au |
|
|
|
commerce du
pays. » Kaunitz à Marie-Thérèse, 21 juillet 1763. |
|
|
|
|
|
|
|
409 Cependant M. de Villermont, ouvr. cité, p. 136, écrit : |
|
|
|
«
Saint-Germain était parti depuis deux mois pour Tournai |
|
|
|
quand Cobenzl
et la veuve Nettine, inquiets de son silence, |
|
|
|
envoyèrent
auprès de lui le jeune référendaire aux finances, |
|
|
|
Philippe de
Cobenzl. Celui-ci après quelques jours passés à |
|
|
|
observer et à
contrôler Surmont, leur rapporta que l’argent |
|
|
|
s’était
volatilisé, sans que rien eût été mis en train. Avant que |
|
|
|
ses
commanditaires eussent pu prendre de nouvelles mesures, |
|
|
|
|
|
|
|
190 |
|
|
|
« D’autre
part, on pouvait utiliser ses procédés |
|
|
|
secrets et,
au cas où l’on ait besoin d’une explica- |
|
|
|
tion
quelconque, il serait prêt à la donner, où qu’il se |
|
|
|
trouve. Il
est parti pour Liège et s’adressera probable- |
|
|
|
ment au
Margrave de Bade-Durlach, à Carlsruhe410. |
|
|
|
Mme de Nettine espère
encore récupérer au moins une |
|
|
|
partie de ses
avances »411. |
|
|
|
|
|
|
|
C’est ce qui
arriva. Et si pour M. de Kaunitz : « le cas |
|
|
|
de M. de
Surmont était liquidé412, » pour Mme de Net- |
|
|
|
tine
l’affaire devenait excellente : « la manufacture |
|
|
|
fondée à
Tournai commence à se développer. Je crois, |
|
|
|
écrit M. de
Cobenzl, que Mme
de Nettine pourra y |
|
|
|
retrouver son
compte, ou tout au moins rentrer dans |
|
|
|
ses frais413. » |
|
|
|
|
|
|
|
Ainsi se
termina la soi-disant escroquerie « indus- |
|
|
|
trielle » qui
eut son heure de célébrité dans la ville de |
|
|
|
Tournai. |
|
|
|
|
|
|
|
Saint-Germain
disparaissait à son tour. » Et M. de Fontobbia, |
|
|
|
art. cité, p.
19, ajoute : « Le comte de Saint-Germain partit avec |
|
|
|
l’argent et
ne revint plus... » |
|
|
|
|
|
|
|
410 Charles-Frédéric,
margrave de Bad-Durlach, né à Carlsruhe |
|
|
|
le 22
novembre 1728, est mort le 11 juin 1811. Après avoir |
|
|
|
fait ses
études à Lausanne, il visita la France, l’Italie, l’Angle- |
|
|
|
terre, la
Hollande et ne revint à Carlsruhe qu’à l’expiration de |
|
|
|
sa minorité
en 1750. Il attira chez lui les étrangers par une |
|
|
|
grande
tolérance politique et religieuse. |
|
|
|
|
|
|
|
411 Cobenzl à Kaunitz,
23 août 1763. |
|
|
|
|
|
|
|
412 Kaunitz à Cobenzl,
3 septembre 1763. |
|
|
|
|
|
|
|
413 Cobenzl à Kaunitz,
2 octobre 1763. |
|
|
|
|
|
|
|
191 |
|
|
|
V^Md[JI U C
Al . |
|
|
|
|
|
|
|
Douze ans de
silence |
|
|
|
|
|
|
|
Après avoir
quitté Tournai, le comte de Saint-Ger- |
|
|
|
main partit
pour Liège. Alla-t-il à Carlsruhe, chez le |
|
|
|
margrave de
Bade-Durlach, comme l’indique M. de |
|
|
|
Cobenzl, nous
l’ignorons. Cependant ce qui est vrai- |
|
|
|
semblable,
c’est qu’il se rendit en Italie. Peu de docu- |
|
|
|
ments
existent sur le séjour qu’il fit en ce pays. Un de |
|
|
|
ses
biographes occasionnels nous dira toutefois « que |
|
|
|
l’Italie le
trouva digne de ses virtuoses et le consi- |
|
|
|
déra comme
l’un des plus fins connaisseurs de son art |
|
|
|
ancien et
moderne414. » |
|
|
|
|
|
|
|
Un des rares
documents que nous possédions sur |
|
|
|
ce séjour est
constitué par les quelques pages que lui |
|
|
|
a consacrées
le comte de Lamberg dans le Mémorial |
|
|
|
d’un mondain415, mélange de souvenirs sur l’Italie, les |
|
|
|
Italiens et
la Corse. |
|
|
|
|
|
|
|
À vrai dire
nous sommes prévenus sur la valeur |
|
|
|
de ce
document par le comte de Saint-Germain lui- |
|
|
|
même ; en
effet, un de ses amis, le comte de Schag- |
|
|
|
man, lui
demandant un jour ce qu’il pensait de l’au- |
|
|
|
teur de
l’ouvrage ci-dessus, s’attira cette réponse |
|
|
|
|
|
|
|
414 London Chronicle, 3
juin 1760. |
|
|
|
|
|
|
|
415 Comte de Lamberg. Mémorial d’un mondain.
Au cap Corse, |
|
|
|
1774 in-12 ;
2e édit.,
Londres, Amsterdam, 2 vol. in-8. L’ou- |
|
|
|
vrage est
dédié au roi de Prusse. |
|
|
|
|
|
|
|
192 |
|
|
|
catégorique :
« C’est un fou, il n’a pas l’honneur de me |
|
|
|
connaître416. » |
|
|
|
|
|
|
|
Quel était
donc le personnage sur qui le comte |
|
|
|
émettait un
jugement aussi sévère ? |
|
|
|
|
|
|
|
Le comte
Maximilien de Lamberg417, surnommé |
|
|
|
Democrites
Dulcior418 par
ses contemporains, après |
|
|
|
avoir été
diplomate, joua au savant et finit littéra- |
|
|
|
teur. Malgré
ses divers talents rien n’est plus vrai à |
|
|
|
son égard,
que la remarque du comte de Saint-Ger- |
|
|
|
main.
Ignorant à peu près tout du comte, M. de Lam- |
|
|
|
|
|
|
|
416 Lettre de Anton à
Lavater, 20 août 1778. La réponse du |
|
|
|
comte de
Saint-Germain fut portée à la connaissance du |
|
|
|
savant
physionomiste par le Dr Anton, avocat et syndic de Gor- |
|
|
|
litz, auteur
d’ouvrages sur les Templiers. |
|
|
|
|
|
|
|
417 Maximilien-Joseph,
comte de Lamberg, né le 24 novembre |
|
|
|
1729, à Brünn
(Moravie), était le fils d’Antoine, gouverneur |
|
|
|
de Linz, et
de la fille du marquis de Prié, ambassadeur de |
|
|
|
France dans
les Pays-Bas. Après de fortes études littéraires et |
|
|
|
scientifiques,
il parcourut, en compagnie de son frère Léopold |
|
|
|
(lequel se
fit soigner en 1783 par Cagliostro), l’Allemagne, |
|
|
|
l’Autriche,
la Hollande et la France. Devenu chambellan de |
|
|
|
l’empereur
François Ier,
entra dans la carrière. En 1757, rejoi- |
|
|
|
gnit à Paris,
le comte de Staremberg, ambassadeur d’Autriche, |
|
|
|
y resta trois
ans, puis en 1761, devint le conseiller intime du |
|
|
|
duc de
Wurtember, Charles-Eugène II. En 1767, grand-maré- |
|
|
|
chal près du
prince-évêque d’Augsbourg. Obligé de prendre sa |
|
|
|
retraite,
voyagea en Italie, en Corse et sur les côtes d’Afrique. |
|
|
|
Retiré à son
château de Brünn, il y finit sa vie le 23 juin 1792. |
|
|
|
Il a écrit de
nombreux ouvrages ; nous en citons plusieurs. Cf. |
|
|
|
Ch. Ad. Cantacuzène, Sur Maximilien de
Lamberg dans Le Mer- |
|
|
|
cure de
France, no 885,
1er mai
1935 ; pp. 503-518. |
|
|
|
|
|
|
|
418 On avait,
paraît-il, qualifié ainsi le comte de Lamberg |
|
|
|
parce qu’il «
savait tourner toutes choses à une raillerie fine et |
|
|
|
spirituelle
». |
|
|
|
|
|
|
|
193 |
|
|
|
berg rapporta
dans son ouvrage des anecdotes plus |
|
|
|
que
douteuses. Il se peut qu’il ait entrevu le comte |
|
|
|
de
Saint-Germain, en 1760, à Versailles419, mais il est |
|
|
|
certain que
vers 1761, il fit la connaissance, à Augs- |
|
|
|
bourg, de
Casanova420 ;
et de leurs conversations est, |
|
|
|
peut-être, né
le tissu de mensonges qu’ils se plurent à |
|
|
|
débiter l’un
et l’autre sur le comte421. |
|
|
|
|
|
|
|
Quoi qu’il en
soit, M. de Lamberg vint à deux |
|
|
|
reprises en
Italie. En 1764, il était à Venise, en com- |
|
|
|
pagnie de son
maître, le prince de Wurtemberg, pour |
|
|
|
complimenter
Aloisio Mocenigo, le nouveau doge, |
|
|
|
élu l’année
précédente. En 1770, il se trouvait à Flo- |
|
|
|
rence pour
son plaisir, de même qu’en 1773, à Venise. |
|
|
|
Ses anecdotes
ont donc leurs places à ces trois dates. |
|
|
|
Nous ne les
citons qu’à titre documentaire attendu |
|
|
|
|
|
|
|
419 M. de Lamberg, dans
une lettre à Opiz, prétend avoir ren- |
|
|
|
contré le
comte de saint-Germain chez madame de Talmont |
|
|
|
princesse
Jablonowska, parente de Marie Leczinska, femme de |
|
|
|
Louis XV : «
Je lui tenais la dent et l’écoutais attentivement. Il |
|
|
|
me parut très
savant et très amusant. » Cf. Maynial, Casanova |
|
|
|
et son temps.
Paris, 1911, p. 268. |
|
|
|
|
|
|
|
420 « À Augsbourg,
j’allais passer mes soirées d’une manière |
|
|
|
très agréable
chez le comte Maximilien de Lamberg... Ce qui |
|
|
|
m’attachait
particulièrement au comte, c’était son génie litté- |
|
|
|
raire. »
Casanova, ouvr. cité, t. V, p. 101. |
|
|
|
|
|
|
|
421 De même que
Casanova, M. de Lamberg appartenait à la |
|
|
|
Franc-Maçonnerie.
Entre 1777 et 1778, il assista, en qualité de |
|
|
|
Maître
Écossais, dans une Loge de Vienne, à des expériences |
|
|
|
sur des
homuncules faites par le comte de Kueffstein. Cf. Le |
|
|
|
Sphinx, mai
1890. trad. française par L. Desvignes, L’Initia- |
|
|
|
tion, mars
1897, pp. 202-229, d’après K. Kiesewetter : Une des |
|
|
|
énigmes du
temps passé. |
|
|
|
|
|
|
|
194 |
|
|
|
qu’elles sont
inexactes d’après l’avis du comte de |
|
|
|
Saint-Germain. |
|
|
|
|
|
|
|
« Un
personnage rare à voir, dit-il, c’est le Marquis |
|
|
|
d’Aymar ou
Belmar, connu sous le nom de Saint-Ger- |
|
|
|
main422 : il demeure
depuis quelque temps à Venise, |
|
|
|
où il
s’occupe au milieu de cent femmes, qu’une |
|
|
|
abbesse lui
fournit, à faire des expériences sur le lin |
|
|
|
qu’il
blanchit, et qu’il rend égale à la soie crue d’Ita- |
|
|
|
lie : il
croit avoir trois cents (sic) cinquante ans ; et |
|
|
|
pour ne pas
trop exagérer peut-être, il dit avoir connu |
|
|
|
Thamas
Koulikan423 en
Perse. Lors de l’arrivée du duc |
|
|
|
d’York à
Venise, il demanda au Sénat le rang sur ce |
|
|
|
prince, et
donna pour raisons que l’on savait qui était |
|
|
|
le duc
d’York, mais qu’on ignorait encore les titres du |
|
|
|
Marquis de
Belmar424. » |
|
|
|
|
|
|
|
Un seul
renseignement est exact dans cette anec- |
|
|
|
dote, celui
concernant la venue à Venise, en mai 1764, |
|
|
|
d’Édouard-Auguste,
duc d’York, frère de Georges III |
|
|
|
d’Angleterre,
en l’honneur duquel de grandes fêtes |
|
|
|
furent
données. |
|
|
|
|
|
|
|
À l’époque,
cette ville était le refuge de tout per- |
|
|
|
sonnage qui
désirait se cacher, le masque était invio- |
|
|
|
|
|
|
|
422 D’après van Sypesteyn, ouvr. cité (Saint-Germain in Neder- |
|
|
|
land), le
comte de Saint-Germain aurait confié à M. de Lam- |
|
|
|
berg qu’il
était orinaire de Vitry-le-François. Nous n’avons |
|
|
|
pas trouvé
confirmation de ce détail dans le Mémorial d’un |
|
|
|
mondain. |
|
|
|
|
|
|
|
423 Nadir, shah de
Perse, connu sous le nom de Tamas-Kouli- |
|
|
|
Khan, né en
1688, mourut assassiné en l747. |
|
|
|
|
|
|
|
424 Comte de Lamberg, ouvr. cité, p. 80. |
|
|
|
|
|
|
|
195 |
|
|
|
lable, et le
gouvernement laissait à chacun de se |
|
|
|
conduire à sa
guise, si on ne se mêlait ni de politique |
|
|
|
ni de
religion. |
|
|
|
|
|
|
|
M. de Lamberg
continue ainsi son histoire : |
|
|
|
|
|
|
|
« Il [le
comte] donna une papillote425 à un de ses |
|
|
|
amis ; auquel
un banquier, qui ne connaissait pas le |
|
|
|
Marquis, paya
à vue deux cents ducats comptant. Je |
|
|
|
demandais
s’il retournerait en France ; il m’assura |
|
|
|
d’un air de
conviction, que la bouteille qui soutenait |
|
|
|
le Roi dans
l’état de vigueur où il est, devait être à sa |
|
|
|
fin, qu’à la
suite de cela, il remonterait sur le théâtre |
|
|
|
par un coup
d’éclat qui le ferait connaître à toute |
|
|
|
l’Europe. Il
doit avoir été à Pékin, sans s’y donner de |
|
|
|
nom du tout ;
et comme la police le pressa de se nom- |
|
|
|
mer, il
s’excusa sur ce qu’il ne savait pas lui-même |
|
|
|
comment il
s’appelait... |
|
|
|
|
|
|
|
« Il recevait
même à Venise des lettres sur l’enve- |
|
|
|
loppe
desquelles il n’y avait que le simple mot, Venise ; |
|
|
|
le reste
était en blanc ; et son secrétaire deman- |
|
|
|
dait
simplement à la poste les lettres qui n’étaient à |
|
|
|
personne426. » |
|
|
|
|
|
|
|
M. de Lamberg
prétendit que le comte de Saint- |
|
|
|
Germain lui
aurait fait voir : |
|
|
|
|
|
|
|
« Dans un
espèce d’album, où se
trouvaient plusieurs |
|
|
|
|
|
|
|
425 Se dit d’un papier
sans valeur. |
|
|
|
|
|
|
|
426 Comte de Lamberg, ouvr. cité, pp. 80-81.
Citons à ce propos |
|
|
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l’histoire
arrivée au célèbre médecin Boerhaave. Un mandarin |
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écrivit une
lettre avec cette suscription : « À Boerhaave, méde- |
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cin en Europe
» et la lettre parvint à son adresse. |
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signatures
d’hommes célèbres, deux mots latins de |
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mon aïeul
Gaspard-Frédéric, mort en 1686, avec les |
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armes
blasonnées, et l’inscription que voici : Lingua |
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mea calamus
scribae velociter scribentis427. L’encre et le |
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papier même
très rembruni et brouillard me parais- |
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saient
anciens. La date est de 1678 ; un autre extrait |
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de Michel
Montaigne est de l’année 1580 : « Il n’est |
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homme de bien
qui mette à l’examen des lois toutes |
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ses actions
et pensées, qui ne soit pendable dix fois en |
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sa vie : voir
tel qu’il seroit très grand-dommage et très |
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injuste de
punir et de perdre428. » |
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Tout en
traitant à la légère le comte de faussaire |
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sous le
prétexte d’une citation latine : habes scientiam |
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quaestuosam429, M. de Lamberg avance que : |
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« Les deux
inscriptions en question feraient croire |
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à l’âge du
Marquis, si la nature de l’homme ne prou- |
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vait contre430 : à toutes ses
époques, on est rarement |
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à même d’y
relever une erreur ; il cite à leur place des |
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dates très
reculées, et ce n’est point avec présomption |
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qu’il affirme
: c’est un homme rare qui surprend ; et ce |
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qui fait
plaisir, c’est qu’il résiste à la critique : il joint |
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le talent de
persuader, à une érudition peu ordinaire, |
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427 « Il écrit aussi
vite qu’il parle. » |
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428 Cette citation est
extraite, inexactement d’ailleurs, du livre |
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III, chap.
IX. De la vanité. « Il n’est si homme de bien, qu’il |
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mette...
voire... » |
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429 « Tu possèdes l’art
des faussaires », Cicéron, 2e Philipp. à |
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Antoine. Le
comte de Saint-Germain aurait pu répondre : Stul- |
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torum
infinitus est numerus, Salomon, Eccl. I, 15. |
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430 Nous sommes étonné
de cette remarque ; peut-être M. de |
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Lamberg
ignorait-il le collectionneur d’autographes ? |
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et la mémoire
la plus étendue, quoique locale. St. Ger- |
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main dit avoir enseigné à Wildman le secret d’appri- |
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voiser les
abeilles, et de rendre les serpents attentifs à |
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la musique et
au chant431. » |
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Continuant
son histoire, M. de Lamberg affirme |
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avoir reçu, à
Venise en 1773, une lettre du comte de |
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Saint-Germain,
expédiée de Mantoue. Que celui-ci se |
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soit trouvé
dans cette ville à l’époque indiquée, c’est |
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fort
possible, mais en tout cas, la lettre qui suit est |
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sans doute
sortie de l’imagination du pamphlétaire. |
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Parlant de la
fabrication des pierres précieuses, |
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M. de Lamberg
fait dire par notre personnage : |
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« Le comte Zobor, chambellan de l’empereur
défunt |
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(prince
immortel pour les qualités augustes jointes à |
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la protection
qu’il accorda aux arts432), en a fait [un |
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diamant] avec
moi : le prince T... en acheta un, il y a |
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six ans
environ, pour 5.500 louis, qui est de ma fac- |
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ture ; il l’a
revendu depuis à un riche fou avec mille |
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ducats de
profit : il faut effectivement être roi ou fou, |
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dit le comte
de Barre433 pour employer des sommes |
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considérables
à l’achat d’un diamant. Comme ailleurs |
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les fous au
jeu d’échecs sont les plus près des rois, |
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le proverbe
grec : paZiÀ,euç n ovoç, roi ou âne. et |
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celui, aut Regem aut fatuum nasci oportet434, ne scan- |
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431 Comte de Lamberg, ouvr. cité, p. 83. |
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432 François Ier de Lorraine,
empereur d’Allemagne (1708- |
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1765)
protégea constament les lettres et les sciences, et s’oc- |
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cupa
d’alchimie. |
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433 Le comte des
Barres, ci-devant major en France. |
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434 « Il faut naître
roi ou fou. » |
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dalisent
personne. Mad. de S*** en a un de la même |
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eau bleuâtre,
aussi mal taillé que le premier, et qui |
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paraissait
dans le chaton un gros verre de Bohême à |
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facettes
ternes... Or, M., un homme comme moi se |
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trouve
souvent fort embarrassé dans le choix de ses |
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pratiques ;
... L’homme éventuel, au reste, donne sou- |
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vent à la
nature certains élans dans les arts, seuls dûs |
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aux artistes.
Un Pott435, un
Margraf436,
Rouelle437, |
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décident sur
leur trépied, que personne n’a fait des |
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diamants,
parce qu’ils ignorent des principes opposés |
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aux
réussites. Que tous ces Messieurs (car il en est |
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une horde
entière) étudient plus les hommes que les |
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livres, ils
leur découvriront des mystères introuvables |
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dans La chaîne dorée d’Homère 438, dans le Petit Albert, |
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dans le Grand 439, dans le
mystérieux volume Pica- |
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435 Jean-Henri Pott,
chimiste allemand (1692-1777) ne s’oc- |
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cupe que de
la topaze de Saxe. |
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436 André-Sigismond
Margraf, chimiste allemand (1709- |
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1780) ne fit
que des expériences sur la topaze saxonne et le |
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lapis-lazuli. |
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437 Guillaume-François
Rouelle, chimiste français (1703-1770) |
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est le seul
qui se soit occupé du diamant. Ses recherches ont |
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été publiées
dans le Journal de Médecine de Roux, t. XXXIX. |
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438 La Chaîne d’or
d’Homère est le titre français d’un texte |
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alchimique
allemand publié avec un titre latin : Aurea Catena |
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Homeri, édité
à Francfort en 1723, dont les manuscrits circu- |
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laient à
l’époque. La Chaîne d’or d’Homère est le développe- |
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ment de la
Table d’Émeraude. |
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439 Le Grand et le
Petit Albert sont des livres apocryphes de |
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recettes de
magie naturelle. |
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trix440, etc. ; les grandes découvertes ne se présentent |
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qu’au
voyageur441. » |
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Et partant de
cette dernière hypothèse, M. de |
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Lamberg
imagine une soi-disant relation d’un |
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voyage que le
comte de Saint-Germain aurait fait en |
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Extrême-Orient
: |
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« Je dois
celle [la découverte] de la fonte des pierres, |
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au second
voyage que je fis aux Indes en 1755, avec |
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le colonel
Clive, subordonné au vice-amiral Watson. |
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Dans ma
première course, je n’avais acquis que très |
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peu de
connaissances sur ce merveilleux secret en |
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question :
toutes mes tentatives faites à Vienne, à |
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Paris, à
Londres, ne passent que pour des essais ; le |
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grand œuvre
était réservé à l’époque dont je parle442. |
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« J’eus de
très fortes raisons pour ne me faire |
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connaître de
l’escadre que sous le nom d’un comte de |
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C...z443 ; jouis partout
où nous abordâmes, des mêmes |
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440 Picatrix, surnommé,
par Rabelais le Révérend Père en |
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diable, fut
un médecin arabe qui vint en Espagne vers le |
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xme siècle. Alphonse X,
roi de Castille, fit traduire ses œuvres |
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en espagnol
vers 1256. Sur une traduction latine, imprimée au |
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xviie siècle, fut faite
une traduction française (en manuscrit à |
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la
bibliothèque de l’Arsenal). |
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441 Comte de Lamberg,
ouvr. cité, p. 85. |
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442 « En 1755, pendant
un voyage dans l’Inde, il [le comte] |
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consulta
l’érudition des Brahmines Hindous, et résolut avec |
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leur
assistance, le problème de la cristallisation artificielle du |
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charbon pur,
en d’autres termes la fabrication du diamant. » |
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Cf. T. P.
Barnum, ouvr. cité, p. 305. |
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443 À propos de ce nom,
disons que le dernier gouverneur |
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français du
Bengale, en 1755, était Pierre Renault de Saint- |
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Germain,
apparenté à une famille originaire de Chatellerault, |
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200 |
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